Malgré
quelques bizarreries qui ne peuvent manquer de nous étonner, le récit de
l’élection de Mathias (Ac 2, 15-26) est un texte très important pour comprendre
ce qu’est l’Eglise. Regardons tout d’abord ce qui est curieux : ce tirage
au sort, assurément, est un usage qui est tombé en désuétude. Pour choisir un
Pape, un évêque ou un curé, il semblerait absurde d’interroger le hasard. Cette
pratique qui est aujourd’hui impossible était pourtant en vigueur dans
l’histoire ancienne d’Israël. Le grand prêtre possédait sur son vêtement
liturgique une sorte de bijou appelé le « Urim et Tummim » (Ex 28,
30 ; Lv 8, 8) dont on ignore la forme précise, mais dont on sait
qu’il servait à dire « oui » ou « non », un peu comme quand
on joue à pile ou face (1S 14, 41). Lorsqu’on voulait questionner le Seigneur
sur une affaire importante, on formulait une demande en « oui ou
non » au grand prêtre, qui répondait en consultant son Urim et Tummim.
Cela est donc très loin de notre mentalité, mais nous pouvons comprendre que,
dans l’histoire d’Israël et encore à l’époque des Apôtres, on pouvait retenir
ce moyen de consulter la volonté de Dieu.
Mais ce
n’est pas cela le plus important. Ce qu’il faut voir, dans ce récit, c’est que
le groupe des Apôtres se considère comme une totalité. Ils sont les Douze (Lc 6,
13) que Jésus avait choisis personnellement et, après la trahison et le suicide
de Judas, ils ne sont plus que les Onze (Lc 24, 9 ; 24, 33). Et cela
constitue un manquement grave à la plénitude que Jésus avait voulu instituer.
Il faut donc, avant de recevoir l’Esprit Saint, que le collège des Douze
Apôtres se reconstitue en tant que communauté complète.
Qu’est-ce
donc que l’Eglise ? S’agit-il, pour former l’Eglise, de juxtaposer des
évêques les uns à côté des autres ? Si c’était cela, la hiérarchie de
l’Eglise serait une collection d’individualismes. Mais telle n’est pas l’Eglise
que le Christ a confiée à Pierre ; et Pierre l’a bien compris : c’est
en tant que groupe, en tant que communauté que les Apôtres ont été choisis.
Certes, dans ce groupe, il y avait de fortes personnalités, des caractères très
différents. Mais l’Eglise fondée par le Christ, ce n’est pas chacun des Douze
pris individuellement ; l’Eglise, c’est la communion qui existe entre ces
Douze. Aussi, lorsqu’il en manque un, lorsque la communion est amoindrie,
l’Eglise est blessée et il faut restaurer le collège apostolique dans son
intégrité. Aujourd’hui encore, l’Eglise ce n’est pas chaque évêque tout seul dans
son diocèse. L’Eglise, dans son aspect hiérarchique, c’est la communion des
évêques entre eux et avec le Pape. Cela, le Concile Vatican II l’a rappelé
avec force, montrant que l’exigence de communion épiscopale appartenait à la
pratique immémoriale de l’Eglise.
« De même que saint
Pierre et les autres apôtres constituent, de par l’institution du Seigneur, un
seul collège apostolique ; de même le Pontife romain, successeur de
Pierre, et les évêques, successeurs des apôtres, forment entre eux un tout.
Déjà la plus antique discipline en vertu de laquelle les évêques établis dans
le monde entier vivaient en communion entre eux et avec l’évêque de Rome par le
lien de l’unité, de la charité et de la paix (…) signifie le caractère et la
nature collégiale de l’Ordre épiscopal »[1].
Certes,
chaque évêque est responsable de son diocèse et possède la compétence pour
mettre en œuvre la pastorale qui correspond, pour ses diocésains, à la volonté
de Dieu. Mais chaque évêque ne possède ce pouvoir, cette mission de gouverner une
Eglise particulière, que parce qu’il est en communion avec les autres évêques, concrètement :
avec les membres de sa conférence épiscopale nationale et, ultimement (ou plutôt : fondamentalement), avec
l’évêque de Rome. Et c’est aujourd’hui le rôle du Pape de faire ce que saint
Pierre a fait : lorsqu’il manque un évêque quelque part, c’est au Pape
qu’il revient de compléter le collège amoindri et de désigner, parmi les
fidèles, un nouveau membre de l’ordre épiscopal : « que
l’un d’entre eux devienne, avec nous, témoin de sa résurrection »
(Ac 2, 22). L’expression utilisée par Pierre, « avec nous »,
indique clairement ce qu’est la communion charitable dont les évêques se lient
les uns aux autres. Ainsi, l’Eglise c’est d’abord et avant tout la communion
des évêques entre eux, c’est la prière des évêques ensemble, c’est la charité
mutuelle des évêques, c’est l’accord des évêques sur les grandes questions
concernant la foi et les mœurs.
Et pour nous qui ne sommes pas
évêques, nous devons prendre exemple sur ce modèle. L’Eglise, ce n’est pas une
juxtaposition d’individus qui ont la foi ; l’Eglise, c’est la communion
des chrétiens entre eux, c’est la prière des chrétiens réunis, c’est l’amour
fraternel dont nous vivons quotidiennement, c’est notre adhésion générale à
l’évangile et au symbole de la foi que nous proclamons chaque dimanche. Voilà
ce qu’est l’Eglise.
C’est
dans cette Eglise, dans une Eglise comprise comme communion entre évêques et
communion entre fidèles, que l’Esprit Saint peut venir. L’Esprit Saint ne désire
pas venir si chacun se préoccupe de lui seul, si chacun fait ce qu’il veut sans
tenir compte des autres. L’Esprit Saint ne peut venir sur ce qui est divisé,
sur ce qui est égoïste. L’Esprit Saint ne sait que rassembler, il ne sait
qu’unir ; il ne sait que renforcer la communion entre les hommes. Dans
l’attente de la Pentecôte, nous aurons à cœur de vivre consciemment,
concrètement, de l’unité ecclésiale. Alors nous pourrons prier d’un cœur
sincère : « Viens, Esprit Saint en nos cœurs ».
[1] Concile
Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium, n° 22.
Illustration :
Le Concile Vatican II (porte de la Basilique de Saint Marie Majeure –
Rome).
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