« Aimez-vous
les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). Cette parole de Jésus
a été tellement répétée, qu’on ne voit peut-être plus très clairement ce
qu’elle a d’original, comment elle est un « commandement nouveau » (Jn 13,
34 ; 1Jn 2, 7-8 ; 2Jn 5). Est-ce seulement une invitation à
l’amour plutôt qu’à la violence ? Si ce n’était que cela, Jésus ne serait
qu’un pacifiste. Ce commandement est-il d’abord une exigence morale ?
Certes, il y a bien une exigence morale, puisque Jésus ajoute : « si vous êtes fidèles à mes commandements vous
demeurerez dans mon amour » (Jn 15, 10). Mais, ce commandement va plus loin.
S’agirait-il alors d’une sacrifice, puisque Jésus déclare encore : « Il n’y
a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis »
(Jn 15, 13). Oui, la logique de l’amour nous pousse à l’offrande, comme
Jésus nous l’a montré dans l’Eucharistie et sur la Croix. Tout cela est vrai.
Et pourtant, cela ne permet pas encore de distinguer véritablement le
commandement de l’amour chrétien d’une simple générosité humaine authentique.
Je
voudrais vous faire remarquer autre chose qui permet de mieux comprendre ce que
ce commandement a d’original. Un commandement, en général, s’adresse à une
personne qui, par l’ordre qui lui est donné, est constituée responsable d’une
action. Si on me dit : « aime ton prochain », je peux me
demander : « qui est mon prochain ? » (Lc 10,
29), et je deviens alors responsable de l’amour que je lui porte ; en
revanche, ma responsabilité ne serait nullement engagée si ce prochain, que
j’aime, était haï par d’autres. Et même si tous les hommes ont reçu ce
commandement : « aime ton prochain », chacun n’est responsable
que de l’amour qu’il donne, ou ne donne pas, à ceux qui sont ses prochains.
Jésus,
ici, ne dit pas : « aime ton prochain », mais « aimez-vous ».
En donnant ce commandement au pluriel, il accomplit quelque chose
d’inouï : il rend chacun responsable
de l’amour de tous. Si je reçois le commandement : « aimez-vous »,
je dois d’abord faire un effort pour aimer, moi-même, ceux qui m’entourent.
Mais je dois être également vigilant à ce que ne surgissent pas de haines par
ailleurs. Nous découvrons que Jésus ne
nous a pas seulement aimés, mais il a
fait que nous nous aimions. Aimer comme Jésus nous a aimés signifie non
seulement aimer soi-même ceux qui nous entourent, mais aussi veiller à ce
qu’aucune discorde ne vienne blesser la charité, nulle part.
On peut
illustrer cela dans les relations familiales. Un père, une mère ont pour devoir
d’aimer leurs enfants. Ils aiment, chacun, personnellement, leurs enfants. Mais
ils doivent veiller également à ce que leurs enfants s’aiment entre eux. Il ne
suffit pas à l’équilibre d’une famille que les parents aiment chacun
séparément ; ils sont encore les garants de la bonne entente fraternelle.
Combien cela est délicat et difficile parfois ! Mais on mesure à la
douleur ressentie à l’occasion des inimitiés fraternelles l’importance de cette
vérité. C’est exactement cela que Jésus nous a commandé : il ne suffit pas
que chacun soit responsable de l’amour que, personnellement, il donne aux
autres. Jésus engage notre responsabilité
chrétienne sur l’amour universel. Tant que, dans l’Eglise, deux personnes
se haïssent, il est de la responsabilité de l’Eglise tout entière de faire
qu’elles se réconcilient. Et personne ne peut se dire en règle du commandement
de l’amour s’il subsiste une seule haine dans l’Eglise.
Vous
voyez donc combien ce commandement de Jésus est original, car il s’adresse à
toute l’Eglise ; il rend chacun de nous responsable de la charité de toute
l’Eglise. Nous ne devons pas seulement aimer tous nos frères ; nous devons
faire que tous nos frères s’aiment. Pour entrer dans cette exigence absolue, il
n’y a pas d’autre moyen que de donner sa vie. De même que le Christ a offert sa
vie pour tous les hommes, chacun est invité à le faire, à sa mesure, selon sa
vocation : les parents donnent leur vie pour que leurs enfants
s’aiment ; le prêtre donne sa vie pour que sa paroisse grandisse dans la
communion et la charité ; chacun donne sa vie pour que ses proches vivent
dans un amour vrai. Toute division, toute haine, tout schisme apparaît alors
comme une blessure insupportable, qui nous placerait tous en défaut devant le
commandement de Jésus. Hors de cela, il n’y a rien de chrétien. Nous pouvons
nous souvenir de cette définition de la vie chrétienne : « Où sont
amour et charité, Dieu est présent ».
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