jeudi 15 septembre 2016

25e dimanche du temps ordinaire - année C


«Dieu veut que tous les hommes soient sauvés» (1Tm2,4). Cette phrase très simple, qui n’a pas besoin de grandes explications pour être comprise, a été inscrite en tête du prologue du Catéchisme de l’Eglise Catholique, accompagnée de deux autres sentences scripturaires: 

«Père, la vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent, Toi, le seul véritable Dieu, et Ton envoyé, Jésus Christ» (Jn17,3) «Dieu notre Sauveur (…) veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité» (1Tm2,4). «Il n’y a sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvés» (Ac4,12) que le nom de JESUS.

Ces trois affirmations majeures, dans leur tension, dans leur entrechoquement, racontent (pour ainsi dire) toute l’histoire du salut des hommes. A première vue, il y a d’un côté quelque chose d’exclusif, de très restreint: par Jésus et Jésus seul; d’un autre côté, il y a une extraordinaire ouverture, large, accueillante: tous les hommes. Comprendre qu’il n’y a pas de contradiction est peut-être tout l’enjeu de la foi chrétienne. 

Que le nom de Jésus ne soit pas réducteur, qu’il ne vienne pas limiter la volonté de Dieu, c’est ce que le Concile Vatican II a bien montré. En devenant “un” homme, Jésus s’est «en quelque sorte uni à tout homme» (1). Les particularismes qu’il a assumés (il est né à une époque déterminée, dans un pays, dans une famille, avec certaines caractéristiques sociales et religieuses), toutes ces conditions historiques de la vie de Jésus ne sont pas une étroitesse qui rejetterait ceux qui n’ont pas vécu comme lui, au même endroit que lui, en même temps que lui – sinon, notre salut serait vraiment désespéré. Si Jésus est “un” homme, c’est afin de pouvoir rencontrer tout homme. Et aujourd’hui, tout homme, quel qu’il soit, quelle que soit son histoire personnelle (heureuse ou chaotique), quel que soit son caractère (tolérant ou colérique), quelles que soient ses convictions (politiques, ou même religieuses) peut faire la rencontre de Jésus. Que tout le salut de l’humanité passe par Jésus, ce n’est pas pour réduire l’étendue des sauvés dans une humanité perdue; c’est parce que Jésus est vraiment venu pour tous les hommes. 

Reste alors l’affirmation première, celle que nous avons entendue dans la lettre à Timothée: «Dieu veut que tous les hommes soient sauvés» (1Tm2,4). Dieu veut vraiment que tous les hommes soient sauvés. Il ne veut pas que les bons soient sauvés, et que les méchants soient condamnés. Il ne veut pas que les catholiques soient sauvés, et que les non-catholiques soient perdus. Il ne veut pas que les bien-pensants soient sauvés et que les sournois soient exclus. Non. Il veut que «tous les hommes» soient sauvés. Dieu le veut, Dieu le dit… il serait étonnant qu’il ne tienne pas parole. 

Il est curieux quand même qu’on ait eu tant de mal à admettre ce «tous les hommes». Quand on relit l’histoire de l’Eglise, on ne peut qu’être étonné du nombre de gens que les théologiens des siècles passés envoyaient en enfer – comme s’ils ignoraient quelle est la volonté de Dieu. Un auteur spirituel du XVII° siècle, aujourd’hui totalement oublié, le Père François Bonal, faisait ce constat, d’une redoutable lucidité: «Véritablement il faudrait bien être ennemi de soi-même, pour ne vouloir point s’en tenir à ce que Dieu même nous proteste de son Amour universel pour tous les hommes, et du pardon général de tous ceux qu’il peut justement punir» (2). Ceux qui inventent que Dieu veut sauver certains hommes (et non pas tous), doivent porter en eux-mêmes une certaine forme de malaise par lequel ils se font souffrir inutilement. Rêver d’un Dieu qui en sauve quelques-uns et qui laisse les autres (les plus nombreux) se perdre est en fait une manière de se haïr soi-même. Et rien de bon ne peut sortir d’une haine de soi, s’il est vrai que le commandement de Dieu nous ordonne d’aimer notre prochain comme nous nous aimons nous-mêmes (Mt19,19). 

Qu’est-ce donc que s’aimer soi-même, sinon aimer son prochain et vouloir (d’accord avec Dieu) qu’il soit sauvé? Qu’est-ce donc que vouloir (avec Dieu) que tous les hommes soient sauvés sinon être en paix avec soi-même pour pouvoir aimer tous les hommes? Si je ne m’aime pas sainement, si je n’aime pas mon prochain, il n’est pas étonnant que j’imagine un Dieu qui voudrait le salut des uns et la perte des autres. Mais il y a dans cette attitude quelque-chose qui ne va pas, qui n’est pas chrétien. Ce Dieu inventé par un homme sans amour n’est pas le Dieu de Jésus Christ. 

Enfin, si nous sommes d’accord avec le Dieu que Jésus nous révèle, un Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, nous pouvons nous demander ce que nous faisons pour contribuer au salut des hommes. Nous avons peut-être compris que nous ne sommes pas chrétiens pour être sauvés seulement, pour recevoir le salut, mais aussi pour être “sauveurs”, pour annoncer, pour témoigner, pour transmettre le salut par la foi que nous avons reçue. Avons-nous bien conscience de cela? Et si oui, que faisons-nous pour travailler avec l’Eglise au salut des autres? Il ne s’agit pas d’aller évangéliser les peuples lointains. Chacun peut (doit) faire cela près de chez soi. Les parents ont une grande responsabilité envers leurs enfants; les amis envers leurs amis; les enfants envers leurs camarades; chacun envers ses proches. Si nous ne fuyons pas cette mission que Dieu nous confie, alors nous verrons bien que Dieu veut sauver tous les hommes. 

(1) Concile Vatican II, Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, 22. 
(2) FRANÇOIS BONAL, Le Chrestien du Temps, II, III, 1 ; chez François Comba, Lyon, 1688 ; II, p. 154. [orthographe et ponctuation modernisées]

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