vendredi 14 octobre 2016

29e dimanche du temps ordinaire - année C


La parabole que Luc propose sur la prière (Lc18,1-8) est difficile à comprendre, au moins pour deux raisons. La première, c’est que nous avons tous des mauvaises expériences de prière: nous présentons au Seigneur une intention qui nous tient à cœur, la demande nous semble légitime en soi, importante pour nous ou pour un proche, nous savons que Dieu est bon et tout-puissant, qu’il peut faire le bien qu’il veut. Et rien ne se passe. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas guéri cette jeune mère de famille? Pourquoi n’a-t-il pas fait que tel ami talentueux trouve du travail? Pourquoi ne ramène-t-il pas la paix en Syrie? Tous, nous prions pour cela; et rien. 

Ce sentiment de ne pas être écouté par Dieu lorsque nous lui confions ce qui compte vraiment peut nous conduire à la seconde difficulté: Dieu, en fin de compte, ne serait-il pas comme ce «juge dépourvu de justice» (Lc18,6) qui se moque de tout et de tout le monde? Ce deuxième obstacle à la bonne compréhension de la parabole de Jésus est qu’elle fonctionne à l’inverse des paraboles habituelles – et que si l’on n’y prend garde, on risque de faire un contresens. Une parabole, habituellement, suit cette belle logique: «Le Royaume de Dieu est comparable à…» (Lc13,18-21; Mt13,31-52), et l’histoire qu’on raconte ensuite, avec ses moments de crise et son dénouement parfois décalé, nous indique (peut-être de façon paradoxale) un aspect de cette joie définitive à laquelle nous sommes appelés. Cette manière de parler, nous y sommes habitués, même si chaque parabole nous déroute un peu, parce que nous avons du mal à discerner ce qu’est la joie du Royaume. Mais là, à rebours de sa méthode ordinaire, Jésus raconte une parabole pour conclure que le Royaume n’est pas comme ce «juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes» (Lc18,2). Si on ne remarque pas cela, on conclut fatalement que Dieu est comme ce mauvais juge, que pour être entendu de lui, il faut le harceler – mais comment harceler Dieu? 

Quelle est donc la différence la plus notable entre ce mauvais juge qu’implore la veuve opiniâtre et le Seigneur? C’est, je crois, ceci: alors que le juge refuse que la veuve vienne recourir à ses services, Dieu, lui, veut qu’on le prie; et, plus encore, il nous inspire lui-même les demandes que nous devons lui adresser; et, plus encore, il vient lui-même prier en nous, si ce que saint Paul affirme est vrai: «l’Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l’Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux volontés de Dieu» (Rm8,26-27). 

Tant qu’on regarde la prière du côté de notre pauvreté, nous y voyons mal. Nos demandes sont peut-être désordonnées, nous sommes impatients, nous ne savons pas remercier; parfois nous ne remarquons même pas que nous avons été exaucés. Voilà ce qui brouille notre regard. Mais si nous essayons de voir ce qu’est la prière du côté de Dieu, nous découvrons tout autre chose. Qu’est-ce qu’une vraie prière que Dieu exauce: c’est un désir que Dieu vient lui-même, par son Esprit Saint, formuler en nous pour nous dire qu’il nous a déjà exaucé, qu’il nous a déjà donné la grâce qu’il nous permet de lui demander

Permettez-moi de relire une anecdote bien connue: la prière de la jeune Thérèse Martin en faveur de Pranzini. Auteur du sinistre “triple assassinat de la rue Montaigne”, le 17 mars 1887, l’homme sera condamné à mort. La jeune Thérèse, voyant que ce pécheur pourrait mourir dans l’impénitence, se fait forte d’obtenir de Dieu sa conversion avant qu’il ne soit exécuté. L’endurcissement du criminel paraissait inébranlable. «Pranzini ne s’était pas confessé, il était monté sur l’échafaud et s’apprêtait à passer sa tête dans le lugubre trou, quand tout à coup, saisi d’une inspiration subite, il se retourne, saisit un Crucifix que lui présentait le prêtre et baise par trois fois ses plaies sacrées… Puis son âme alla recevoir la sentence miséricordieuse de Celui qui déclare qu’au Ciel il y aura plus de joie pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence» (1). Voilà ce qui s’est passé, du point de vue de Thérèse, qui a prié et a été exaucée. Mais regardons cette même affaire, du point de vue de Dieu: Dieu voulait sauver Pranzini, et il l’avait déjà décidé. Il est alors allé trouver une jeune fille de province, d’une tristesse un peu maladive, et il lui a révélé (sans qu’elle l’entende, pourtant) son projet de salut, lui proposant: «veux-tu que nous le fassions ensemble?» La prière, c’est cela. 

Pourquoi, alors, y a-t-il un délai dans la prière, un sentiment d’inertie, une angoisse, si Dieu a déjà tout fait quand il nous propose de prier pour ce qu’il a exaucé par avance? De même que Thérèse a lutté dans la prière pour la conversion de Pranzini et qu’elle ne l’a obtenue qu’in extremis, de même Dieu a lutté dans l’âme de ce criminel, car il ne lui a pas imposé sa miséricorde par force, mais il l’a convaincu de se laisser pardonner. Dans ses angoisses, la jeune Thérèse a été associée à ce combat spirituel que Dieu mène dans le cœur des hommes pour qu’ils accueillent le bien qu’il veut leur faire. Et pour Thérèse, ce fut une grâce qui lui indiqua sa vocation – et quelle vocation!

Ainsi, vous le voyez, Dieu n’a rien à voir avec ce juge inique. Et c’est bien la conclusion qu’il faut retenir: «Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit, tandis qu’il patiente à leur sujet! Je vous dis qu’il leur fera prompte justice» (Lc18,7-8). Pour bien prier, il faut d’abord écouter Dieu qui veut qu’on le prie. Vous saurez ensuite prier avec foi, sans hésitations (Jc1,6) et recevoir de Dieu «tout don parfait» (Jc1,17). 

(1) Thérèse de Lisieux, Manuscrit A, 46 r°.

https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Henri_Pranzini

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