Dans un texte intime (2Tm2,8-13), Paul entretient son disciple Timothée de ce qui constitue le cœur de son ministère.
Qui est ce Timothée? Il apparaît dans les Actes des Apôtres, dans l’entourage de Paul: «Paul gagna ensuite Derbé, puis Lystres. Il y avait là un disciple nommé Timothée, fils d’une juive devenue croyante, mais d’un père grec» (Ac16,1). Situé au carrefour de deux civilisations, Timothée, avec sa mère et sa grand-mère (2Tm1,5), a entendu l’évangile et y a cru. Lui qui se rattachait au double héritage de la Loi de Moïse et de la sagesse de la Grèce, en entendant la prédication de Paul, a été convaincu que le Christ venait sauver les Juifs et les païens. Associé à Paul de manière très étroite, il est, avec lui l’auteur, ou le rédacteur, ou le secrétaire, nommé dans plusieurs lettres: la 2e aux Corinthiens (2Co1,1); l’épître aux Philippiens (Ph1,1); aux Colossiens (Co1,1); les deux épîtres aux Thessaloniciens (1Th1,1 et 2Th1,1); et même la très personnelle lettre à Philémon (Phm1,1). C’est dire à quel point une confiance sans faille, une profonde amitié, une sincère affection unissait Paul à Timothée dans tout ce qui comptait pour l’évangélisation.
Quel est donc ce ministère, commun à Paul et à Timothée? Le bref passage entendu nous décrit tout d’abord la mauvaise réputation de l’évangélisateur, considéré «comme un malfaiteur» (2Tm2,9). Jésus, déjà, avait été confondu, mis à égalité avec deux bandits (Lc22,32-33) sur le Calvaire, afin que s’accomplisse ce qui avait été prophétisé : «Il a été compté parmi les scélérats» (Lc22,37; Is53,12). En cela, Paul n’est pas au-dessus de son maître. On tenait Jésus pour nuisible, on verra en Paul un homme dangereux; Timothée, de même, n’échappera pas à la prison (cf. He13,23). L’évangile apporte une telle libération, que cela ne peut manquer d’ébranler le bel édifice politique et social, hier comme aujourd’hui, cet équilibre confortable et injuste fondé sur les mesquineries, les manipulations, les violences ordinaires et légitimes que les nantis imposent aux plus faibles. On comprend très bien que la vérité chrétienne ne pouvait pas ne pas paraître dangereuse aux notables, qu’ils soient Juifs ou Grecs ou Romains. On comprend très bien que ceux qui se sentaient menacés ont réagi pour défendre leurs intérêts. On comprend bien – on le voit aujourd’hui encore – que tout ce qui pouvait être fait pour discréditer les chrétiens, pour colporter sur eux des rumeurs méprisables, pour défigurer la beauté de la foi, devait être mis en œuvre – et cela fut effectivement mis en œuvre.
Mais le jeu de la persécution et de la liberté tourne paradoxalement à l’avantage de la liberté. Certes, Paul est enchaîné, mais ces liens matériels ne sont pas un obstacle à la liberté de l’évangile, car «on n’enchaîne pas la parole de Dieu!» (2Tm2,9). Quelle insolence dans cette exclamation! Ne pourrait-il donc pas se taire, ce rebut de la société, ce corrupteur de l’ordre établi? Quand bien même on le réduirait au silence, ce silence serait plus éloquent que toutes les accusations, de même que nous “entendons” encore Jésus qui se tait devant Pilate (Jn19,9-10). Quand bien même on tiendrait Paul absolument captif, sa réclusion le laisserait plus libre que ceux qui sont les otages de leurs richesses et de leur violence. Cette liberté intérieure qu’aucune entrave ne peut tuer, Paul l’a vécue jusque dans son martyre. Toutes les persécutions, des plus violentes aux plus sournoises, ont butté sur cette liberté chrétienne, liberté inaliénable. C’est agaçant pour nos ennemis, mais un chrétien, même en captivité, est toujours plus libre que son persécuteur. Qu’on pense à Thomas More, incarcéré à la tour de Londres, ou à Maximilien Kolbe, prisonnier à Auschwitz. Quels nobles exemples de liberté ils ont donné à l’Eglise et au monde!
Et quel sens a tout cela? Paul livre son secret, en disant: «je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis» (2Tm2,10). Ce n’est pas par plaisir, évidemment, que Paul endure ces pénibles contradictions; ce n’est pas par dolorisme qu’il accepte d’être otage. S’il le fait, c’est par amour des chrétiens, c’est par charité envers les fidèles. Il n’y a pas d’autre motivation. Ce n’est pas pour lui-même que Paul revendique sa liberté jusque dans les prisons; c’est pour les hommes que Dieu aime, pour les hommes que Dieu sauve. Sa raison de vivre n’est pas en lui-même; Paul ne vit plus que «pour» les autres.
Aujourd’hui où l’égoïsme est confondu avec le bonheur (et pour combien de déceptions cruelles?), Paul nous montre cette joie si profonde qui est le secret de son ministère: vivre pour les fidèles, souffrir pour les fidèles, supporter l’épreuve pour les fidèles, être libre en Dieu pour les fidèles. Cette charte de la vie sacerdotale que Paul rappelle à Timothée est d’une clarté décisive dans notre monde attristé par l’individualisme. Pourquoi ceux qui vivent pour les autres sont-ils plus heureux que ceux qui se replient sur leur confort? Voilà une question que la foi nous suggère, et à laquelle elle nous aide aussi à répondre.
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