vendredi 13 février 2015

6ème dimanche - année B

La première lecture tirée du Lévitique (13, 1-2 ; 45-46) nous décrit le cadre législatif et culturel dans lequel on comprenait la maladie et général et la lèpre en particulier dans l’Orient ancien. La maladie – qui est pour nous une réalité médicale – était à l’époque considérée surtout sous son aspect religieux : le malade est « impur » (Lv 13, 45) ; il ne va pas voir le médecin – les médecins, d’ailleurs, n’existaient pas en Israël – mais il va consulter le prêtre. Il est difficile d’imaginer quel était l’état de l’humanité avant que la médecine ne se développe. Sans faire un cours d’histoire, on doit se rappeler que la médecine est née en Grèce, aux alentours du Ve siècle avant J.C. dans l’école d’un certain Hippocrate de Cos[1]. L’invention de la médecine a consisté à rendre profane une discipline qui jusque là était prisonnière de la religion, de la magie ou de la superstition. Le génie d’Hippocrate a été d’affirmer, contre la mentalité de son époque, que le malade n’est pas impur, qu’il n’avait pas besoin d’exorcismes, mais qu’il fallait surtout le soigner. Cela, évidemment, Moïse l’ignorait – qui vivait mille deux cents ans avant J.C., sept cents ans avant Hippocrate. Il faut alors se représenter la situation de l’homme lépreux, de l’homme impur : il est chassé de toute société humaine, il ne peut plus entrer en contact avec qui que ce soit jusqu’à ce que sa lèpre disparaisse d’elle-même… et comment sa lèpre pourrait-elle se guérir toute seule ? Être impur, c’était une condamnation à l’exil avant d’être une condamnation à mort.
Franchissons donc un peu plus d’un millénaire et voyons ce que Jésus pense de tout cela (Mc 1, 40-45). Je ne sais pas si Jésus avait eu connaissance des traités de médecine hippocratique – peut-être, peut-être pas, qu’importe. Ce qu’on constate néanmoins, c’est que Jésus ne s’embarrasse pas de la décision de Moïse qui isole les lépreux. Si Jésus avait été fidèle à Moïse, il aurait dû fuir, partir en courant lorsque ce lépreux l’interpelait. Mais non ; au contraire. Non seulement Jésus parle à cet homme, mais il a encore l’audace de le toucher : « Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : Je le veux, sois purifié » (Mc 1, 41). Jésus accomplit là ce qu’on appelle une transgression : il franchit une limite que la Loi de Moïse imposait ; il va au-delà de ce qui était permis. On a du mal à imaginer la portée de cet acte qui nous semble évident, mais il faut mesurer combien cette inconvenance de Jésus se heurtait aux mentalités de son époque. Personne, dans son entourage, ne pouvait approuver un geste aussi scandaleux.
En touchant le lépreux, Jésus lui-même est devenu impur aux yeux de la Loi de Moïse. Les témoins de la scène n’ont sans doute vu que cela : un rabbi qui commet la folie de se rendre impur par une désobéissance manifeste à la Loi de Moïse. Ils n’ont peut-être même pas remarqué que c’est tout le contraire qui s’est produit ; ils ne se sont sans doute pas rendu compte que le lépreux était guéri. C’est que les Juifs pensaient que l’impureté était plus contagieuse que la pureté (cf. Ag 2, 12-13) : ils pensaient que l’impureté du lépreux avait contaminé Jésus, sans voir que la bonté toute-puissante de Jésus avait guéri le lépreux.

Il y a aujourd’hui beaucoup de gens ‘‘impurs’’ ; je veux dire qu’il y a aujourd’hui, dans nos sociétés, beaucoup de gens qui vivent à la manière des lépreux d’autrefois, exclus de tout ; ce sont des hommes et des femmes à qui tout le monde a peur de parler et qui vivent dans le silence. Ils ne sont pas frappés d’une lèpre de la peau, au sens médical du terme, mais tous ces rejetés vivent dans un isolement qui est aussi terrible. La Loi de Moïse a été abolie, mais une certaine loi de la méfiance et du confort égoïste l’a remplacée, qui nous interdit de nous approcher des blessés de la vie que nous croisons, parfois sans les voir, parfois sans comprendre que nous refusons de les voir. Qu’on pense, à l’opposé, à l’œuvre de Mère Térésa[2], qui accueillait pour mourir ceux qui n’avaient jamais croisé un regard de compassion : des hommes malades, prisonniers d’un système de castes, qui n’avaient jamais reçu aucun réconfort humain. Mère Térésa leur offrait un sourire, et cela était une œuvre de sainteté. Dans cette charité ultime, elle se souvenait chaque jour que Jésus avait osé toucher un lépreux.


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