Nous
percevons en général le mystère de la sainte Trinité un peu comme un piège.
Nous savons que cette vérité de foi est fondatrice ; la structure même du Credo que nous allons proclamer est
trinitaire. Lorsqu’il s’agit de confesser la foi de l’Eglise, nous ne pouvons
nous dispenser de la Trinité, et pourtant, dès qu’il s’agit d’expliquer, de
rendre compte de cette foi, nous voilà mal à l’aise. Ce mystère semble si
difficile, si abstrait, si éloigné de nos préoccupations de tous les jours que
nous ne voyons pas bien comment nous pourrions en dire quelque chose. Pourtant,
être chrétien, ce n’est pas répéter le symbole de la foi comme une
incantation ; c’est comprendre, au moins un peu, ce que nous affirmons.
Une foi dépourvue de raison, une foi privée d’intelligence ne serait chrétienne
que de nom.
Pour
sortir de cette impasse, pour dire quand même quelque chose au sujet de la Trinité,
il est utile sans doute de relire une phrase de s. Augustin que Benoît XVI
a remise en lumière : « Tu vois la Trinité si tu vois la
charité »[1].
Dire que Dieu est Trinité c’est, en fin de compte, dire que Dieu est, dans sa
nature même, dans son secret le plus intime, une communauté d’amour. Voilà
quelque chose qu’aucun homme n’avait été capable d’imaginer, ni les philosophes
de la Grèce, ni même les prophètes d’Israël, et que Jésus seul est venu nous
révéler parce qu’il est l’un de ces Trois qui sont l’amour éternel.
Il ne
faut pas s’étonner que notre monde comprenne peu ce mystère. Toute l’activité
des hommes consiste à s’aimer soi-même ; la publicité nous suggère
quotidiennement que le bonheur, c’est l’égoïsme. Convaincus d’une telle vérité
– qui est pourtant une supercherie bien désespérante – nous ne pouvons rien
comprendre de Dieu. Car Dieu est un amour dont la réalité profonde est, en
lui-même, relation entre trois Personnes. Quand saint Jean dit que « Dieu
est amour » (1Jn 4, 8 ; 16), il veut dire, en d’autres termes, que
« le Père aime le Fils » (Jn 3, 35 ; 5, 20). La substance
de Dieu, c’est l’altruisme (le mot est simpliste, mais vous voyez ce que je
veux dire), tandis que nous avons fait de notre égoïsme la condition de notre
survie. Pour nous, vivre, c’est s’aimer soi-même ; pour Dieu, être, c’est,
en lui-même, aimer un autre. Il n’est donc pas surprenant que ce mystère reste
caché aux hommes, aveuglés par le souci de leur seul confort.
Il
devrait pourtant exister une manifestation un peu évidente de cet amour qu’est
la Trinité : l’Eglise. Une préface du Missel
dit en effet : « et ce peuple, unifié par la Trinité sainte, c’est
l’Eglise, gloire de ta Sagesse, Corps du Christ et Temple de l’Esprit »[2].
Si Dieu est en lui-même une communauté charitable, il a fondé l’Eglise pour
être, dans le monde, une image de cette charité qu’il est. Comment, en effet,
les hommes, qui vivent obnubilés par leur égoïsme, pourraient-ils concevoir
quelque chose d’un Dieu Trinité, si ce n’est en voyant d’autres hommes mener
une vie communautaire et charitable ? Comme Eglise, nous avons la
responsabilité d’être, humainement, l’icône de l’amour qu’est la Trinité. Cela
exige de nous une charité parfaite, une bienveillance totale ; cela exclut
toute cupidité, toute volonté de puissance, toute violence, toute rancune. Si
nous parvenions à vivre cela dans une famille (qui est une petite Eglise), dans
une paroisse, dans un diocèse, alors nous serions aux yeux du monde plus qu’un
signe, moins qu’une preuve peut-être, mais déjà un argument très fort en faveur
de la foi trinitaire. Car la source d’une telle charité communautaire ne peut
se trouver en l’homme ; l’homme, pécheur, n’est par lui-même capable que
de narcissisme. Si quelqu’un voit cette charité ecclésiale, il ne peut donc pas
l’expliquer par une raison terrestre ; il doit bien la considérer comme
était l’indice convaincant d’une réalité supérieure, éternelle, bienheureuse et
divine. « Tu vois la Trinité si tu vois la charité ». Le raisonnement
de s. Augustin est irréfutable.
Avec
courage, acceptons cette responsabilité d’être, comme Eglise, l’icône humaine
de la charité qu’est Dieu. Que notre amour mutuel soit un témoignage crédible et
concret de notre foi trinitaire.
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