Dans l’évangile, il y a
deux choses qui étonnent Jésus : la foi de quelques centurions romains qui
demandent un miracle (Lc 7, 9), et la défiance des membres de sa famille
et de ses proches qui l’empêche d’accomplir des guérisons (Mc 6, 6). Et
Jésus en déduit cette loi spirituelle : « Un prophète n’est déshonoré que dans son
pays, sa parenté et sa propre maison » (Mc 6, 4). Et Jésus, curieusement, ne se révolte
pas contre cette opposition qu’il rencontre ; il ne condamne pas ceux qui
le refusent, il fait quelques guérisons en passant, et il s’en va. Jésus
voulait sans doute faire plus de bien à ses proches, à ces gens qu’il
connaissait et qu’il aimait. Mais en constatant que cela n’est pas possible, en
voyant qu’ils ne sont pas capables de recevoir de lui le témoignage de la bonté
de Dieu, Jésus n’insiste pas, il ne reproche rien. Simplement, il part, il va
plus loin. Cette loi selon laquelle un prophète n’est pas fait pour les siens
est donc comme approuvée par Jésus : aucun prophète n’a pour mission de convertir
les gens de sa famille.
Ceci est particulièrement important pour
vous tous, baptisés, qui avez une mission prophétique. Le jour de votre
baptême, le prêtre vous a dit en effet : « Désormais tu es membre du corps du Christ
et tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi ». Par cette prière, l’Eglise confie
à tous les baptisés un rôle de témoignage, d’annonce ; nous n’avons pas
besoin de chrétiens honteux d’être chrétiens. Au contraire, avec courage, un
chrétien peut – et il doit – faire tout ce qui lui semble possible pour
annoncer un peu de cet évangile par lequel tous les hommes doivent être sauvés.
Mais voilà, un chrétien, un prophète, possède aussi une famille. En ces moments
de vacances, en cette période estivale, vous allez sans doute revoir vos
familles. C’est l’occasion de retrouvailles, de rencontres, de fêtes ; et
vous voilà donc, prophète, au milieu de ceux qui vous sont les plus proches,
pour lesquelles vous avez une affection familiale authentique.
Ce que l’évangile d’aujourd’hui nous
suggère, c’est que vous, chrétiens et prophètes, vous ne soyez pas pour les
vôtres des prophètes. Imaginez que (disons) votre neveu vienne vous trouver
pour vous dire : « Je suis prophète, et au nom de Dieu je vous
annonce que votre vie est intolérable et que vous êtes dans le péché jusqu’au
cou ; je vois déjà les flammes de l’enfer venir s’emparer de votre âme si
vous ne vous convertissez pas ! ». Que penseriez-vous d’une telle
déclaration de votre prophète de neveu ? A juste titre, vous penseriez que
c’est un insolent, un redresseur de torts, un reproche vivant qui ferait mieux
de se taire, de commencer par se convertir lui-même et de vous laisser en paix.
Ce que ce prophète impertinent et maladroit vous aura dit pourrait d’ailleurs
être le plus exact du monde, mais il n’avait pas, lui, à vous le dire. Il y
a des vérités qu’il faut laisser à d’autres le soin de proclamer.
Si Jésus lui-même, qui était irréprochable,
a été délicat au point de ne pas heurter les siens par un discours prophétique
(qui aurait été parfaitement juste et mérité), combien plus nous, baptisés,
prophètes pécheurs, pleins de mesquineries et de lâchetés, devons-nous nous
taire lorsque nous sommes tentés de faire la leçon aux gens de notre famille.
Mais alors que faut-il faire ? Car
lorsqu’on voit dans sa famille des rancunes inutiles, des méchancetés
gratuites, des haines sans raison, des injustices blessantes, que peut-on
faire, si on n’a pas le droit de les dénoncer ? La réponse est
inconfortable : si on veut suivre l’attitude de Jésus, il faut faire un
peu de bien là où l’on peut et ne pas insister. Se taire, mais prodiguer ici ou
là de petites attentions qui seront autant de signes discrets qui apporteront
un petit soulagement, un apaisement passager. On aurait aimé faire plus :
en dénonçant publiquement les torts de tout le monde on s’imagine qu’on aurait
résolu tous les problèmes, reconstruit une famille où tout le monde s’aimerait
désormais dans la paix et la bonne entente ! Pourquoi se contenter de
rendre seulement des petits services ? Mais non ; accuser tout haut
n’aurait servi à rien, sinon à aggraver les inimitiés ; la paix familiale ne
sort jamais d’un règlement de compte. Aider en secret est peu de chose, mais
c’est un peu de bien – et c’est cela
qui compte. Au moment des rencontres familiales, priez aussi, pour vous et pour
ceux que vous allez retrouver. Vous connaissez tous leurs défauts et ils
connaissent tous les vôtres ; vous leur en voulez peut-être et ils vous en
veulent parfois. Une petite minute de prière sera incapable de clore tous les
conflits, mais vous aidera à passer ensemble ce moment familial dans une
entente, fragile peut-être, mais bien réconfortante. Chrétiens, baptisés,
prophètes, avec les vôtres, ne soyez pas prophètes ; ils n’ont pas besoin de
vos oracles. Mais priez pour vos familles, c’est cela qui pourra apporter un peu
de paix.
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