Revenons
sur une admirable expression de saint Paul : « l’obéissance de
la foi »
(Rm 16, 26). Saint Paul avait déjà expliqué que la foi venait de ce qu’on
entend (Rm 10, 17 ; cf. Ga 3,
2-5). Le mot d’obéissance est aujourd’hui mal considéré. Ce mot a pourtant été
forgé par les chrétiens pour désigner l’attitude la plus libre qui soit :
écouter la parole de Dieu qui me sauve, y croire et être, en effet, sauvé. L’obéissance,
c’est l’acte de celui qui écoute, qui comprend, et qui consent. La foi n’est
pas d’abord une parole prononcée,
mais une parole
écoutée avec docilité, une parole que l’on comprend, et à laquelle on
donne son adhésion. La liturgie du baptême le manifeste clairement : la
première profession de foi du baptisé – ou de ses parents – n’est pas une déclaration personnelle. La première
fois, c’est le prêtre qui parle, qui questionne : « Crois-tu en Dieu
le Père ? Crois-tu en son Fils Jésus Christ ? Crois-tu en l’Esprit et
en l’Eglise ? » ; et le baptisé écoute, et s’il décide d’entrer
dans la foi, il répond : « Oui, je crois ». Notre foi en Dieu ne
vient pas de nos petites pensées – même géniales – elle ne vient pas de nos paroles ; la foi est une parole de Dieu que nous avons entendue
et à laquelle nous avons obéi, dans ce sens qu’on vient de dire. Le
christianisme est la religion du salut par l’écoute : c’est cela
l’obéissance.
Cette attitude est précisément
ce qu’a vécu Marie lors de sa rencontre avec l’ange (Lc 1, 26-38). Ce
n’est pas Marie qui ouvre le dialogue. Sans doute que Marie savait prier,
parler à Dieu ; mais elle savait surtout écouter et nous la voyons d’abord silencieuse. C’est l’ange qui
parle, qui annonce, qui révèle : « Et voici que tu vas concevoir et
enfanter un Fils »
(Lc 1, 31). Le message est un peu étonnant et Marie est bouleversée. Alors
elle questionne, nous pour mettre en doute, non pour hésiter, non pour être
indiscrète, mais pour bien comprendre ce qui lui est dit. Car la foi est une écoute
intelligente, et non un assentiment aveugle. C’est pourquoi Marie a raison de
demander : « Comment
cela va-t-il se faire ? » (Lc 1, 34). L’ange répond. Dieu est
délicat et il ne veut pas nous laisser
dans le trouble lorsqu’il nous donne une mission ; il ne renonce
pas à expliquer quelque chose de la vocation de chacun. La vocation de Marie
c’est : « l’Esprit
Saint viendra sur toi… » (Lc 1, 35). Et Marie pose alors l’acte de
« l’obéissance de la foi » : « Voici la servante du Seigneur » (Lc 1, 38). Elle
a su écouter, elle a demandé de bien comprendre, elle a accepté sans réserve la volonté de
Dieu.
Le Concile
Vatican II décrit encore cette même logique, qui vaut pour nous
tous : « A Dieu qui révèle est due l’obéissance de la foi par
laquelle l’homme se remet totalement et librement à Dieu »[1].
Voilà qui peut combler le cœur de l’homme inquiet : s’en remettre
totalement et librement à Dieu. L’Eglise ne connaît pas d’autre chemin de
bonheur. Celui qui s’en remet un peu à
Dieu, et qui se conserve un peu pour lui-même, celui-là sera toujours déçu par la
part de lui-même qu’il n’a pas donnée. En revanche, celui qui se donne tout
entier à Dieu, celui-là seul est vraiment libre, parce qu’il trouve en Dieu sa
liberté. L’obéissance du croyant n’est pas une résignation ni une abnégation :
c’est la liberté même. Marie
n’est pas brimée comme servante du Seigneur ; c’est au contraire parce qu’elle est la servante du Seigneur qu’elle
est vraiment libre. Un adage de
la tradition chrétienne l’affirme dans une formule marquante :
« La liberté parfaite,
c’est de servir Dieu le Christ,
de l’aimer, lui qui
nous a vraiment libérés,
lui qui est le vrai
Fils de Dieu
et le Seigneur, ayant
revêtu une forme d’esclave
– non pas un esclave,
mais : le Seigneur
ayant revêtu une forme d’esclave »[2].
On ne comprend rien à
l’obéissance ni à la foi tant qu’on leur oppose la liberté : écouter pour
croire, telle est bien la liberté de la foi chrétienne. Car c’est bien parce
que nous avons cru en la parole qui nous a été annoncée que nous avons été
libérés de nos fautes, de nos erreurs, de nos étroitesses.
Pour être vraiment
libres, la Bible nous dit qu’il faut donc commencer par écouter. Aujourd’hui où
tout le monde veut prendre la parole, revendiquer, faire valoir son point de
vue, en famille, au travail, dans la vie politique, dans les médias, personne
ne se rend compte que tout le monde parle dans un brouhaha où personne
n’écoute. Mais si personne n’écoute, si tout le monde est sourd, notre parole
est un piège. Chacun est finalement esclave
de ce qu’il a dit, de ce qu’il défend, esclave de sa propre opinion. Dans l’Eglise rien de tel ;
on prend le temps du silence pour écouter, et pour comprendre. Et la réponse libératrice, la réponse de la foi n’est pas une cacophonie
ni un long discours bruyant ; elle tient en peu de mots. C’est tout simplement :
« Amen ».
[1] Concile
Vatican II, Constitution dogmatique sur la révélation divine Dei Verbum, n° 5.
[2] « Perfecta vero libertas est, Deo Christo
servire: illum diligere, qui vere nos liberavit: qui verus est Filius Dei, et
dominus in forma servi: non servus, sed in forma servi dominus » (Bède
le Vénérable, Commentaire sur l’évangile
de saint Jean, VIII, P.L. 92, 750). L’idée vient de saint Augustin (De quantitate animæ, XXXIV, 78 ;
P.L. 32, 1078). La formulation de saint Bède a été reprise par Alcuin (Sur l’évangile de Jean ; P.L. 100,
969), par Haymon d’Auxerre (Homélies ;
P.L. 118, 214), etc.
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