mardi 24 juin 2014

Saints Pierre et Paul, apôtres

« Lorsque le pouvoir de Néron était déjà affermi, celui-ci aborda des entreprises impies et s’arma contre la religion même du Dieu de l’univers. Ecrire de quelle scélératesse cet homme fut capable, ne serait pas de notre présent souci : comme beaucoup en effet ont raconté ce qui le concerne en des récits très exacts, il est possible, à qui le désire, d’apprendre d’eux la grossièreté et la folie de cet homme insensé, qui, sans raison, entassait des milliers de meurtres et en arriva à ce point de soif du sang qu’il n’épargna pas même ses proches ni ses amis ; qu’il traita sa mère, ses frères, sa femme et mille autres qui lui étaient unis par le sang comme des ennemis et des adversaires et qu’il les fit périr par des genres de mort variés. (…) Ainsi donc, cet homme qui a été proclamé ennemi de Dieu, au premier rang parmi les plus grands, poussa la présomption jusqu’à assassiner les apôtres. On raconte que, sous son règne, Paul eut la tête coupée à Rome même et que semblablement Pierre y fut crucifié »[1].



Cette notice historique un peu longue permet de mieux situer la fête des saints apôtres Pierre et Paul que nous célébrons aujourd’hui. Il semble que, depuis le début, depuis Caïn et Abel, l’une des grandes questions de l’humanité violente soit celle-ci : « qui allons-nous tuer ? ». Et lorsque nous lisons les évangiles, nous découvrons progressivement comment les autorités de Jérusalem choisissent une victime innocente qui ne se vengera pas. Des premières polémiques aux hurlements de la foule, il y a une profonde continuité et, finalement, avec des degrés de participation divers, tous crient : « Crucifie-le ! ».
Après la Résurrection de Jésus, alors que l’évangile commence d’être annoncé sur toute la terre, la question demeure. Cette question, on imagine que Néron se la posait quotidiennement : « qui allons-nous tuer aujourd’hui ? ». Et du catalogue fastidieux de ses crimes habituels, il ressort que l’Eglise, les chrétiens, étaient, comme Jésus, des victimes inoffensives qu’il pouvait massacrer sans risque. Aux yeux de Néron, qui était Pierre ? Une sorte de poissonnier du Moyen Orient. Qui était Paul ? Une espèce de philosophe non-violent. Qu’étaient les chrétiens ? Des esclaves, des étrangers, un ramassis de vauriens qu’il considérait indistinctement à la lumière de son mépris antisémite généralisé. Néron était profondément ébranlé nerveusement : paranoïaque, brutal, audacieux, mégalomane, intelligent et fin politique à la fois, il savait qui il devait tuer et qui il pouvait tuer. Il massacrait les uns par nécessité, les autres par plaisir. Il tua le philosophe Sénèque, il tuait ses intimes parce qu’il les craignait ; il tuait les chrétiens, il tua Pierre et Paul parce qu’il ne les craignait pas.



Si on a tué si facilement le Christ, si les Apôtres ont été massacrés sans hésitation, si depuis l’Eglise a toujours été persécutée, cela prouve que l’on se pose aujourd’hui encore cette question : « qui allons-nous tuer ? ». Avec cet interdit de la vengeance (Mt 5, 38-39), l’Eglise est une proie facile pour les violents. Ce qui relève du miracle pourtant, et qu’il faut remarquer, c’est que deux mille ans de massacres n’ont pas découragé les Chrétiens. Le vrai choix qui construit une vie peut s’énoncer ainsi : soit, par égoïsme ou par violence, on se met du côté des meurtriers, du côté de ceux qui défendent leur confort et leur pouvoir au détriment de la vie des autres ; soit, par amour, on offre sa vie au service de ses proches. Le meurtre ou le sacrifice : il faut choisir entre ces deux logiques – il n’y en a pas d’autres. Et tandis que les bourreaux cherchent avec fureur : « qui allons-nous tuer ? », les missionnaires de l’évangile, à la suite de Jésus et des Apôtres, se demandent avec zèle : « pour qui allons-nous donner notre vie ? ».




[1] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, II, 25. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.