jeudi 4 août 2016

19e dimanche du temps ordinaire - année C


«Frères, la foi est la façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas» (He11, 1). Tous les docteurs médiévaux qui ont écrit sur la foi ont commencé par cette définition: la foi comme preuve de l’invisible. Notre monde comporte deux parties, «l’univers visible et invisible» comme dit notre Credo. Il y a ce qu’on voit; pour cela, la foi n’est pas nécessaire: nous le connaissons par mode d’évidence. Et puis il y a des choses invisibles, des réalités qui demandent une attention plus grande: la présence de Dieu, la grâce dans les âmes, l’efficacité des sacrements, l’inspiration de la Bible – voilà des choses que nous connaissons, mais que nous ne voyons pas. Comment les connaissons-nous? Précisément par la foi. C’est par la foi que nous savons que Dieu existe, que nous savons que le Bible a été inspirée, que la grâce est présente dans les âmes, que les sacrements sont une œuvre du Christ. Rien de cela n’est évident, et pourtant, par la foi, nous en avons la certitude. La foi, c’est d’abord cela. 

Une telle attitude, qui consiste à connaître une réalité invisible, n’est évidemment pas naturelle. Elle remonte, selon la Bible, à Abraham en qui nous reconnaissons notre père dans la foi. Cette attention nouvelle au monde invisible a été pour lui source d’une vie étonnante. Sa foi l’a conduit à mener, aux yeux de ses contemporains, une existence étrange. Souvenez-vous: il vivait chez son père, Térah, dans une condition de prestige et de richesse; il n’avait aucune raison de quitter ce confort. Et découvrant invisiblement que le Seigneur s’adressait à lui, Abraham a pris une décision inattendue, incompréhensible: «Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu: il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partir sans savoir où il allait» (He11, 8; Gn12). Voilà bien la démarche d’un croyant: il quitte sa famille, il renonce à son niveau de vie, il abandonne son bien-être pour aller nulle part, pour aller n’importe où. Est-ce raisonnable? A vue humaine, cela semble un peu fou – et c’est bien ainsi que sa famille et ses amis ont dû le considérer. Et pourtant, s’il vaut mieux «obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes» (Ac5, 29), c’est bien le contraire qui serait insensé: si Dieu appelle, qui serait assez lâche pour ne pas lui répondre? Si Dieu nous demande de sortir, qui serait assez stupide pour préférer ses petites habitudes et rester chez soi? Evidemment, il faut savoir si c’est vraiment Dieu qui appelle; pour cela, depuis Abraham, la tradition biblique ne manque de science spirituelle, d’expérience des âmes pour savoir «discerner quelle est la volonté de Dieu» (Rm12, 2). L’Eglise s’est dotée de méthodes spirituelles pour connaître la volonté du Seigneur; saint Ignace de Loyola, au XVIe s., s’est fait le spécialiste de cela. Tout le monde sait comment le ministère des prêtres, aujourd’hui, est vraiment au service de ce discernement. Mais une fois qu’on connaît, dans la foi, ce à quoi Dieu nous appelle pour notre bonheur, il serait vraiment mesquin de refuser cet appel, dût-on, pour y répondre, passer pour un peu fou aux yeux du monde. Abraham, préférant la folie de la foi à la prudence du confort, préférant le défi du nomadisme à la certitude des sédentaires, préférant la confiance dans l’invisible plutôt que le refuge dans l’évidence, Abraham a choisi de partir, et de vivre en renonçant même à voir l’accomplissement de ce que Dieu lui avait promis: il a vécu dans la foi et «c’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses», qu’il est mort (He11, 13). Vivre dans la foi, mourir dans la foi: n’est-ce pas là encore une folie? On pourrait, à la rigueur, accepter de vivre dans la foi pour un temps, mais que Dieu nous fasse avant notre mort un petit signe, qu’il nous fasse un clin d’œil, qu’il nous montre clairement sa présence. Mais non: il s’agit de vivre et de mourir dans la foi, parce que, de même qu’Abraham «pensait que Dieu est capable de ressusciter les morts» (He11, 19), de même nous croyons en la résurrection et en la vie éternelle. La foi dans laquelle nous vivons, la foi dans laquelle nous mourrons, c’est cette foi qui va plus loin que la mort. 

Et qu’est-ce que cela change d’être croyant? Aux yeux du monde, on passe pour un peu fou; on vit d’une manière étrange, et on renonce à recevoir avant la mort une confirmation claire, une certitude tangible de ce à quoi nous croyons. Ce que cela change, l’auteur de l’épître aux Hébreux le dit dans une formule magnifique, qui vaut toutes les récompenses, toutes les preuves. En parlant de tous ces patriarches qui ont vécu et qui sont morts dans la foi, il dit: «Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu» (He11, 16). Oui, le Seigneur accepte qu’on le nomme le «Dieu d’Abraham»; bien plus, lui-même se présente: «Je suis le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob» (Ex3, 6; Lc20, 37). Quand un homme est vraiment un croyant, Dieu n’a pas honte d’être appelé le Dieu de cet homme. Et cet homme peut dire alors, en toute vérité, «mon Dieu», sans craindre d’être désapprouvé par Dieu. On le dit sans y penser, pourtant cette invocation est bouleversante: si je peux dire «mon Dieu», sans que Dieu ait honte de moi, vous voyez ce qu’est la foi. Je suis pourtant bien imparfait, bien fragile, bien défaillant; mais je crois. Et parce que je crois, Dieu accepte d’être appelé «mon Dieu» comme il trouvait plaisir à être appelé le «Dieu d’Abraham». 

Dans le contexte troublé et violent de ces derniers jours, le cardinal Vingt-Trois déclarait: «ce qui est important, c’est que les catholiques ne perdent pas le sens de leur foi» (1). Nous croyons sans évidence en un Dieu vivant, plus puissant que la mort. C’est dans cette conviction que nous voulons vivre et mourir, et Dieu n’a pas honte d’être appelé notre Dieu. Voilà quel est le sens de notre foi. 

(1) http://www.famillechretienne.fr/politique-societe/societe/mgr-vingt-trois-appelle-les-catholiques-a-ne-pas-perdre-le-sens-de-leur-foi-200067

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.