vendredi 19 août 2016

21e dimanche du temps ordinaire - année C


Il n’est pas très simple de bien comprendre le passage de la lettre aux Hébreux entendu à l’instant (He 12, 5-7 ; 11-13). Il y est question de leçon, de correction, de châtiment et un tel langage ne nous fait pas plaisir. Nous en avons fini, pensons-nous, avec l’image d’un Dieu qui punit (c’est l’année de la miséricorde!) et même humainement, la notion de châtiment est contestée de toute part, que ce soit dans le fonctionnement de la justice civile ou pénale, que ce soit dans la pédagogie. La punition apparaît comme le grand échec, comme la faillite de tout système d’éducation ou d’intégration – et l’échec se situe toujours plus du côté de celui qui punit que de celui qui a mérité d’être corrigé. Evidemment, avec de telles idées confuses, on est mal armé pour lire notre texte. 

Et puis, comme si cela ne suffisait pas, l’auteur qui parle de choses tellement déplaisantes ose introduire son propos par une expression insoutenable: «Frères, n’oubliez pas cette parole de réconfort, qui vous est adressée comme à des fils» (He 12, 5). Voilà maintenant que tous ces discours sur les punitions et les châtiments de Dieu doivent être considérés comme un propos de consolation, comme la définition même de notre condition filiale: mais qui voudrait être fils d’un père aussi sévère? Est-il vraiment père, d’ailleurs, celui qui ne pense qu’à prendre ses enfants en défaut pour pouvoir leur faire payer par quelque mauvais traitement leurs défaillances? Est-il vraiment père celui dont le seul moyen éducatif est la sanction? 

A moins de penser que la Bible nous présente une image tellement révoltante des relations entre Dieu et les hommes (et auquel cas, il serait raisonnable de cesser de croire) il doit s’agir d’autre chose. Essayons donc de mieux lire. La morale biblique de la paternité et de la filiation se distingue assez clairement des pratiques antiques du paganisme précisément en ceci que l’autorité du maître de maison est toujours tempérée par une certaine modération, pour respecter l’inaliénable dignité des autres membres de la famille. Si dans le paganisme grec (spartiate ou athénien), si dans la pédagogie romaine, le premier argument pédagogique est bien souvent le fouet ou la férule, le père selon le nouveau Testament est un homme bienveillant et miséricordieux qui, selon le mot de Paul, se retient d’exaspérer ses fils: «Parents, n’exaspérez pas vos enfants, de peur qu’ils ne se découragent» (Col 3, 21). On sait bien qu’une pédagogie trop inquisitrice, trop portée à la vérification, qui se résume à la récompense et à la punition, décourage les enfants de bien faire. Elle les incite surtout à ne pas se faire prendre. L’enfant en conclut assez naturellement qu’il peut faire les bêtises qu’il veut, pourvu qu’il échappe à la vigilance de l’autorité: est-ce vraiment cela que veut transmettre une bonne éducation à la liberté et à la vertu? Et Paul, encore: «Et vous, parents, n’exaspérez pas vos enfants, mais usez, en les éduquant, de corrections et de semonces qui s’inspirent du Seigneur» (Ep 6, 4). Et qu’est-ce donc qu’une correction selon le Seigneur? 

Il est évident que dans la vie des hommes, dans la vie des peuples, se produisent des épreuves. Certaines sont injustes, purement imméritées: pourquoi telle maladie chez un homme dont la vie est saine? pourquoi tel échec chez un homme consciencieux? Mais il y a d’autres épreuves dont nous ne sommes pas totalement irresponsables: un homme imprudent paye parfois les conséquences de ses négligences; un tricheur est confronté à ses transgressions, un menteur enchevêtré, otage, des liens de ses mensonges. Dans un cas comme dans l’autre, ce qui arrive à l’homme est perçu comme un mal, comme une souffrance. Quel est alors le rôle de Dieu? Si l’homme est sans aucune conscience, il souffre; qu’il s’y résigne ou qu’il se révolte, il ne tire aucune leçon, il n’apprend rien de ce qu’il souffre. Cet homme refuse, dans son épreuve, le regard de Dieu. Mais si l’homme possède une conscience attentive, s’il s’efforce de comprendre ce qui lui arrive, s’il cherche quelle est sa part de responsabilité ou quelle est son innocence, s’il essaye de relire sa vie et son épreuve sous le regard de Dieu, alors la souffrance peut se transformer en leçon, en apprentissage, en véritable éducation. 

Dans l’ancien Testament, on disait que Dieu venait «visiter» les fautes de son peuple. Ce verbe étonnant, «visiter» (1), voulait dire que Dieu, par le ministère d’un prophète, venait décrire, revisiter, faire l’inventaire de la transgression, la relire pas à pas avec le peuple ou le roi fautif. Et de la faute elle-même, Dieu faisait ainsi jaillir un bien, une connaissance, une lucidité, et peut-être même une conversion. Dieu n’était pas vu comme un “père fouettard” ni comme un bourreau, mais comme un éveilleur de conscience. Les corrections que Dieu donne à ses enfants sont de l’ordre de l’explication, pas de l’ordre de la violence; elles sont une invitation à progresser, et non une peine de vengeance ou de colère. 

Evidemment, une telle «visite» de Dieu n’est pas pour autant quelque-chose de drôle: «Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie, mais plutôt de la tristesse» (He 12, 11). Cela est vrai: celui qui, sous le regard de Dieu, fait son examen de conscience, qui détaille ses lâchetés et mesquineries, qui décortique son égoïsme, qui scrute ses mauvaises rancunes, celui-là n’est pas joyeux. Mais qu’il vienne à recevoir le pardon par un aveu sincère et franc, alors tout change: «Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice» (He 12, 11). Voilà comment Dieu en use avec nous, voilà comment il tire de notre mal un bien véritable. Dans la nuit de Pâques, on proclame la faute «heureuse» (2) – non que le mal soit un bien. Mais la bonté de Dieu est telle que même de nos culpabilités il sait, par sa visite, tirer de nous quelque conversion et nous rendre meilleurs. 

(1) En hébreu, le verbe est paqad. Qu’il soit parfois traduit par «châtier», «punir» ne simplifie pas sa compréhension. On voit quelques bons exemples d’une telle visite chez le prophète Isaïe (Is 29; en particulier le v. 6); chez Jérémie (Jr 9, 24). 
Le bibliste André Wenin a bien exploré cette question, avec lucidité et pertinence. 

http://www.editionsducerf.fr/librairie/auteurs/livres/5976/andre-wenin

(2) «heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur» (Louange pascale, Exsultet; Missel Romain, vigile pascale, consécration du cierge pascal). 

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