vendredi 12 août 2016

20e dimanche du temps ordinaire - année C


Ce pauvre Sédécias est vraiment un triste sire, un personnage peu sympathique et malchanceux, malmené par un destin trop grand pour lui. Tout ce qu’on sait de lui par la Bible est défavorable. Petit prince mal placé dans l’ordre dynastique, il ne serait jamais devenu souverain si Nabuchodonosor, mettant fin au règne de Joiakîn (en 597 av. JC), n’avait eu l’idée de placer ce personnage faible et lâche sur le trône. Joiakîn avait été un mauvais roi, et c’est – selon les chroniqueurs bibliques – dans la logique de son péché qu’il a vu la prise de Jérusalem et qu’il a été déporté. Sédécias ne valait pas mieux, et c’est bien ce que souhaitait le roi de Babylone: en établissant un mauvais roi, il s’assurait la docilité de la Ville sainte et pensait n’avoir plus de souci de ce côté-là. Qu’est-ce qui est passé dans la tête de Sédécias, pour qu’il ait l’idée de se révolter contre Nabuchodonosor? C’était là vraiment une imprudence, une ingratitude, une lâcheté; en un mot: une énorme bêtise qui valut (en 587 av. JC) à Jérusalem d’être détruite de fond en comble et à Sédécias de voir exécuter tous ses fils avant qu’on ne lui crève les yeux. Les mœurs de l’époque n’étaient pas tendres (1).

Mais cela, c’est la fin de l’histoire que Sédécias ne connaît pas encore tandis qu’il discute avec les princes de Jérusalem dans l’extrait du livre de Jérémie que nous venons d’entendre (Jr 38, 4-6 ; 8-10). Jérémie, lui, qui est prophète, dont la lucidité scrute non seulement les événements mais aussi les cœurs, a déjà une petite idée sur comment tout cela va mal finir. Ce n’est sans doute pas par plaisir qu’il annonçait à Jérusalem des catastrophes qu’il aurait préféré ne pas voir; et c’est d’ailleurs pour éviter cette ruine terrible – s’il était possible – qu’il prêchait vigoureusement contre les tentations de révolte. Jérémie voyait bien qu’il était irresponsable de s’opposer ouvertement à un envahisseur aussi puissant que les Babyloniens. Les armées de Nabuchodonosor étaient invincibles dans tout l’Orient: comment un petit royaume ruiné et asservi aurait-il la moindre chance? Aussi, la parole de Jérémie déplaît à tous les fauteurs de guerre, à tous les téméraires qui rêvaient d’une revanche, et l’on veut le faire taire. L’accusation est facile à porter: en prônant la soumission temporaire à l’occupant, Jérémie «démoralise tout ce qui reste de combattant dans la ville» (Jr 38, 4). De fait, il ne devait pas rester grand monde de prêt à combattre: toute l’armée avait été déportée dix ans plus tôt lors du premier siège. A peine restait-il quelques paysans, quelques artisans, quelques commerçants: est-ce avec cette escouade de petits bourgeois qu’on voulait affronter les redoutables guerriers de Babylone? Une telle troupe d’amateurs ne devait pas être très difficile à démoraliser, si tant est qu’ils aient eu un jour l’envie d’en découdre. Et voilà que les princes se plaignent à Sédécias de la propagande pacifiste de Jérémie, et Jérémie est jeté dans une citerne (Jr 38, 6). 

Sédécias est pourtant un homme sans conviction, toujours de l’avis du dernier qui a parlé. Avec la constance de la girouette (qui dément que ce soit elle qui tourne, mais plutôt le vent…) le voilà qui est entrepris par Ebed-Melek, un éthiopien dont nous ne savons pas grand-chose (était-il honnête, religieux ou opportuniste?) Ce «serviteur du roi» (tel est son nom) vient parler à Sédécias en faveur de Jérémie, contre l’avis des princes. Et comme Sédécias se moque de tout, comme il n’a aucune fermeté, il fait en secret tirer Jérémie de sa citerne. La suite de l’histoire est qu’il y aura une entrevue entre Jérémie et Sédécias; Jérémie, interrogé par le roi, lui conseillera la docilité pour éviter la ruine de Jérusalem. Contre l’avis qu’il avait sollicité, Sédécias aura une conduite imprudente et tout sera détruit. 

La morale d’une si mauvaise histoire est assez simple. Nous avons d’un côté un homme qui parle selon Dieu: Jérémie dit, au nom du Seigneur, un message constant de prudence et d’habileté diplomatique. Il ne sert à rien de rechercher la guerre – même si on pense la gagner, et moins encore si l’on est assuré de la perdre. Il vaut mieux composer avec l’ennemi. Jésus donnera un conseil semblable: «Quel est le roi qui, partant faire la guerre à un autre roi, ne commencera par s’asseoir pour examiner s’il est capable, avec dix mille hommes, de se porter à la rencontre de celui qui marche contre lui avec vingt mille? Sinon, alors que l’autre est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander la paix» (Lc 14, 31-32). C’est l’évidence même. De l’autre côté, nous avons un homme inconstant, dont la parole ne vaut rien, dont les propos n’expriment aucune conviction (non pas qu’il dissimule ce qu’il pense: il ne pense rien!) Un tel homme n’a pas de fiabilité. Son langage est «oui et non» (2Co 1, 17-18), contrairement à cette règle élémentaire de la parole: «Que votre langage soit: Oui? Oui; Non? Non. Tout ce qu’on dit de plus vient du Mauvais» (Mt 5, 37; cf. Jc 5, 12). 

Dans une époque troublée (et assurément, l’époque de Jérémie et de Sédécias était troublée) il est vraiment décisif d’avoir une parole précise, généreuse, fiable, une parole sur laquelle on puisse compter. Toute faiblesse s’avère désastreuse. On n’a pas besoin, dans un tel contexte, d’hommes qui manquent de conviction. Il ne s’agit pas de prêcher une fermeté illusoire; Jérémie, rappelons-le, était du côté d’une docilité profitable. Mais il était constant, jusqu’à l’obstination, dans son message d’apaisement. Ses adversaires, eux, étaient apparemment plus forts, puisqu’ils voulaient la confrontation avec l’ennemi; mais leur force était un rêve, un mirage, une hallucination. L’histoire a bien prouvé qu’ils n’étaient pas de taille à assumer leurs prétentions belliqueuses. Et au milieu, pour départager ces deux camps, un roi inconsistant, balloté par toutes les opinions a conduit son peuple au désastre. Voilà ce qui fait une défaite. Si la force des pacifiques n’est pas écoutée, si le pays est conduit par un mou qui n’a pas de direction, alors c’est la ruine. Ce fut vrai en 587 av. JC., mais cette loi est peut-être plus générale qu’il n’y paraît. Il conviendrait de s’en souvenir. 

(1) Tout cela est raconté dans la Bible : 2R 24-25 et 2Ch 36. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.