Pourquoi l’homme a-t-il
été créé un vendredi ? Vous excuserez cette étrange question. Bien sûr, si
tant est que la science nous permette encore de parler de la création de
l’homme, il est évident qu’il n’y avait, à l’époque de Lucy ou de l’homme de Tautavel,
ni jours de la semaine, ni aucun calendrier. Pourtant, la Bible (qui a aussi
son mot à dire sur la création) rapporte, selon un calendrier liturgique
parfaitement établi, que l’homme et la femme ont été créés le « sixième jour » (Gn 1, 31)
– ce qui, selon le décompte juif, indique la veille du sabbat, c’est-à-dire
notre vendredi. Dans le texte de la Genèse,
cette indication possède une valeur symbolique : l’humanité est le sommet,
le couronnement de la création ; Dieu ne donne naissance à l’homme et à la
femme que lorsque l’univers entier a été construit pour leur bien-être.
A partir de ce fait
symbolique, tel qu’il est présenté dans le vieux récit de la Genèse, Paul élabore une autre
interprétation : le texte de la Genèse
n’est pas seulement symbolique, nous dit Paul, il est aussi prophétique.
L’Apôtre présente en raccourci l’œuvre de Jésus, en disant :
« il a voulu créer
en lui un seul Homme nouveau
en faisant la paix,
et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul
corps
par le moyen de sa croix » (Ep 2, 15-16).
Pourquoi Jésus est-il
mort un vendredi ? Voilà une autre question insolite. Jésus est mort un
vendredi parce que les circonstances historiques ont précipité son arrestation
et que son exécution fut décidée en hâte avant la fête de la Pâque (Mt 26,
5 ; Jn 19, 31). Aussi, les raisons qui ont déterminé le jour de la
mort de Jésus paraissent bien contingentes ; c’est un flot d’événements
que personne ne semblait maîtriser qui, dans une impatience irraisonnée, a
décidé de la date. Cette lecture du fait historique est plausible, mais Paul
indique une autre lecture plus spirituelle : en mourant historiquement un
vendredi, Jésus accomplit ce que le texte symbolique de la Genèse annonçait
prophétiquement, la création d’une humanité renouvelée. La création de l’homme
est dite avoir été accomplie symboliquement un vendredi pour montrer que
l’humanité est le joyau de la création. Mais l’humanité n’a pas tardé à se
dévoyer et la haine, la guerre, la division, sont trop rapidement le contexte
habituel des misères humaines quotidiennes. Et Dieu ne voulait pourtant pas
anéantir cette humanité qu’il avait créée « avec sagesse et par
amour »[1] ;
mais il ne pouvait non plus se résigner à la laisser périr, à l’abandonner à ses
mauvais choix. C’est pourquoi il a voulu, à partir de cette humanité qui
périclitait, créer une humanité nouvelle. Et le Vendredi Saint accomplit, par
la croix de Jésus, la promesse de renouvellement qui était contenue dans l’acte
créateur.
Ce n’est pas d’une
manière anodine, en effet, que Paul parle de « créer » un « Homme nouveau » (Ep 2, 15). Les mots sont exactement
choisis pour mettre en correspondance Adam et Jésus. Ailleurs, Paul dit, en
parlant du Christ : « Adam préfigure celui qui devait venir » (Rm 5,
14). Et il dit encore : « Le premier homme, Adam, devint un être vivant » (1Co 15,
45 ; Gn 2, 7), mais la vie biologique reçue par Adam est devenue, par
le péché, mort spirituelle. Et Adam n’a pu désormais transmettre à ses
descendants, en même temps que la vie, que la mortalité. Mais, ajoute
Paul : « le
dernier Adam – le Christ – est l’être spirituel qui donne la vie » (1Co 15,
45).
Nous avons été créés par
le don de la vie ; mais cette vie est devenue guerre, injustice, violence
et mort ; la vie transmise par Adam était devenue un « mur de la haine » (Ep 2,
14). Alors le Christ lui-même est mort à cause de nos guerres, de nos
injustices et de nos violences. Mais, dans sa mort, « par sa chair crucifiée » (Ep 2, 14),
il a fondé une humanité nouvelle. Nous avions été créés pour la paix ; Jésus nous a recréés par la réconciliation.
Ayant conscience de
cela, il nous est urgent de faire un sérieux examen de conscience : car on
ne voit pas que l’humanité ainsi fondée à nouveau soit tellement paisible. Certes,
nombreux sont les hommes qui vivent encore sans le Christ et qui se déchirent
dans la guerre, la violence et la terreur, n’ayant pas encore connu l’évangile.
Mais même parmi nous, parmi les chrétiens, des inimitiés subsistent, qui sont
plus scandaleuses encore, parce que nous savons, nous, que le Christ « a tué la haine » (Ep 2,
16). Comment se fait-il que nous ressuscitions quotidiennement la haine que
Jésus a tuée, chaque fois que nous sommes agressifs, égoïstes, rancuniers,
envieux, indifférents à nos frères ? Le message de l’évangile, que Paul
résume, est celui-ci : la réconciliation que le Christ a accomplie sur la
croix est l’acte de notre création nouvelle. L’engagement que cela exige de
nous est d’être fidèles à cette logique – il n’y a pas d’autre moyen d’être
chrétiens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.