Dieu a créé l’humanité
pour que chacun des hommes puisse s’épanouir en faisant le bien, puisse construire
un bonheur vrai, authentique, dans une vie droite et vertueuse. Mais voilà que
Dieu, dont la miséricorde précède nos fautes-mêmes, savait qu’il se trouverait
un criminel de bas étage, une sorte de délinquant minable, qui serait pris en
faute, jugé et condamné à mort à Jérusalem un certain printemps des années 30
du Ier siècle. Dieu voulait rencontrer cet homme afin de le
convaincre de ne pas mourir dans le désespoir, dans la révolte, dans le
blasphème. Dieu voulait que cet homme méprisable, que ce moins que rien, ne
quitte pas cette vie mauvaise sans un mouvement de repentir, sans quelque bonne
parole qui aurait ouvert, fût-ce in
extremis, une possibilité de salut. Mais quand on est Dieu, il n’est pas
très facile d’avoir un rendez-vous avec un petit caïd, surtout quand il doit
être condamné à la crucifixion.
Mais Dieu, dont la
bienveillance surplombe toutes nos trahisons, n’est jamais à court de moyens
quand il s’agit de sauver un homme. Et pour sauver cet homme-là, il avait son
idée. Il allait envoyer son Fils, et c’est sur ce Fils qu’il comptait pour
réconforter le criminel maudit. Mais quand on est Fils de Dieu, même si l’on
naît comme un homme, même si l’on vit comme un homme, il n’est pourtant pas
très naturel d’obtenir de rencontrer un tel malfaiteur. Et c’était là, sans
doute, toute la difficulté de cette mission : s’incarner pour aller sauver
un larron – le projet est beau et généreux, mais la mise en œuvre est délicate
et exige une très grande méticulosité.
Jésus n’est pas allé
au-devant de la mort, nous le savons. Dans les persécutions qu’on exerçait
contre lui, il ne s’est pas précipité vers le martyre – c’est qu’il avait
quelqu’un à rencontrer, il avait un homme à sauver, et ce n’était pas encore le
moment. « Son
heure n’était pas encore venue » disent les évangiles (Jn 7, 30 ;
8, 20) et, à chaque tentative d’arrestation, Jésus échappe : « mais lui, passant au
milieu d’eux, allait son chemin » (Lc 4, 30).
Mais voilà que ce
malfrat qui a motivé toute l’opération est pris en flagrant délit d’un crime
détestable, un meurtre crapuleux sans doute. Il est condamné ; comme il
n’est qu’un sujet abject et méprisable, pour lui, ce sera la croix, la plus
honteuse et la plus cruelle des punitions que l’Empire réserve à ceux qui n’ont
aucune dignité. Jésus doit maintenant agir vite, il ne lui reste plus grand
temps pour entrer en contact avec cet homme qui, dans peu de jours, va mourir
dans les souffrances les plus atroces et peut-être dans l’impénitence
définitive. Après, ce serait trop tard. Il est curieux de voir que Jésus, alors
qu’il aurait pu échapper une fois encore, comme d’habitude, aux poursuites, se
laisse faire, se laisse prendre au mont des Oliviers : « Chaque jour, j’étais
avec vous dans le Temple et vous n’avez pas porté la main sur moi » (Lc 22,
53) alors que vous auriez pu. « Mais c’est maintenant » que je dois
être arrêté, parce qu’il me faut sauver quelqu’un.
La manière que Jésus a
trouvée pour rencontrer cet homme est donc celle-ci : être à côté de lui
sur une croix. Quelle générosité faut-il pour aller ainsi trouver la pire
petite racaille au moment du supplice ? Quelle charité faut-il pour se
faire, non pas le bon conseiller qui prêche du pied de la croix, mais le compagnon
de souffrance qui meurt aussi (mais par une sentence inique) à côté de celui
qui meurt (condamné selon le droit) ? Il fallait que Jésus vienne là pour
pouvoir, au seuil du choix définitif, discuter avec cette crapule, parler un court
instant de ce qui compte vraiment. Et ce dialogue, nous le connaissons ;
même si Luc seul nous le rapporte, il est tellement ancré dans notre conscience
qu’il brille comme une lumière pour tout homme :
« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras
dans ton Royaume
– Amen, je te le dis : aujourd’hui tu
seras avec moi dans le Paradis »
(Lc 23, 42-43).
L’évangile dit aussi qu’il
y avait un autre malfaiteur, que Jésus voulait sauver également, sans doute.
Mais celui-là n’avait plus la force de supplier et préférait l’injure à la
repentance (Lc 23, 39). Ces deux larrons sont toute l’humanité ; ces
deux larrons, c’est nous-mêmes. Et toute l’histoire de notre salut se joue
là : nous sommes coupables, nous souffrons, et nous avons le choix. Jésus,
innocent, est venu nous rejoindre dans notre souffrance de pécheurs ;
Jésus est sur sa croix qui est plantée à côté de la nôtre, et nous pouvons lui
parler. Qu’allons-nous lui dire ?
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