Quel est le nom de Dieu ?
Voilà une question qui intriguait tous les peuples de l’Antiquité. L’homme
antique est un être religieux, il ne peut vivre sans penser qu’il est sous le
regard ou sous l’influence de quelque divinité. Et, pour cette raison, il
aimerait bien savoir quelque chose de ces êtres supérieurs qui l’entourent. L’homme
religieux se méfie des dieux inconnus, des dieux anonymes qu’il ne peut pas
prier, sur lesquels il n’a aucune prise. Pourvois nommer son dieu est donc pour
lui une affaire de grande importance.
Dans le contexte du
monothéisme biblique, cette question reste décisive et elle constitue
précisément l’enjeu du bref extrait de l’Exode
(34, 4b-6 ; 8-9) que nous avons entendu. Il y a toutefois un renversement
par rapport à la manière dont les nations païennes envisageaient l’affaire. Les
païens voulaient nommer Dieu ; c’est-à-dire qu’ils voulaient le tenir d’une
certaine façon à portée de mot, ils voulaient pouvoir le contraindre par une
invocation. Mais le Dieu biblique ne ressemble pas à ces idoles que les hommes
créent avec leurs mains (les statues) ou avec leurs lèvres (les formules
ésotériques) ; c’est un Dieu libre qui prononce lui-même son nom
(Ex 34, 5-6 ; cf. 33,
19).
Son nom propre est tout
d’abord énoncé, le nom que Dieu a révélé à Moïse en lui donnant sa vocation.
Devant le buisson qui brûlait sans se consumer, Moïse avait objecté qu’il ne
pouvait libérer le peuple s’il ne pouvait dire qui l’envoyait : « J’irai
trouver les fils d’Israël et je leur dirai : ‘‘le Dieu de vos pères m’a
envoyé vers vous’’. Ils vont me demander quel est son nom. Que pourrai-je leur
répondre ? » (Ex 3, 13). Et Dieu, qu’on ne saisit pas, avait d’abord
répondu par une sorte de boutade qui élude la question : « Je suis
qui je suis » (Ex 3, 14) ; et, de cette non-réponse, on a tiré
le nom imprononçable, ce tétragramme, ces quatre consonnes qui indiquent la
présence et l’action du Seigneur :
YHWH [hwhy]. Ce nom, c’est bien
Dieu qui le dit. C’est une révélation, une parole de Dieu sur Dieu – car Dieu
seul peut vraiment parler de lui-même. Et pour que l’homme ne galvaude pas dans
une parole indigne un nom si grand, les fils d’Israël vont entourer ces quatre
lettres d’un infini respect, allant jusqu’à les taire pour ne pas risquer de prononcer
« en vain » (Ex 20, 7) le nom du Seigneur.
Cette invocation sera bientôt réservée exclusivement à la prière la plus
solennelle et seul le grand prêtre pourra l’énoncer pour donner au peuple la
bénédiction du Seigneur
(Sir 50, 20).
Mais Dieu possède un
autre nom par lequel il ne dit pas tant ce qu’il est en lui-même que ce qu’il
est pour son peuple : « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la
colère, plein d’amour et de fidélité » (Ex 34, 6) ; ou bien :
« Je fais grâce à qui je fais grâce, je montre ma tendresse à qui je
montre ma tendresse » (Ex 33, 19) – c’est-à-dire : « je
fais vraiment grâce, je montre vraiment ma tendresse ». Ce nom de
miséricorde est la révélation bouleversante de l’amour infini de Dieu pour l’homme.
L’homme n’a pas d’autre manière de rencontrer Dieu que d’être ému,
radicalement, au plus profond de sa conscience, par le témoignage d’un amour
absolu, absolument gratuit, absolument bienveillant.
On dit de Moïse qu’il
était « l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,
3) ; Moïse savait qu’il n’était pas grand-chose et, en particulier, qu’il
n’était rien devant Dieu. Il est décisif alors que Dieu ne se manifeste pas à
lui avec sa toute puissance qui lui aurait confirmé qu’il n’est rien. Moïse
était prêt à voir la gloire de Dieu, écrasante, se déployer devant lui ; c’était
cela, sans doute qu’il attendait, afin de mieux connaître sa petitesse. Mais ce
n’est pas ainsi que le Seigneur se
montre à lui. Dieu n’a que faire de mettre en scène son triomphe ; il veut
faire voir sa bonté. Tel est le nom sous lequel Dieu désire qu’on l’invoque.
Alors Moïse comprend qui est Dieu et ce qu’il fait : « tu pardonneras »
(Ex 34, 9). Et, assurément, il y aura des choses à pardonner : des
violences, des injustices, des trahisons, des idolâtries, des mensonges dont
toute la Bible est remplie. Mais le nom de Dieu indique bien qu’il ne faut pas
perdre confiance : « tu pardonneras ».
Saint Jean (Jn 3,
16-18) dit-il autre chose ? « Dieu a tant aimé » ! L’apôtre
qui au soir du Jeudi Saint a reposé sur le cœur de Jésus, et qui a eu l’intuition
de la bonté et de la miséricorde, nous a révélé un autre nom de Dieu qui inscrit
en un mot ce que Moïse disait en une phrase : « Dieu est charité »
(1Jn 4, 8 ; 16). Et saint Augustin, à la suite de saint Jean, a eu
raison de voir dans ce nom une affirmation de la communion entre le Père, le
Fils et le Saint Esprit : « Tu vois la Trinité si tu vois la charité »[1].
La fête que nous célébrons aujourd’hui n’est donc pas la célébration d’un dogme
abstrait ; c’est la commémoration de cette révélation venue du lointain
des âges, venue de Moïse, qui nous enseigne, de nom en nom, que Dieu ne nous a
créés que pour nous aimer.
« Je suis qui je suis »
(Ex 3, 14) ; « Je suis le Seigneur »
(Ex 6, 2) ; « Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère,
plein d’amour et de fidélité » (Ex 34, 6) ; « Dieu est
amour » (1Jn 4, 8). Tous ces noms sont résumés dans la foi chrétienne
au Dieu-Trinité. A chaque fois que nous prions « au nom du Père et du Fils
et du Saint Esprit », c’est dans cet amour que nous sommes plongés.
Demandons la grâce de nous en souvenir toujours.
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