vendredi 6 juin 2014

Pentecôte

Nous arrivons au terme du temps pascal, et je vous invite à relire ensemble les événements – c’est-à-dire les grâces – que le Seigneur nous a donnés. Après quarante jours de carême, nous sommes entrés dans la semaine sainte. Nous avons accompagné le Seigneur qui entrait à Jérusalem ; puis nous avons été invités au dernier repas qu’il a partagé avec ses disciples. Au cours de ce repas, nous avons compris que Jésus donnait à sa mort le sens d’un sacrifice, d’une alliance, d’une miséricorde : « ceci est mon corps livré… ceci est mon sang versé pour vous, pour le pardon des péchés ». Enfin, nous avons parcouru avec Jésus le chemin de la croix et nous avons veillé au tombeau.
Et c’est ensuite, après tous ces événements douloureux, qu’une joie improbable est venue nous surprendre : voilà que la mort, qui semblait avoir remporté la victoire, était étonnamment défaite. Nous étions entrés dans le deuil, et voici au contraire que se lève une lumière. Devant le tombeau vide, la foi a soudain envahi le cœur des disciples, et cette foi est la nôtre aujourd’hui encore, la même, qui nous rassemble : je crois en Jésus Christ mort et ressuscité. Un philosophe chrétien disait : « j’y crois parce que c’est absurde »[1] – cette formule est un peu surprenante, mais elle montre bien que l’objet de notre foi surgit à l’improviste comme une lumière dans les ténèbres, comme un bonheur au milieu de la désolation, comme une certitude au milieu d’un désarroi. Non pas que ce que nous croyons soit absurde – la vie n’est pas absurde – mais il paraît absurde aux yeux du monde de croire en la vie alors que la mort continue d’accomplir son œuvre. Et bien nous, chrétiens, depuis la Résurrection de Jésus, nous croyons en la Vie – même si le monde pense que nous sommes fous.
Après cela, nous avons vu Jésus remonter au ciel, quitter ce monde ou plutôt inaugurer une nouvelle manière d’y être présent. Désormais, Jésus n’est plus visible à nos yeux et nous découvrons alors que la vérité ne se réduit pas à ce que nous voyons, nous pressentons que la vie ne se limite pas à notre présence sur terre. Cela s’appelle l’espérance. Espérer, pour un chrétien, cela consiste à attendre avec confiance un bonheur que nous ne possédons pas encore totalement mais que Dieu nous a promis. Nous savons bien que, sur terre, notre vie est brève et remplie d’épreuves, et parfois nous avons la tentation de nous résigner. Espérer, cela veut dire ne pas oublier que Dieu nous a faits pour le bonheur et que la vie qu’il nous donne ici-bas n’est rien d’autre qu’une promesse de vie éternelle. Nous ne voyons pas la vie éternelle, nous ne voyons que des hommes qui meurent ; nous ne possédons pas le bonheur définitif, nous ne connaissons que des joies éphémères et bien fragiles. Mais un chrétien sait, sans crainte d’être déçu, que le projet de Dieu, qui n’est pas encore réalisé de manière visible, est fiable et qu’une vie éternelle, dont la modalité nous échappe, nous sera donnée.
Aujourd’hui, pour achever le mystère pascal du Christ, nous voyons l’Esprit Saint descendre sur l’Eglise. Jésus avait annoncé que le feu viendrait consacrer les croyants. Ce feu est une image de l’amour de Dieu – ou plutôt une image de Dieu qui est amour. Et ce Dieu-amour se donne aux hommes aujourd’hui afin que le commandement de Jésus devienne réalité : aimez-vous les uns les autres. Si Dieu-amour ne venait pas dans le cœur de l’homme, les relations humaines resteraient marquées par l’intérêt, l’égoïsme, ou bien – au mieux – par certaines formes d’altruisme et de générosité dont on sait qu’elles s’épuisent rapidement. Seul l’Esprit Saint, qui nous rend participants de l’amour qu’est Dieu, est capable d’entretenir entre nous un amour qui ne se limite pas aux sympathies naturelles, aux intérêts collectifs, ou aux élans de dévouement passagers. Aimer tous les hommes de manière concrète et active, aimer tous les jours de manière réelle et désintéressé, aimer nos ennemis sans rancune ni faiblesse, aimer nos proches en connaissant tous leurs défauts… cela n’est pas possible si l’Esprit Saint n’est pas avec nous.
Nous avons ainsi vécu, durant ces cinquante jours, le mystère pascal du Christ : sa Résurrection, son Ascension, et la Pentecôte. Le mystère pascal est un chemin qui nous a introduits dans la foi, qui a fait naître en nous une espérance, et qui a trouvé son accomplissement dans l’amour. Nous allons maintenant quitter le temps pascal pour rentrer dans le temps ordinaire, c’est-à-dire pour vivre, au quotidien, dans la foi, l’espérance et l’amour. Si vraiment nous avons pris au sérieux le temps pascal, cela devrait être facile. Si nous constatons malgré tout que notre foi reste faible, que notre espérance s’étiole, que notre amour s’attiédit, nous savons comment nous ressourcer : il nous suffira d’entrer à nouveau dans le mystère pascal de Jésus, de méditer sur toutes ces grâces, qui sont pour nous source de vie et d’accueillir avec simplicité le don de Dieu.




[1] Ce fameux « Credo quia absurdum » est un résumé inexact d’une formule de Tertullien. C’est néanmoins un énoncé fidèle d’une idée audacieuse de ce Père de l’Eglise du début du IIIe s. qui disait :

« Le Fils de Dieu a été crucifié; on n’en rougit point parce qu’il faudrait en rougir.
Le Fils de Dieu est mort : il faut le croire, parce que cela révolte la raison ;
il est ressuscité du tombeau où il avait été enseveli ;
le fait est certain, parce qu’il est impossible » (Traité De la chair du Christ, 5).

En latin : « Crucifixus est Dei Filius: non pudet, quia pudendum est. Et mortuus est Dei Filius: prorsus credibile est, quia ineptum est. Et sepultus resurrexit: certum est, quia impossibile ».

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