vendredi 21 août 2015

21e dimanche - année B


Nous achevons aujourd’hui la lecture de Jn 6 (60-69) et il est temps de tirer un bilan de ce grand enseignement eucharistique de Jésus. Pour nous y aider, le lectionnaire nous propose de relire d’abord un bref extrait de la geste de la conquête de la terre sainte (Jos 24, 1…18). La question qui se pose est la suivante : le peuple, qui a déjà mille fois prouvé son infidélité depuis la sortie d’Egypte (e.g. Ex 32), a-t-il la force de s’engager désormais à ne servir que le Seigneur ? C’est que l’attachement au vrai Dieu exige une exclusivité complète (on ne peut adorer le Seigneur et un autre ; « servir deux maîtres », c’est ne pas servir le vrai maître [Mt 6, 24]). Est-ce prudent, de la part d’un peuple aussi inconstant de prononcer un serment solennel, un engagement irréversible en faveur du Seigneur ? La réponse, vous l’avez entendue, est sans hésitation, d’une résolution touchante et naïve : « Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur pour servir d’autres dieux ! » (Jos 24, 16). Il n’est pas nécessaire d’attendre longtemps pour constater l’échec de cette promesse fanfaronne : peu de temps s’écoule entre ce dernier chapitre du livre de Josué et le début du livre des Juges, pour que dès la mort de Josué et de ses compagnons le péché d’idolâtrie revienne gangrener la vie spirituelle d’Israël : « Alors les Israélites firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur et ils servirent les Baals » (Jg 2, 11). C’était couru d’avance.

A la lumière de cet échec bien prévisible, allons lire maintenant la conclusion de Jn 6. Souvenons-nous du succès triomphal du début du chapitre : Jésus a multiplié les pains, il a nourri les foules ; c’est l’enthousiasme : on veut le faire roi (Jn 6, 15). Jésus se dérobe à cette victoire trop facile, trop mondaine, mais les foules le suivent, le cherchent, le retrouvent « parce qu’elles ont mangé du pain et ont été rassasiées » (Jn 6, 26) – c’est-à-dire : non parce qu’elles auraient compris, mais parce qu’elles ont été fascinée. Le succès apparent semble se construire sur une incompréhension, sur un malentendu : Jésus venait annoncer une exigence de charité jusqu’à l’abnégation, jusqu’au sacrifice de soi et les foules ont été séduites parce qu’elles y ont vu seulement le confort d’un bon repas qui ne leur avait rien coûté ! Le quiproquo est complet et il faut bien que Jésus le lève. Il utilise alors des expressions fortes, très fortes, trop fortes ; il parle de donner sa chair ; il demande qu’on boive son sang. Jésus a parlé avec une certaine violence. Il a commencé à vaincre la surdité de ses auditeurs obnubilés par l’abondance du miracle.
Et où en sommes-nous, maintenant que les foules commencent à comprendre ? Le résultat n’est pas fameux. « Cette parole est rude » (Jn 6, 60) dit-on tout d’abord. Le terme reprend une disposition légale d’Israël : une parole « rude » c’est un propos tellement scandaleux que Moïse s’est réservé de le juger lui-même, personnellement, retirant aux autres autorités établis de pouvoir décider contre son auteur (Dt 1, 17 ; cf. Ex 18, 22). Une parole rude, c’est donc un blasphème particulièrement grave. Et Jésus a bien compris que ses auditeurs étaient scandalisés (cf. Jn 6, 61). Le résultat quantitatif de ce discours est calamiteux : « A partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner » (Jn 6, 66). Et l’hypothèse d’un départ des proches, des apôtres, est même envisagée par Jésus qui prend le risque de rester complètement seul ; il les met devant leur liberté : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Jn 6, 67). La réponse de Pierre, pleine d’empressement, n’est pas tellement convaincante : « à qui irions-nous ? » (Jn 6, 68) ; c’est comme s’il reconnaissait que, n’ayant pas mieux ailleurs, il préfère rester quand même ; mais son degré de conviction est assurément comparable à celui qu’il mettait en promettant fidélité à Jésus qui lui annonçait qu’il le renierait (Jn 13, 37-38). Pierre est comme cela ; Jésus le sait et ne lui en veut pas.
Si on résume : dans la 1ère lecture, on a entendu un serment dont on sait qu’il a déjà été maintes fois trahi et qu’il continuera à l’être dans l’avenir. Dans l’évangile, on est passé de l’enthousiasme des foules à la déception, de la ferveur à l’abandon ; on est passé de la conviction des disciples au désarroi. Il semble qu’il suffise d’écouter Jésus pour être séduit et qu’il suffise de le comprendre vraiment pour être dégoûté. Tout cela est très fragile.
Ne pensons pas que ce combat entre l’assentiment et le rejet soit celui des Hébreux dans les déserts de Terre Sainte, celui des disciples sur les routes de Galilée ; ne pensons pas qu’il n’est pas le nôtre. Ce combat, j’en sais qui doivent le mener, à propos de l’eucharistie, tous les dimanches : ils ont découvert la beauté du message d’amour de Jésus et ils ont été émus ; mais ils comprennent que, pour aimer, il leur faut offrir une heure de leur temps de loisir, une heure de leur grasse matinée… et là, ils renâclent ; ce n’est pas qu’ils ne sont pas d’accord, mais ils sont fatigués. Ils pensent qu’ils ne sont pas devenus chrétiens pour que ça leur gâche leur dimanche matin ! Et puis il y a ceux qui viennent par lassitude, un peu comme saint Pierre, qui ne savent pas quoi faire d’autre. Ceux-là sont fidèles, mais sans enthousiasme. Il y a enfin ceux qui étaient intéressés par des valeurs chrétiennes de générosité et de pardon, mais qui refusent explicitement la croix, qui ne veulent pas croire que le pain devient vraiment le corps livré de Jésus. Ceux-là quittent l’Eglise dont ils avaient pourtant apprécié certains discours.

Au terme de ce long récit eucharistique, chacun peut se demander où il en est. Jésus est maintenant déconsidéré, très vulnérable. On peut l’abandonner sans crainte ; c’est même cela qui paraît le plus sensé. Ceux qui restent avec lui ne paraissent pas avoir de très bonnes raisons. Alors, moi, qu’est-ce que je vais faire ? Au seuil de la rentrée, c’est la décision qu’il faut prendre : ayant compris quelle exigence de charité, sachant quelle promesse de grande et de petite fidélité contient le rite eucharistique, quel chrétien serai-je ? Quelle sera, de dimanche en dimanche, mon engagement ? Il faut se méfier d’une générosité naïve et peu réfléchie. Maintenant, il faut se décider vraiment. Pour aider votre choix, je ne dis pas que suivre Jésus est le plus simple ; je dis seulement que ceux qui l’ont fait, au bout du compte, ne l’ont pas regretté.


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