« Tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde.
Or la victoire
remportée sur le monde, c’est notre foi.
Qui donc est vainqueur
du monde ?
N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de
Dieu ? »
(Jn 5, 4-5).
Nous avons célébré la Résurrection
du Christ dimanche dernier, et nous poursuivons dans la joie ce temps
pascal ; la liturgie nous invite aujourd’hui à méditer sur le thème de la
« victoire ». Dans le paganisme grec, que saint Jean connaissait sans
doute très bien, la « Victoire » est une déesse[1] ;
les visiteurs du Louvre connaissent cette somptueuse statue retrouvée à
Samothrace qui personnifie la victoire militaire sous les traits d’une femme
géante, ailée, triomphale[2].
Tous les lecteurs de Jean savent ce qu’est la victoire : après un période
d’épreuve, de violences mutuelles et de guerre, celui qui l’a emporté peut
soumettre le vaincu à des humiliations et assouvir en nouvelles souffrances
infligées les souffrances qu’il a subies. C’est cela – qui est assez horrible –
qu’on a personnifié et divinisé dans les représentations idéologiques :
gloire aux vainqueurs, malheur aux vaincus.
Dans la Bible, qui n’est
pas dépourvues de pages militaires cruelles, la victoire n’est évidemment pas
divinisée (il n’y a qu’un seul Dieu) ; mais elle n’est pourtant pas sans
rapport avec Dieu. Dans les récits, particulièrement féroces des livres des
martyrs d’Israël, on lit ainsi : « car la victoire à la guerre ne tient pas
à l’importance de la troupe : c’est du Ciel que vient la force » (1M 3, 19).
Pourtant, contrairement à ce que ce bel optimisme proclame, le
« ciel » a souvent abandonné dans la défaite un peuple d’Israël moins
puissant que ses voisins, souvent conquis par eux, souvent maltraité par les
grands empires de l’Orient ancien. L’histoire d’Israël n’est pas une liste de
succès militaires ; c’est plutôt une succession de déroutes, avec ceci de
très étonnant pour la mentalité antique : bien que le peuple soit vaincu,
il n’abandonne pas son Dieu – ou, pour dire la même chose autrement : bien
que le peuple soit vaincu, son Dieu ne l’abandonne pas. Car, si la victoire
vient bien du ciel, ce n’est pas cela qui engage le peuple dans la foi. La foi
d’Israël est au-delà de la victoire ou de la défaite. Dans le creuset de
l’épreuve, la confiance que le peuple place en Dieu ne s’arrête pas à la
considération du salut ou de la perte (Dn 3, 17-18) ; l’exigence de
fidélité concerne les situations favorables comme les situations de détresse.
Dans l’évangile selon
saint Jean, c’est avec cette idée d’une foi qui transcende les faits qu’il faut
relire l’exhortation de Jésus : « Courage ! Moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16,
33). Jésus annonce aux disciples qu’il va souffrir et mourir, ce qui se
produira dans quelques heures. Et, prophétisant cet échec définitif dans sa
propre mort, Jésus proclame donc sa victoire : victoire paradoxale, en
effet. D’habitude, c’est le vaincu qui meurt au combat, ou qui est mis à mort à
l’issue de la bataille. Mais Jésus va mourir, et c’est cela qu’il appelle sa
victoire.
Après la mort de Jésus,
que reste-t-il de sa victoire ? Voilà la question que pose le passage de
la lettre de saint Jean entendu aujourd’hui, à laquelle il est répondu :
« la victoire remportée sur le monde, c’est
notre foi »
(1Jn 5, 4). Aujourd’hui, alors que le monde est toujours plongé dans la
violence et que des chrétiens sont massacrés ici ou là, alors que le monde est
désespéré et sans repère, la victoire du Christ est toujours à l’œuvre, et
cette victoire, c’est la foi de l’Eglise. Être victorieux, c’est croire. Vous
savez bien que croire n’empêche pas d’être persécuté, n’empêche pas de
souffrir, n’empêche pas de pécher, n’empêche pas de mourir : être
persécuté, souffrir, pécher, mourir, cela ressemble bien à des défaites ;
cela semble être l’échec, le démenti de la foi. La logique de saint Jean est
autre : croire en étant persécuté, croire en souffrant, continuer de
croire alors même que je vois les péchés où m’entraîne ma faiblesse, croire à
l’heure de la mort, c’est cela, la victoire du Christ dans l’existence de
chaque fidèle.
L’Eglise des premiers
siècles avait une vive conscience de ce paradoxe : mourir en étant
victorieux. Les premières pages de l’Apocalypse
de saint Jean l’illustrent selon une très profonde spiritualité, en détaillant
sept oracles ‘‘au victorieux’’ :
« Au victorieux,
je ferai manger de l’arbre de vie
placé dans le Paradis de Dieu »
(Ap 2, 7)
« Le victorieux
n’a rien à craindre de la seconde mort » (Ap 2, 11)
« Au victorieux,
je donnerai de la manne cachée » (Ap 2, 17)
« Le victorieux,
celui qui garde mon service jusqu’à la fin,
je lui donnerai autorité sur les nations » (Ap 2,
26)
« Le victorieux
portera des vêtements blancs » (Ap 3, 5)
« Du victorieux,
je ferai une colonne
dans le sanctuaire de mon Dieu » (Ap 3, 12)
« Le victorieux,
je lui donnerai de siéger avec moi
sur mon trône » (Ap 3, 21)
Source
de l’illustration : La déesse Victoire debout à droite, les ailes
déployées, tenant de la main droite une couronne et de la gauche la stylis ;
dans le champ à gauche, une tête de trident posée verticalement la tête en bas.
Légende revers : ALEXANDR.U ; traduction : (d’Alexandre).
Date vers 325-320 AC.
Auteur : cgb.fr
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