« … sachant que désormais
toutes choses étaient accomplies » (Jn 19, 28).
Voilà bien une phrase
extraordinaire : nous voyons un homme cloué sur une croix, qui n’a plus
que quelques minutes à vivre dans des souffrances atroces, un homme abandonné
de tous, dont la vie se conclut par le plus lamentable échec : cet homme,
que peut-il savoir ? Et quand bien même aurait-il compris quelque chose,
sa déréliction paraît démentir que cela soit important pour nous. Mais
l’évangéliste dit : « sachant désormais que toutes choses étaient
accomplies ». Jésus, mourant, « sait ». Et que sait-il ?
« Que toutes choses sont accomplies », c’est-à-dire : que tout
ce qu’il est venu faire dans notre pauvre humanité est maintenant fait. Il est
venu sauver le monde ; le monde est désormais sauvé ; et il le sait.
Dans la liturgie de ce
jour, que l’Eglise considère malgré tout comme une messe (puisque le rite se
trouve décrit dans le Missel), nous
entendrons, à la place de la prière eucharistique, une prière universelle d’une
ampleur inhabituelle. C’est pour nous l’occasion de comprendre que la prière
eucharistique des messes ordinaires et la prière universelle de ce jour ne sont
rien d’autre qu’une représentation liturgique de cette connaissance que
possédait Jésus en mourant : sur la Croix, Jésus a vu tous les hommes,
croyants ou non, fidèles ou pécheurs, consacrés ou vivant dans le monde, tous
les souffrants, tous les blessés, tous les impies, Jésus a vu chacun de nous,
et il a vu que personne n’était voué à l’enfer. Dans sa prière pour toute
l’humanité, prière dont il savait qu’elle était forcément exaucée (n’est-il pas
le Fils de Dieu ?) il a donc « su » que l’humanité prendrait le
chemin du salut. Il n’est pas naïf de croire que, sur la Croix, Jésus a
personnellement vu chacun d’entre nous, que dans telle souffrance, il pensait
précisément à untel. Saint Paul ose dire à la 1ère personne du
singulier : le Christ « m’a aimé et s’est livré pour
moi » (Ga 2, 20) ; cela, chacun, à la suite de saint Paul peut le dire : en
mourant, le Christ m’a vu, le Christ a prié pour moi, le Christ m’a sauvé ;
en mourant, Jésus a « su » que j’étais sauvé.
Cela, Jésus le sait.
Moi, je ne le sais pas encore, et mon salut me paraît hasardeux, compliqué,
compromis peut-être. Dans les moments de découragement ou de doute, je peux
cependant m’appuyer sur ce dont Jésus a eu l’intuition lumineuse. Avoir la foi,
c’est aussi accueillir avec confiance ce qu’un crucifié a su : « tout
est accompli », le monde est sauvé.
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