Puisque le prophète
Isaïe (55, 10-11) nous le suggère, parlons de pluie et de neige. Nous savons
tous que la pluie et la neige viennent du ciel et tombent sur la terre. Cette
évidence est pour le prophète l’occasion d’une admirable comparaison : la
parole de Dieu elle aussi vient du ciel et descend sur la terre. De cela Isaïe
possède une expérience intime dans son ministère prophétique. Quand un prophète
parle, en effet, il ne dit pas ce qui vient de lui-même ; il dit ce qui
vient d’en haut, ce qui le dépasse,
ce qui le submerge. Le prophète
lui-même est surpris par la
Parole. Dans le jargon de la météorologie, on dit que la pluie et la neige sont
des « précipitations » ;
le mot conviendrait bien pour qualifier l’inattendu et l’urgence de la Parole de Dieu que le
prophète doit annoncer.
On peut résumer cela en
un mot : la pluie qui vient du ciel, la Parole qui vient de Dieu, est la Révélation.
Ce que l’homme ne peut pas connaître par les seuls efforts de son intelligence
lui est donné
gratuitement d’en haut. La Révélation, comme la pluie, est une grâce. Et
la Parole, comme la pluie, n’est pas réservée
à une élite. Lorsque Jésus remarque que le Père « fait tomber la pluie sur
les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45), il désigne la Parole qui est
envoyée à tout homme. Ce n’est pas la bonté de l’homme qui pousse Dieu à se
révéler, et c’est pourquoi Dieu parle à tout homme, qu’il soit bon ou mauvais.
C’est sa bonté à lui, son amour follement gratuit, qui conduit Dieu à
parler à tous les hommes qu’il n’a créés que pour les aimer, que pour qu’ils le connaissent et puissent l’aimer.
Mais le prophète Isaïe
connaît aussi le second mouvement du cycle de l’eau : la pluie tombe sur
la terre, certes, mais l’eau s’évapore ensuite et retourne au ciel. Comment
comprendre cela pour la Parole ? Nous y sommes habitués, et pourtant cela
est très étonnant : Dieu a donné sa Parole aux hommes, de telle sorte que les hommes puissent parler à Dieu.
Par nous-mêmes, nous sommes démunis pour
nous adresser à Dieu ; alors Dieu lui-même nous a, par sa Parole, enseigné
à lui parler. Ceci se passe naturellement entre un enfant et ses parents :
par lui-même, l’enfant naît sans savoir parler. Il faut qu’on lui parle pour
qu’il sache parler ; les parents qui aiment leur enfant lui donnent ainsi
les mots par lesquels il pourra ensuite lui-même s’adresser à eux. On ne parle
jamais que le
langage de ses parents ; entre Dieu et nous, c’est la même chose.
Quand je parle à mes parents, j’utilise la langue maternelle que mes parents
m’ont apprise ; lorsque je parle à Dieu j’utilise le langage de Dieu, la
Parole de Dieu. La prière, c’est
cela.
Le Psaume (64) que nous
avons prié après la lecture est une Parole de Dieu que nous adressons à Dieu.
Le Notre Père – qui est la charte de
notre prière chrétienne – vient de Dieu lui aussi. Personne n’oserait dire à
Dieu : « Père » si Jésus, Dieu lui-même, ne nous avait révélé ce
nom dont nous pouvons l’appeler. Ainsi, la Parole qui est venue du ciel, la Révélation, peut maintenant remonter
au ciel comme prière que nous
adressons à celui que nous connaissons.
La Parole sort de la
bouche de Dieu, descend du ciel et nous révèle
le visage du Seigneur ; la Parole de Dieu sort de la bouche de l’homme et
remonte au ciel dans une prière
fervente. C’est la même Parole, ce sont les mêmes mots, les mêmes vérités qui
servent à Dieu pour se révéler et à l’homme pour prier.
Et entre les deux ?
La pluie féconde la terre et donne le pain à celui qui mange. Traduisons :
la Parole transforme le cœur de l’homme et lui laisse une nourriture. Si
cela ne peut s’appliquer à l’Eucharistie,
je ne sais pas de quoi on parle. L’Eucharistie est, par excellence, une Parole de Dieu.
Qui d’autre en effet pourrait avoir l’autorité de dire sans mentir :
« Ceci est mon corps… Ceci est mon sang » ? Mais cette Parole de
Dieu devient une parole d’hommes lorsque le prêtre la prononce dans la Prière
Eucharistique. Par ces mots, le Christ s’est révélé comme celui qui se donne, corps
et sang, à nous. Et cette offrande complète qu’il nous révèle par sa Parole
inouïe, c’est à des hommes qu’il confie maintenant de l’accomplir par une prière.
Dieu révèle le don qu’il
fait de lui-même par ces quelques mots que nous n’aurions jamais imaginés. Voilà
cette Parole qui ne vient pas de nous,
qui vient du ciel, qui vient nous révéler
le pain descendu du ciel (Jn 6,
51). Et aujourd’hui, Dieu a confié à ses prêtres de prononcer cette
Parole au nom de toute l’Eglise. Cette parole, prononcée par Jésus est d’abord révélation eucharistique ;
prononcée par les prêtres de l’Eglise, elle devient prière eucharistique ; et, de la révélation à la prière, le Christ
nous laisse une nourriture, son corps et son sang qui soutiennent notre foi,
l’action de grâce qui nous invite à nous offrir aussi, corps et sang, pour que le Royaume advienne.
« Ainsi, dit le Seigneur, ma
Parole qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat »
(Is 55, 11).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.