vendredi 17 juillet 2015

16e dimanche - année B


Pourquoi l’homme a-t-il été créé un vendredi ? Vous excuserez cette étrange question. Bien sûr, si tant est que la science nous permette encore de parler de la création de l’homme, il est évident qu’il n’y avait, à l’époque de Lucy ou de l’homme de Tautavel, ni jours de la semaine, ni aucun calendrier. Pourtant, la Bible (qui a aussi son mot à dire sur la création) rapporte, selon un calendrier liturgique parfaitement établi, que l’homme et la femme ont été créés le « sixième jour » (Gn 1, 31) – ce qui, selon le décompte juif, indique la veille du sabbat, c’est-à-dire notre vendredi. Dans le texte de la Genèse, cette indication possède une valeur symbolique : l’humanité est le sommet, le couronnement de la création ; Dieu ne donne naissance à l’homme et à la femme que lorsque l’univers entier a été construit pour leur bien-être.
A partir de ce fait symbolique, tel qu’il est présenté dans le vieux récit de la Genèse, Paul élabore une autre interprétation : le texte de la Genèse n’est pas seulement symbolique, nous dit Paul, il est aussi prophétique. L’Apôtre présente en raccourci l’œuvre de Jésus, en disant :

« il a voulu créer en lui un seul Homme nouveau
en faisant la paix,
et réconcilier avec Dieu les uns et les autres en un seul corps
par le moyen de sa croix » (Ep 2, 15-16).

Pourquoi Jésus est-il mort un vendredi ? Voilà une autre question insolite. Jésus est mort un vendredi parce que les circonstances historiques ont précipité son arrestation et que son exécution fut décidée en hâte avant la fête de la Pâque (Mt 26, 5 ; Jn 19, 31). Aussi, les raisons qui ont déterminé le jour de la mort de Jésus paraissent bien contingentes ; c’est un flot d’événements que personne ne semblait maîtriser qui, dans une impatience irraisonnée, a décidé de la date. Cette lecture du fait historique est plausible, mais Paul indique une autre lecture plus spirituelle : en mourant historiquement un vendredi, Jésus accomplit ce que le texte symbolique de la Genèse annonçait prophétiquement, la création d’une humanité renouvelée. La création de l’homme est dite avoir été accomplie symboliquement un vendredi pour montrer que l’humanité est le joyau de la création. Mais l’humanité n’a pas tardé à se dévoyer et la haine, la guerre, la division, sont trop rapidement le contexte habituel des misères humaines quotidiennes. Et Dieu ne voulait pourtant pas anéantir cette humanité qu’il avait créée « avec sagesse et par amour »[1] ; mais il ne pouvait non plus se résigner à la laisser périr, à l’abandonner à ses mauvais choix. C’est pourquoi il a voulu, à partir de cette humanité qui périclitait, créer une humanité nouvelle. Et le Vendredi Saint accomplit, par la croix de Jésus, la promesse de renouvellement qui était contenue dans l’acte créateur.
Ce n’est pas d’une manière anodine, en effet, que Paul parle de « créer » un « Homme nouveau » (Ep 2, 15). Les mots sont exactement choisis pour mettre en correspondance Adam et Jésus. Ailleurs, Paul dit, en parlant du Christ : « Adam préfigure celui qui devait venir » (Rm 5, 14). Et il dit encore : « Le premier homme, Adam, devint un être vivant » (1Co 15, 45 ; Gn 2, 7), mais la vie biologique reçue par Adam est devenue, par le péché, mort spirituelle. Et Adam n’a pu désormais transmettre à ses descendants, en même temps que la vie, que la mortalité. Mais, ajoute Paul : « le dernier Adam – le Christ – est l’être spirituel qui donne la vie » (1Co 15, 45).
Nous avons été créés par le don de la vie ; mais cette vie est devenue guerre, injustice, violence et mort ; la vie transmise par Adam était devenue un « mur de la haine » (Ep 2, 14). Alors le Christ lui-même est mort à cause de nos guerres, de nos injustices et de nos violences. Mais, dans sa mort, « par sa chair crucifiée » (Ep 2, 14), il a fondé une humanité nouvelle. Nous avions été créés pour la paix ; Jésus nous a recréés par la réconciliation.
Ayant conscience de cela, il nous est urgent de faire un sérieux examen de conscience : car on ne voit pas que l’humanité ainsi fondée à nouveau soit tellement paisible. Certes, nombreux sont les hommes qui vivent encore sans le Christ et qui se déchirent dans la guerre, la violence et la terreur, n’ayant pas encore connu l’évangile. Mais même parmi nous, parmi les chrétiens, des inimitiés subsistent, qui sont plus scandaleuses encore, parce que nous savons, nous, que le Christ « a tué la haine » (Ep 2, 16). Comment se fait-il que nous ressuscitions quotidiennement la haine que Jésus a tuée, chaque fois que nous sommes agressifs, égoïstes, rancuniers, envieux, indifférents à nos frères ? Le message de l’évangile, que Paul résume, est celui-ci : la réconciliation que le Christ a accomplie sur la croix est l’acte de notre création nouvelle. L’engagement que cela exige de nous est d’être fidèles à cette logique – il n’y a pas d’autre moyen d’être chrétiens.




[1] cfMissel Romain, Prière eucharistique n° 4. 

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