La finale de l’évangile
selon saint Matthieu (28, 16-20) nous rappelle que le mystère de la sainte
Trinité, que nous fêtons en ce jour, n’est pas d’abord un traité de théologie.
Nous connaissons la Trinité avant tout parce que nous avons été baptisés
« au
nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit » (Mt 28, 19). La réalité trinitaire, en effet, est
d’abord ce dont on fait l’expérience dans la liturgie. Les formules trinitaires
éparses dans le nouveau Testament sont des salutations rituelles que les premiers
chrétiens utilisaient comme expression de leur charité mutuelle : « Que la grâce du
Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous » (2Co 13,
13). Telle est la manière dont nos pères dans la foi se souhaitaient du bien.
Aussi, on comprend que
le mystère de la Trinité et le mystère de la charité sont un seul et même
mystère. On peut accueillir sans réserve cette clef de lecture que nous fournit
saint Augustin : « Tu vois la Trinité, si tu vois la charité »[1].
Partout où la liturgie nous indique le mystère de la Trinité, c’est pour mieux
nous introduire dans la logique d’une charité ecclésiale. Que signifie que nous
ayons été baptisés dans la Trinité, sinon que nous avons été plongés dans la
charité ? Que signifie que nous nous adressions des salutations
trinitaires, sinon que nous nous parlons dans la charité ? Si le mystère
de la Trinité constitue l’horizon de toute la vie chrétienne, c’est parce que
la réalité de la charité est le cœur même de toute vraie spiritualité.
Après avoir confié à ses
apôtres le ministère baptismal (« baptisez-les… » ; Mt 28, 19), Jésus
ajoute : « apprenez-leur
à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 20). Qu’est-ce que Jésus a
donc commandé ? L’évangile répond évidemment à cette question en mettant
en relief les deux commandements qui sont « semblables » : « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu » ;
« tu
aimeras ton prochain comme toi-même » (cf. Mt 22,
36-40). Être baptisé dans l’amour et observer le commandement de l’amour, aimer
Dieu et aimer l’homme (qui est semblable à Dieu ; cf. Gn 1, 26), telle est la cohérence d’une vie
chrétienne. Et, vous le voyez, c’est bien le mystère trinitaire qui donne à
tout cela sa structure, sa logique profonde.
Il se peut, cependant,
que devant le mystère trinitaire, on ait des « doutes » (Mt 28,
17) : cette vérité d’un Dieu unique en trois Personnes dépasse tellement
ce qu’on peut concevoir. Il se peut aussi que devant l’exigence de l’amour, on
ait des doutes : ce commandement est d’une radicalité vertigineuse qui
surplombe les possibilités de notre cœur étroit et mesquin. Il est si difficile
de croire ; il est si difficile d’aimer. Dans les deux cas, le doute est
le même. Dieu peut être ce qu’il est, mais que m’importe si je suis englué dans
ma médiocrité : j’ai peur de croire, car je voudrais des preuves ;
j’ai peur d’aimer, car je crains de souffrir.
Le Christ, qui a partagé
notre misère sait bien que nous ne pouvons pas croire si nous sommes seuls, que
nous ne pouvons aimer s’il ne vient pas lui-même aimer en nous. C’est pourquoi
la dernière parole de Jésus est un mot de réconfort : « je suis avec vous tous
les jours »
(Mt 28, 20). « Tous les jours », c’est-à-dire : non
seulement quand tout va bien ; mais aussi (et surtout) quand tout va mal.
Jésus est avec nous dans la consolation et dans la désolation[2].
Quelle que soit donc la situation spirituelle de notre âme, favorable et
sereine, angoissée et lasse, Jésus est avec nous : il l’a promis, et il ne
peut nous décevoir.
Faire ainsi, dans la
prière de l’Eglise, l’expérience d’une charité qui nous précède, qui nous
accompagne, qui nous enveloppe, c’est déjà, autant qu’il est possible ici-bas,
« voir la Trinité ». Ce désir de voir Dieu est ainsi purifié sans
cesse par l’exigence toujours plus urgente d’une charité vraiment active. Il
n’y a pas d’autre voie possible : pour connaître Dieu, il faut aimer. A
ceux qui pensent que le mystère de la Trinité est une idée abstraite, un dogme
lointain, on peut ainsi répondre par le témoignage bien concret d’un amour
toujours plus authentique. Ainsi, « avec nous seront grâce, miséricorde et paix, de
la part de Dieu le Père et de Jésus Christ, le Fils du Père, dans la vérité et
dans la charité »
(2Jn 3).
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