Pour une fois, le texte
de l’évangile que nous venons d’entendre (Mt 22, 34-40) est d’une
simplicité que j’ose dire biblique. Il n’y a aucune dureté, aucune image
difficile, aucune agressivité de la part des auditeurs. Jésus délivre le
message le plus important du christianisme dans un contexte de relative
sérénité. Que dit donc Jésus ? On lui pose une question sur la loi de
Moïse, on lui demande quel est le commandement le plus important. Jésus cite
tout d’abord le premier commandement du Décalogue : « Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Dt 6,
5) ; il cite ensuite un petit commandement tiré du Lévitique : « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers
les enfants de ton peuple. Tu aimeras
ton prochain comme toi-même. Je
suis le Seigneur » (Lv 19, 18). En citant le Décalogue, Jésus
indiquait une valeur sûre, connue et reconnue par tous ; en citant un
petit commandement du Lévitique, il
indiquait un texte plus marginal. Le Lévitique
regorge de commandements un peu entassés dans un fourre-tout législatif ;
ce sont des prescriptions juridiques, cultuelles, morales, et on a du mal à y
voir clair lorsqu’on lit ces textes mal organisés. Mais Jésus, lui, y voit
clair, et il sait mettre en lumière ce qui est vraiment important ; et il
dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette
enseignement de Jésus ne pose pas de problème particulier.
La chose la plus étonnante, que je voudrais
évoquer plus longuement, c’est que Jésus dit que ces deux commandements sont
« semblables » (Mt 22, 39). Il est donc semblable d’aimer Dieu
et d’aimer son prochain comme soi-même. D’où vient cette similitude ? Pour
découvrir cela, il faut toujours aller relire la première page de la
Bible : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre
ressemblance » (Gn 1, 26). Ainsi, aimer Dieu et aimer l’homme qui est
semblable à Dieu se trouvent situés dans une profonde cohérence. Saint Jean
affirme, d’une manière tout à fait claire : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il déteste son frère,
c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait
aimer Dieu qu’il ne voit pas. Oui, voilà le
commandement que nous avons reçu de lui : que celui qui aime Dieu aime
aussi son frère » (1Jn 4, 20-21).
Le message du Christ indique donc les droits
de Dieu, qui se fondent sur la bonté et la puissance de notre Créateur ;
mais le message du Christ indique également les droits de l’homme qui se
fondent sur sa dignité d’avoir été créé à la ressemblance de Dieu. Et il y a
entre ces deux exigences une telle harmonie qu’on ne peut léser l’homme sans
offenser Dieu, on ne peut renier Dieu sans blesser l’humanité. On voit bien que
ceux qui méprisent la dignité humaine commettent un péché contre Dieu lui-même.
C’est pourquoi l’Eglise a à cœur de proclamer la noblesse de l’homme et qu’elle
dénonce tout ce qui peut obscurcir la conscience de cette dignité ; elle
s’oppose à ce qui avilit la nature humaine. Parallèlement, on voit aussi qu’une
société qui rejette Dieu se déshumanise ; nous en avons le désastreux
spectacle dans notre monde moderne. Et c’est pourquoi l’Eglise proclame sans
cesse que l’homme ne peut vivre sans Dieu et que Dieu doit être le premier
servi, que lui seul doit être adoré.
Le malheur de l’homme vient de ce qu’il
cherche à s’aimer lui-même en oubliant Dieu. L’homme pense que le confort et
l’estime de soi lui procureront un vrai épanouissement. Jésus vient ici
rappeler qu’il est bon de s’aimer soi-même ; les ravages de la ‘‘haine de
soi’’ ne nous sont pas inconnus et il faut s’en préserver absolument. Mais on
ne peut s’aimer soi-même que dans la mesure où on aime son prochain, et l’on
n’aime son prochain que dans la mesure où on aime Dieu. L’égoïsme consiste à
séparer ces commandements. Certains, des narcissiques,
pensent à s’aimer eux-mêmes sans aimer personne d’autre. D’autres, des généreux activistes, s’épuisent à aimer
les autres, sans prendre soin de leur vie spirituelle. D’autres enfin, des contemplatifs timides, veulent aimer
Dieu exclusivement et vivent reclus dans leurs dévotions. Toutes ces attitudes
sont désordonnées ; c’est à la mesure de l’équilibre où l’on aime Dieu,
soi-même et le prochain qu’on peut trouver un vrai épanouissement moral et
spirituel.
Jésus ajoute que la conjonction de ces deux
commandements résume tout, « la Loi et les Prophètes », dit-il. C’est
dire que celui qui a compris cette logique a tout compris. Il n’y a pas d’autre
secret, il n’y a pas d’autre vérité dans la Bible. Mais il ne s’agit pas de
comprendre avec sa seule intelligence ; il s’agit de le choisir, et d’en
vivre. Demandons à Dieu d’illuminer le cœur des hommes d’aujourd’hui ;
qu’il fasse comprendre le bonheur qu’il y a à aimer. Il est temps de bâtir une
civilisation de l’amour.
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