La fête de la Pentecôte
est avant tout une affaire de langage. C’est un fait bien connu
aujourd’hui : dans la liturgie d’Israël, on lisait, cinquante jours après
la Pâque, le récit de la tour de Babel et de la confusion des langues (Gn 11).
Dans ce texte étonnant, on voit l’humanité se désunir, se séparer, chacun
devenant l’otage d’une langue que les autres ne comprennent plus. Les hommes
qui avaient voulu se liguer contre Dieu ne parviennent pas au bout de leur
révolte ; le piège d’une incommunicabilité égoïste vient mettre fin à cette
entreprise orgueilleuse. Aujourd’hui, dans la liturgie de l’Eglise, nous
célébrons donc le contraire de la confusion de Babel ; nous célébrons le
jour où la communauté des croyants a commencé de s’exprimer dans toutes les langues
de la terre. Ce n’est pas la restauration d’une langue unique, mais l’entrée de
toutes les langues dans la compréhension de l’évangile : les Parthes
entendent l’évangile en Parthe, les Mèdes en Mède, les Elamites en
Elamite ; tout en conservant la diversité des cultures, s’établit ainsi
une communion dans la foi.
La question du langage
est décisive. Car il ne suffit pas de dire quelque chose ; encore faut-il
le dire dans une langue que quelqu’un comprenne. Le registre du langage est
ainsi parfois plus fondamental que le sens même des mots pour transmettre un
message. On y est attentif lorsqu’on est à l’étranger. Si je suis à Londres et
que j’entends une phrase prononcée en français, ce n’est pas le sens de la
phrase qui va m’interpeler d’abord, mais le fait que celui qui parle est
Français comme moi. J’écouterai aussi son accent pour deviner de quelle région
est ce Français. La signification de sa phrase restera en retrait et semblera
moins importante que ceci : j’ai trouvé un concitoyen.
Il faut donc se demander
quelle langue parle l’Eglise.
On a parfois accusé
l’Eglise de ne parler que le latin ; en fait si l’Eglise a toujours parlé latin,
elle n’a jamais parlé exclusivement latin et a toujours su se faire comprendre
dans d’autres langues. Aujourd’hui, cette accusation n’a d’ailleurs plus aucun
fondement. C’est bien en français que je vous parle.
On a aussi reproché à l’Eglise
de parler la langue de bois ; cela est vrai de toute institution qui, dans
certaines circonstances préfère une certaine ambiguïté. Mais cela n’a jamais
concerné les vérités de la foi. L’évangile a toujours été proclamé clairement.
L’ambiguïté du langage ecclésiastique ne concerne pas non plus les fautes des
hommes d’Eglise. Le courage de Jean-Paul II, de Benoît XVI, allant jusqu’à
demander pardon, n’était pas de la langue de bois.
On a aussi accusé
l’Eglise de parler un langage trop spirituel ou trop abstrait, déconnecté des
préoccupations quotidiennes des fidèles. Effectivement, certains documents
pontificaux paraissent un peu compliqués ; mais s’il faut parfois utiliser
un vocabulaire technique pour expliquer des questions délicates, le langage de
l’Eglise est aussi, et surtout, celui des catéchistes expliquant aux enfants,
des prêtres de paroisses dans leurs enseignements, des confesseurs donnant
quelques conseils. Et ce langage là s’efforce d’être accessible à tous.
On a pu encore accuser
l’Eglise d’avoir un langage trop radical ; mais pour cela, il faut se
plaindre au Christ lui-même. Quand on entend : « Celui qui a mis la
main a la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de
Dieu » (Lc 9, 62) ; ou bien : « Va, vends ce que tu
as, donne-le aux pauvres » (Mt 19, 21) ; ou encore :
« Ne jugez pas » (Mt 7, 1) ; tendre l’autre joue (Mt 5
39), et d’autres choses un peu raides, ce n’est pas l’Eglise moralisatrice qui
le dit, c’est l’évangile. Le langage de l’évangile est sérieux, austère ;
le langage de l’Eglise se doit d’être explicite, clair et net.
On a accusé le langage
de l’Eglise de traiter de tout, de parler de trop de choses, de s’occuper de ce
qui ne la regardait pas. Pourquoi l’Eglise éprouve-t-elle le besoin de parler
de questions politiques, d’économie, de doctrine sociale, de bioéthique… ?
Pourquoi l’Eglise parle-t-elle du mariage, de la contraception, de
l’avortement, de l’euthanasie ? L’Eglise se reconnaît le devoir de parler
chaque fois que Dieu est en cause, et lorsque l’homme – image de Dieu – est en
danger, il faut donc que l’Eglise parle pour rappeler ce qu’est la vie, pour
rappeler qu’on ne peut pas confondre le bien et le mal, qu’on ne peut pas
mettre sur le même niveau des vérités qui sont sources de vie et des opinions
qui conduisent vers le malheur.
Comprenons surtout que
l’Eglise parle le langage de notre conscience. Les langues de feu sont entrées
dans les Apôtres et ils ont été emplis, intérieurement, de l’Esprit Saint. Le
langage de l’Eglise doit enfin entrer en nous, dans l’intime de notre conscience
afin que nous puissions ensuite choisir nos actions en fonction de l’Esprit de
Dieu, et non pas selon les langages de la séduction, de la publicité ou de la
mode. Car enfin, ce qu’on reproche le plus souvent au langage de l’Eglise c’est
d’être trop vrai, d’être une vérité trop dérangeante. Et cette vérité
exigeante, le langage de l’Eglise veut la faire résonner dans le cœur de chaque
fidèle.
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