vendredi 25 juillet 2014

17e dimanche - année A

En quelques mots d’une extraordinaire simplicité, ces paraboles de l’évangile (Mt 13, 44-52) abordent des questions d’une grande subtilité. Il ne serait pas possible de les expliquer toutes les trois, et je voudrais me limiter à la première qui tient en un seul verset, le trésor caché dans un champ (Mt 13, 44). Pour tenter de la comprendre, je voudrais tout d’abord la confronter à deux mauvaises lectures qu’on pourrait être tenté de faire.



La première consisterait à voir dans ce trésor caché, qui représente le Royaume, une chose dissimulée dans le monde qu’il faudrait localiser. En ce cas, le modèle du chrétien serait une sorte d’Indiana Jones ; vous vous souvenez de ce héro populaire de Steven Spielberg, qui a trouvé des tas de choses, l’arche d’alliance et le saint Graal entre autres, toute une quincaillerie plus ou moins mystique dont on n’a jamais dit qu’elle l’avait rendu heureux. Ainsi, on voit bien qu’on fait fausse route : le Royaume n’est pas un joyau précieux ; le chrétien n’est pas un explorateur en quête d’un magot camouflé quelque part.

La seconde, plus intéressante parce que documentée dans l’Antiquité, consiste à lire, en contrepoint de cette parabole la fable d’Esope Le laboureur et ses enfants[1], que La Fontaine a bellement imitée[2]. Au moment de mourir, un agriculteur dit à ses fils qu’il y a un butin dans son champ ; les fils retournent le sol avec frénésie, espérant déterrer le pactole. Ils ne trouveront rien, mais, ayant labouré courageusement, ils obtiendront une récolte abondante. La morale de l’histoire est alors, dit La Fontaine, que « le travail est un trésor ». Ainsi, le trésor ne serait pas une chose que l’on trouve, mais la joie de l’effort.
C’est peut-être un peu court, car c’est faire consister dans l’homme, et dans l’homme seul, tout espoir de joie. Le Royaume, le salut, ce serait le fruit du travail de l’homme et non plus un don gratuit de Dieu. Dans l’histoire de l’Eglise, certains ont pensé que l’homme pouvait se donner à lui-même le bonheur, qu’il pouvait se sauver par ses propres forces ; ce fut l’hérésie du pélagianisme contre laquelle saint Augustin a tant combattu, à juste titre. Cela n’est donc pas plus satisfaisant et, sauf le respect qu’on doit à Esope et à M. de La Fontaine, nous devons dire que la fable Le laboureur et ses enfants n’est pas recevable en théologie.

Mais alors, qu’est-ce que le Royaume, si ce n’est ni une chose cachée, ni le résultat du travail ? Dans ce petit verset de la parabole, c’est sans aucun doute le mot « joie » qu’il faut scruter. De quoi s’agit-il ? Il est évident que la joie ne saurait être une valeur monétaire ou économique ; elle n’est pas une pièce d’orfèvrerie. Elle n’est pas non plus la simple et légitime fierté du succès. La joie, si l’on y réfléchit bien, est quelque chose de plus, qui dépasse les forces humaines. Il appartient à l’humanité de trouver parfois, par chance, quelque chose de précieux ; il appartient à l’humanité, parfois, de réussir dans une entreprise. Mais s’en réjouir est quelque chose d’une qualité différente et bien supérieure. Si réussir est mon œuvre, me réjouir d’avoir réussi est quelque chose qui ressemble à un cadeau qui m’est fait. De temps en temps, nous ressentons la joie comme un sentiment surhumain, ou plutôt comme un sentiment surnaturel, qui élève notre satisfaction humaine à un niveau de désintéressement et de gratuité absolu. La joie nous est donnée par surprise. Et cela ne peut venir que de Dieu. Parfois, Dieu donne aussi cette joie au cœur même de l’échec ou de l’angoisse ; la parabole signale ainsi que la joie se trouve dans la dépossession, dans le renoncement à toute sécurité, elle advient à celui qui vend tout. Les béatitudes le disent aussi de manière paradoxale, conseillant à ceux qui sont persécutés – et nous pouvons penser sérieusement aux chrétiens de Terre Sainte et d’Irak[3] – d’être joyeux : « Réjouissez-vous et exultez, votre récompense sera grande dans les cieux : car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes » (Mt 5, 12). On voit bien que cette joie dépasse la mesure humaine. Là nous avons trouvé, je crois, ce qu’est le Royaume.

Résumons : le Royaume, dont l’image est évoquée dans cette parabole, n’est ni une richesse matérielle, ni un épanouissement humain ; c’est une liesse qui vient submerger le cœur de l’homme, même lorsqu’il se trouve dans l’épreuve. Et cette exultation ne vient pas de l’homme – car elle dépasse ses forces – elle ne peut venir que de Dieu. Notre rôle de chrétien n’est donc pas tant de courir le monde pour y dénicher le saint Graal, ni de conquérir à la force du poignet un succès qui restera toujours décevant. Notre rôle de chrétiens, c’est de prier, d’implorer, et d’attendre, au cœur des réussites et des échecs, cette imprévisible révélation intérieure d’une joie surnaturelle qui dépasse ce que nous saurions demander ou même imaginer.





[1] « Un laboureur, sur le point de terminer sa vie, voulut que ses enfants acquissent de l’expérience en agriculture. Il les fit venir et leur dit : Mes enfants, je vais quitter ce monde ; mais vous, cherchez ce que j’ai caché dans ma vigne, et vous trouverez tout. Les enfants s’imaginant qu’il y avait enfoui un trésor en quelque coin, bêchèrent profondément tout le sol de la vigne après la mort du père. De trésor, ils n’en trouvèrent point ; mais la vigne bien remuée donna son fruit au centuple. Cette fable montre que le travail est pour les hommes un trésor ». Esope est un auteur grec du VIe siècle av. J.C.
[2] « Travaillez, prenez de la peine : C’est le fonds qui manque le moins. Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage Que nous ont laissé nos parents : un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’août : Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. Le père mort, les fils vous retournent le champ, Deçà, delà, partout : si bien qu’au bout de l’an Il en rapporta davantage. D’argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer, avant sa mort, Que le travail est un trésor » (J. de La Fontaine).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.