Nous arrivons au terme
du temps pascal, et je vous invite à relire ensemble les événements –
c’est-à-dire les grâces – que le Seigneur nous a donnés. Après quarante jours
de carême, nous sommes entrés dans la semaine sainte. Nous avons accompagné le
Seigneur qui entrait à Jérusalem ; puis nous avons été invités au dernier repas
qu’il a partagé avec ses disciples. Au cours de ce repas, nous avons compris
que Jésus donnait à sa mort le sens d’un sacrifice, d’une alliance, d’une
miséricorde : « ceci est mon corps livré… ceci est mon sang versé pour
vous, pour le pardon des péchés ». Enfin, nous avons parcouru avec Jésus le
chemin de la croix et nous avons veillé au tombeau.
Et c’est ensuite, après
tous ces événements douloureux, qu’une joie improbable est venue nous
surprendre : voilà que la mort, qui semblait avoir remporté la victoire,
était étonnamment défaite. Nous étions entrés dans le deuil, et voici au
contraire que se lève une lumière. Devant le tombeau vide, la foi a soudain envahi le cœur des disciples, et cette foi est la
nôtre aujourd’hui encore, la même, qui nous rassemble : je crois en Jésus
Christ mort et ressuscité. Un philosophe chrétien disait : « j’y
crois parce que c’est absurde »[1]
– cette formule est un peu surprenante, mais elle montre bien que l’objet de
notre foi surgit à l’improviste comme une lumière dans les ténèbres, comme un
bonheur au milieu de la désolation, comme une certitude au milieu d’un désarroi.
Non pas que ce que nous croyons soit absurde – la vie n’est pas absurde – mais
il paraît absurde aux yeux du monde de croire en la vie alors que la mort
continue d’accomplir son œuvre. Et bien nous, chrétiens, depuis la Résurrection
de Jésus, nous croyons en la Vie – même si le monde pense que nous sommes fous.
Après cela, nous avons
vu Jésus remonter au ciel, quitter ce monde ou plutôt inaugurer une nouvelle
manière d’y être présent. Désormais, Jésus n’est plus visible à nos yeux et
nous découvrons alors que la vérité ne se réduit pas à ce que nous voyons, nous
pressentons que la vie ne se limite pas à notre présence sur terre. Cela
s’appelle l’espérance. Espérer, pour
un chrétien, cela consiste à attendre avec confiance un bonheur que nous ne
possédons pas encore totalement mais que Dieu nous a promis. Nous savons bien
que, sur terre, notre vie est brève et remplie d’épreuves, et parfois nous
avons la tentation de nous résigner. Espérer, cela veut dire ne pas oublier que
Dieu nous a faits pour le bonheur et que la vie qu’il nous donne ici-bas n’est
rien d’autre qu’une promesse de vie éternelle. Nous ne voyons pas la vie
éternelle, nous ne voyons que des hommes qui meurent ; nous ne possédons pas le
bonheur définitif, nous ne connaissons que des joies éphémères et bien
fragiles. Mais un chrétien sait, sans crainte d’être déçu, que le projet de
Dieu, qui n’est pas encore réalisé de manière visible, est fiable et qu’une vie
éternelle, dont la modalité nous échappe, nous sera donnée.
Aujourd’hui, pour achever
le mystère pascal du Christ, nous voyons l’Esprit Saint descendre sur l’Eglise.
Jésus avait annoncé que le feu viendrait consacrer les croyants. Ce feu est une
image de l’amour de Dieu – ou plutôt
une image de Dieu qui est amour. Et ce Dieu-amour se donne aux hommes
aujourd’hui afin que le commandement de Jésus devienne réalité : aimez-vous les uns les autres. Si
Dieu-amour ne venait pas dans le cœur de l’homme, les relations humaines
resteraient marquées par l’intérêt, l’égoïsme, ou bien – au mieux – par
certaines formes d’altruisme et de générosité dont on sait qu’elles s’épuisent
rapidement. Seul l’Esprit Saint, qui nous rend participants de l’amour qu’est
Dieu, est capable d’entretenir entre nous un amour qui ne se limite pas aux
sympathies naturelles, aux intérêts collectifs, ou aux élans de dévouement
passagers. Aimer tous les hommes de manière concrète et active, aimer tous les
jours de manière réelle et désintéressé, aimer nos ennemis sans rancune ni
faiblesse, aimer nos proches en connaissant tous leurs défauts… cela n’est pas
possible si l’Esprit Saint n’est pas avec nous.
Nous avons ainsi vécu,
durant ces cinquante jours, le mystère pascal du Christ : sa Résurrection,
son Ascension, et la Pentecôte. Le mystère pascal est un chemin qui nous a introduits
dans la foi, qui a fait naître en nous une espérance, et qui a trouvé son
accomplissement dans l’amour. Nous allons maintenant quitter le temps pascal
pour rentrer dans le temps ordinaire, c’est-à-dire pour vivre, au quotidien,
dans la foi, l’espérance et l’amour. Si vraiment nous avons pris au sérieux le
temps pascal, cela devrait être facile. Si nous constatons malgré tout que
notre foi reste faible, que notre espérance s’étiole, que notre amour
s’attiédit, nous savons comment nous ressourcer : il nous suffira d’entrer
à nouveau dans le mystère pascal de Jésus, de méditer sur toutes ces grâces,
qui sont pour nous source de vie et d’accueillir avec simplicité le don de Dieu.
[1] Ce fameux « Credo quia absurdum » est un résumé inexact d’une formule de Tertullien.
C’est néanmoins un énoncé fidèle d’une idée audacieuse de ce Père de l’Eglise
du début du IIIe s. qui disait :
« Le Fils de Dieu a été crucifié; on
n’en rougit point parce qu’il faudrait en rougir.
Le Fils de
Dieu est mort : il faut le croire,
parce que cela révolte la raison ;
il est
ressuscité du tombeau où il avait été enseveli ;
le fait est
certain, parce qu’il est impossible » (Traité De la chair du Christ, 5).
En latin : « Crucifixus est Dei Filius: non pudet, quia pudendum est. Et mortuus est
Dei Filius: prorsus credibile est, quia ineptum est. Et sepultus resurrexit:
certum est, quia impossibile ».
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