Qui est le Saint
Esprit ? Par deux fois, dans les lectures que nous venons d’entendre,
saint Luc définit l’Esprit comme une force : « jusqu’à ce que vous
soyez revêtus d’une force venue d’en haut » (Lc 24, 49) ;
« vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit » (Ac 1,
8). Ce langage est un peu étonnant. Dans notre monde, dans lequel l’Eglise
paraît affaiblie, on est plutôt enclin à souligner l’humilité, la discrétion de
Dieu. Au Moyen Age, à l’époque de l’Eglise triomphante, oui, on savait ce qu’était
la force de Dieu : c’était la puissance du Pape, le prestige des abbayes,
la grandeur des évêques. Mais aujourd’hui, il ne reste plus rien de tout cela.
Est-il donc convenable de décrire l’Esprit de Dieu comme une force ? Cela
n’est-il pas anachronique et désuet ?
Revenons un peu avant le
Moyen Age, à l’époque des Apôtres, où il n’y avait encore ni Pape puissant, ni
riches abbayes. La puissance de l’Eglise se réduisait alors à une vingtaine de
disciples un peu apeurés – surtout un peu lâches – sans instruction, qui
passaient aux yeux du monde soit pour de doux illuminés, soit pour de dangereux
agitateurs. Et cette petite assemblée de disciples attend une force venue d’en
haut ! Le spectacle est sans doute comique, un peu pitoyable ; saint
Luc a de l’humour. Evidemment, les Apôtres n’attendent pas une force venue
d’eux-mêmes : ils savent bien qu’ils ne peuvent pas compter sur leurs
propres ressources. Alors, étant par eux-mêmes totalement démunis, ils
attendent donc une force du ciel. Et ils vont recevoir le Saint Esprit qui leur
communiquera la force de Dieu.
Comment mesurer cette
force ? En physique, je crois, une force se mesure par ses effets. Nous
avons analysé la situation de départ : une vingtaine d’hommes désorganisés
après la mort de leur chef, sans argent ni intelligence. Voyons l’effet :
deux mille ans de Christianisme, avec tous les aléas, toutes les vicissitudes
que nous connaissons et aujourd’hui, une Eglise qui va bien ou mal suivant les
lieux, mais une Eglise qui tient le coup, qui continue d’annoncer l’évangile et
de célébrer le sacrifice du Christ, une Eglise qui, dans les moments de paix
comme dans les moments d’angoisse est capable de témoigner de la Vérité et
d’inviter les hommes à un constant renouvellement spirituel.
Cela n’a rien à voir
avec un pouvoir temporel. Si la force de Dieu a pu, à certaines époques,
s’exprimer dans le prestige des institutions ecclésiastiques, cela ne constitue
nullement la nature même de la force de Dieu. La force de Dieu, c’est
plutôt le dynamisme de l’Esprit qui, à toutes les époques, avec énergie et
inventivité, a donné à l’Eglise de tenir sa place dans le monde. A certains
moments, le monde va bien, à d’autres, il va mal ; tantôt l’Eglise exerce
une puissance temporelle, tantôt elle n’a plus d’autorité que spirituelle,
tantôt cette autorité spirituelle même lui est contestée ; mais, dans la
paix, dans la persécution, et dans l’indifférence même, la force de Dieu est
bien là, qui agit et progresse.
Bien sûr que Dieu est
discret, bien sûr qu’il ne s’impose pas à l’homme ; évidemment que
l’Eglise doit être humble, qu’elle ne doit pas chercher à régner politiquement.
Mais cela ne veut pas dire que le Christianisme serait sans force. On a parfois
reproché à la morale chrétienne – “tendre l’autre joue” (Mt 5, 39) –
d’être une morale de lâcheté, de faiblesse. Cette critique est sans fondement.
Certes Dieu est vulnérable, et l’Eglise paraît fragile. Mais qui est le plus
fort : celui qui se laisse conduire à la Croix sans résister ou bien celui
qui se débat et qui répond à la violence par la violence ? Le Christ a
choisi de tendre l’autre joue à ceux qui le frappaient. Je ne pense pas qu’il
l’ait fait par lâcheté et je crois, au contraire, que son visage exprimait
alors une bonté et une douceur miséricordieuse qui est, en définitive, la vraie
force de Dieu. Sur le visage de l’homme le plus faible, près de mourir, est ainsi
passé le reflet du Dieu tout-puissant dont l’entière toute puissance sert à
désarmer la violence par le pardon et la haine par la douceur.
C’est dans cette logique
que nous pouvons comprendre que l’Esprit Saint nous communique la force de
Dieu. Nous n’allons pas partir en croisade, nous n’allons pas proclamer une
guerre sainte – sinon contre nous-mêmes, contre nos défauts, nos mauvais penchants.
Mais nous allons mettre en œuvre ce dynamisme spirituel que Dieu nous donne,
dans l’élan de la Résurrection, afin que l’Eglise que nous sommes continue de
témoigner de l’évangile, dans la force de la vérité, dans la force de la
charité.
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