jeudi 23 octobre 2014

30e dimanche - année A



Pour une fois, le texte de l’évangile que nous venons d’entendre (Mt 22, 34-40) est d’une simplicité que j’ose dire biblique. Il n’y a aucune dureté, aucune image difficile, aucune agressivité de la part des auditeurs. Jésus délivre le message le plus important du christianisme dans un contexte de relative sérénité. Que dit donc Jésus ? On lui pose une question sur la loi de Moïse, on lui demande quel est le commandement le plus important. Jésus cite tout d’abord le premier commandement du Décalogue : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Dt 6, 5) ; il cite ensuite un petit commandement tiré du Lévitique : « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur » (Lv 19, 18). En citant le Décalogue, Jésus indiquait une valeur sûre, connue et reconnue par tous ; en citant un petit commandement du Lévitique, il indiquait un texte plus marginal. Le Lévitique regorge de commandements un peu entassés dans un fourre-tout législatif ; ce sont des prescriptions juridiques, cultuelles, morales, et on a du mal à y voir clair lorsqu’on lit ces textes mal organisés. Mais Jésus, lui, y voit clair, et il sait mettre en lumière ce qui est vraiment important ; et il dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cette enseignement de Jésus ne pose pas de problème particulier.
La chose la plus étonnante, que je voudrais évoquer plus longuement, c’est que Jésus dit que ces deux commandements sont « semblables » (Mt 22, 39). Il est donc semblable d’aimer Dieu et d’aimer son prochain comme soi-même. D’où vient cette similitude ? Pour découvrir cela, il faut toujours aller relire la première page de la Bible : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance » (Gn 1, 26). Ainsi, aimer Dieu et aimer l’homme qui est semblable à Dieu se trouvent situés dans une profonde cohérence. Saint Jean affirme, d’une manière tout à fait claire : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu et qu’il déteste son frère, c’est un menteur : celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas. Oui, voilà le commandement que nous avons reçu de lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1Jn 4, 20-21).
Le message du Christ indique donc les droits de Dieu, qui se fondent sur la bonté et la puissance de notre Créateur ; mais le message du Christ indique également les droits de l’homme qui se fondent sur sa dignité d’avoir été créé à la ressemblance de Dieu. Et il y a entre ces deux exigences une telle harmonie qu’on ne peut léser l’homme sans offenser Dieu, on ne peut renier Dieu sans blesser l’humanité. On voit bien que ceux qui méprisent la dignité humaine commettent un péché contre Dieu lui-même. C’est pourquoi l’Eglise a à cœur de proclamer la noblesse de l’homme et qu’elle dénonce tout ce qui peut obscurcir la conscience de cette dignité ; elle s’oppose à ce qui avilit la nature humaine. Parallèlement, on voit aussi qu’une société qui rejette Dieu se déshumanise ; nous en avons le désastreux spectacle dans notre monde moderne. Et c’est pourquoi l’Eglise proclame sans cesse que l’homme ne peut vivre sans Dieu et que Dieu doit être le premier servi, que lui seul doit être adoré.
Le malheur de l’homme vient de ce qu’il cherche à s’aimer lui-même en oubliant Dieu. L’homme pense que le confort et l’estime de soi lui procureront un vrai épanouissement. Jésus vient ici rappeler qu’il est bon de s’aimer soi-même ; les ravages de la ‘‘haine de soi’’ ne nous sont pas inconnus et il faut s’en préserver absolument. Mais on ne peut s’aimer soi-même que dans la mesure où on aime son prochain, et l’on n’aime son prochain que dans la mesure où on aime Dieu. L’égoïsme consiste à séparer ces commandements. Certains, des narcissiques, pensent à s’aimer eux-mêmes sans aimer personne d’autre. D’autres, des généreux activistes, s’épuisent à aimer les autres, sans prendre soin de leur vie spirituelle. D’autres enfin, des contemplatifs timides, veulent aimer Dieu exclusivement et vivent reclus dans leurs dévotions. Toutes ces attitudes sont désordonnées ; c’est à la mesure de l’équilibre où l’on aime Dieu, soi-même et le prochain qu’on peut trouver un vrai épanouissement moral et spirituel.
Jésus ajoute que la conjonction de ces deux commandements résume tout, « la Loi et les Prophètes », dit-il. C’est dire que celui qui a compris cette logique a tout compris. Il n’y a pas d’autre secret, il n’y a pas d’autre vérité dans la Bible. Mais il ne s’agit pas de comprendre avec sa seule intelligence ; il s’agit de le choisir, et d’en vivre. Demandons à Dieu d’illuminer le cœur des hommes d’aujourd’hui ; qu’il fasse comprendre le bonheur qu’il y a à aimer. Il est temps de bâtir une civilisation de l’amour.   



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