La première lettre de
saint Jean est un texte magnifique. Saint Augustin faisait remarquer que, dans
cette lettre, « l’apôtre a dit bien des choses, et presque tout ce qu’il a
dit se rapporte à la charité » ; et il compare la lecture de cette
épître à l’huile qui entretient le feu d’une lampe[1].
C’est dans ce texte qu’on lit, par deux fois, cette admirable formule qui pourrait
bien résumer toute la foi catholique : « Dieu est charité » (1Jn 4, 8 ;
16). Cette proclamation résonnera dans nos églises les 6ème et 7ème
dimanches de Pâques comme étant, en quelque sorte, la grande charte de notre
théologie et de notre morale.
Dans le bref passage que
nous avons entendu (1Jn 2, 1-5), saint Jean décrit ainsi l’exigence de
vérité dans l’amour que les chrétiens doivent vivre : « Celui qui dit : ‘‘Je le connais’’, et
qui ne garde pas ses commandements, est un menteur ; la vérité n’est pas
en lui » (1Jn 2,
4). Il est
facile, en effet, de dire qu’on connaît et qu’on aime Dieu, mais tant qu’on se
contente de le dire, cela reste quelque chose de vague qui peut nous tromper
nous-mêmes. En revanche, si nous disons que nous aimons Dieu et si nous le
prouvons en gardant ses commandements,
alors il s’agit d’un amour en vérité. On imagine le plus souvent que l’amour
est un grand sentiment, agréable et profond, exaltant et printanier. Et on
pense aussi que la vérité est quelque chose d’austère, de cérébral, de
désincarné. En réunissant ainsi l’amour et la vérité en un seul commandement,
saint Jean nous conduit en fait jusqu’à une vérité amoureuse, jusqu’au seul
amour véritable : « en celui qui garde fidèlement sa parole, l’amour de Dieu
atteint vraiment la perfection » (1Jn 2, 5).
C’est-à-dire que l’amour
relève avant tout de la volonté, de la décision, plutôt que du sentiment. Un
amour sentimental, on appelle cela de la sympathie, de l’affinité. C’est déjà
quelque chose de bien, et de respectable ; mais ce dont parle saint Jean
est beaucoup plus réel. L’amour qu’il décrit consiste à connaître en vérité la
volonté de Dieu et à l’accomplir de manière précise, réfléchie, avec courage et
humilité. Et qu’est-ce que la volonté de Dieu ? C’est ce qui se trouve
dans sa parole. La vérité de l’amour c’est ainsi, tout d’abord, dans l’Ancien
Testament, les dix commandements. Il n’y a pas d’amour possible si on
transgresse les fondements de la loi morale : il n’y a pas d’amour
lorsqu’on tue. Dit ainsi, cela paraît évident – et pourtant, avec l’euthanasie,
on essaye de nous faire croire à l’aide d’un mot compliqué et
déresponsabilisant qu’on puisse tuer par amour. Il n’y a pas d’amour quand on
séduit la femme de son meilleur ami – et pourtant, on essaye de nous faire
croire que, par amour, on puisse briser légitimement des familles ; on
pourrait, par amour, commettre un adultère ! Les mots sont piégés :
on commet l’adultère par passion, mais non par charité. Or, la vérité de
l’amour, ce n’est pas passion, c’est la charité. La vérité de l’amour, c’est
aussi, pour aujourd’hui, les commandements de l’Eglise : la prière
quotidienne, la messe de chaque dimanche, la confession régulière. Sans
pratique chrétienne explicite, engagée, habituelle, l’amour de Dieu serait bien
tiède ; sans prière, sans messe, sans pénitence, comment savoir qu’on aime
Dieu ? Si nous comprenons cela, alors le commandement de l’amour prendra
pour nous un sens concret et libérateur. Nous pourrons alors, mais alors
seulement, suivre le conseil de saint Augustin : « Aime et fais ensuite ce que tu veux »[2].
Car celui qui aime en vérité (c’est-à-dire : en gardant les commandements
de Dieu) ne peut ensuite vouloir que le bien véritable.
Voilà pourquoi saint
Jean commence par dire : « Je vous écris pour que vous évitiez le péché » (1Jn 2, 1),
parce que le péché, désobéir aux commandements de Dieu, c’est cela qui blesse
l’amour véritable. Mais saint Jean va plus loin ; il ne dit pas :
« Je vous écris pour que vous évitiez le péché ; mais si vous péchez,
je vous rejette, je vous condamne, je vous abandonne à votre culpabilité
éternelle ». Il dit, au contraire : « Mes petits enfants, je vous écris pour que
vous évitiez le péché. Mais, si l’un de nous vient à pécher, nous avons un
défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste » (1Jn 2, 1). Cela ne veut pas dire
que le péché n’est pas grave, ou qu’on peut vivre n’importe comment et que
Dieu, un peu faible, un peu lâche, pardonnerait toujours (Oui, il pardonne
toujours ; mais il présomptueux de croire qu’on accueillera toujours son
pardon…). Saint Jean veut dire que le Christ, lui qui nous a aimés sans jamais
commettre le mal, sans jamais dire un mensonge, sans jamais poser un acte de
violence, lui qui est mort par amour pour nous, est prêt à être notre avocat si
notre conscience nous accuse (1Jn 3, 20). Et pourtant, c’est nous qui
l’avons insulté, qui l’avons condamné, qui l’avons torturé, qui l’avons tué.
Nous avons tué notre défenseur ; quand un bandit assassine son avocat, qui
va le défendre ? Et c’est ce que nous avons fait. Mais comme l’amour du
Christ est plus grand que notre méchanceté, le Christ fait de son amour un
argument plus fort que notre culpabilité. Notre avocat, que nous avions tué,
est vivant, et il plaide maintenant en notre faveur.
N’ayons pas peur de regarder lucidement nos torts, nos fautes,
nos méchancetés, nos rancunes… mais regardons aussi Jésus Christ qui souffre et
qui nous aime, regardons Jésus Christ ressuscité, en gloire auprès de son Père,
qui nous invite à entrer dans la lumière. Si Dieu nous commande d’aimer, c’est
parce qu’il nous aime, lui, le premier (1Jn 4, 19), et que son amour sait
déjà réparer nos manques d’amour. S’il nous commande d’aimer, c’est aussi pour
que nous aimions, et qu’ainsi nous lui devenions semblables (1Jn 3, 2),
puisque « Dieu est amour ».
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