Vivant dans un système
monétaire mondialisé et virtuel, nous ne savons plus très bien ce qu’est une
pièce de monnaie. Dans des modèles antiques, fondés à la fois sur un pouvoir
royal et sur le crédit des métaux précieux, une pièce de monnaie est un poids d’or
ou d’argent marqué du sceau du souverain, son profil et sa devise. C’était une
manière de dire que la pièce, et surtout l’or dont elle était faite, était
garanti par le prince et, finalement, qu’elle appartenait au prince. Le souverain
met son image sur ce qui est à lui, comme pour sceller son autorité, pour
imprimer sa propriété sur le métal précieux.
Aussi, lorsqu’on demande à Jésus s’il est permis
de payer l’impôt à César (Mt 22, 17), Jésus évite le piège d’une question
politique et fiscale délicate ; il choisit de se situer sur un niveau très
concret. Au lieu d’entrer dans une discussion périlleuse sur la légitimité ou
non de l’occupation romaine et du tribut qu’il faut verser à une autorité
païenne, il demande une description de la pièce qui sert à payer le tribut à l’empereur.
Et il rappelle ce principe simple de doctrine économique : ce qui porte
l’image du César appartient au César (Mt 22, 20-21). Lors donc qu’on paye
avec de l’or qui appartient déjà à César, on ne fait donc que rendre ce bout de
métal à son premier propriétaire. Les auditeurs sont médusés d’une telle
remarque, mais ce n’est là, en fin de compte, qu’une réflexion de bon sens sur
la nature de la monnaie métallique. Si on en reste là, Jésus est un bon
économiste, rien de plus.
Mais il y a une vérité plus importante qui se
cache derrière cette question fiscale. Car, Jésus ajoute qu’il faut rendre à
Dieu ce qui est à Dieu (Mt 22, 21). Qu’est-ce à dire ? De même que la
pièce porte l’effigie de César, il faut donc rechercher ce qui porte l’effigie
de Dieu. Pour comprendre cela, on doit remonter jusqu’à la Genèse, et se souvenir que c’est l’homme qui a été créé à l’image
et à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 26). C’est l’homme qui porte l’effigie
de son Créateur et qui doit revenir à son Créateur. La vocation de l’homme
correspond à sa nature même : il est créé à l’image de Dieu et cela lui
confère une dignité inestimable.
Reprenons la comparaison monétaire. Un bout
d’or, sans aucune inscription, n’est qu’une matière première. Si ce bout d’or
porte une effigie, cela devient une pièce de monnaie. Si l’effigie est celle
d’un petit prince provincial, cette monnaie n’est peut-être pas très
fiable ; mais si le profil est celui de l’empereur, alors ce bout d’or
devient une monnaie forte, à laquelle tous font confiance sur tout le
territoire de l’empire. Nous, ce n’est pas l’effigie d’un roitelet que nous
portons ; mais c’est de Dieu, c’est du Roi de l’univers que nous portons l’image.
Nous sommes une monnaie d’une noblesse telle qu’on n’en peut imaginer de plus
haute. Notre dignité consiste ainsi à ressembler à Dieu. Et de même qu’une
monnaie forte permet de faire du commerce jusqu’au bout du monde, de même notre
ressemblance avec Dieu nous permet de rencontrer tout homme.
Ce que nous sommes capables de rendre à Dieu n’est
pas un impôt matériel – nous ne devons rien à Dieu qui nous a tout donné
gratuitement – mais parce que nous ressemblons à Dieu, nous pouvons aimer comme
lui : nous pouvons l’aimer, lui, et, en lui, aimer tous les hommes. En faisant
à Dieu l’offrande de notre foi et de notre amour, alors nous rendons,
gratuitement, à Dieu ce qui vient de lui, et nous accomplissons ainsi ce
qu’exige de nous l’image que nous portons.
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