Lorsque
Jésus nous parle de l’Esprit Saint, il l’appelle d’un nom précis. Il dit :
« le Paraclet » (Jn 14, 15). Comme il n’est pas possible
d’utiliser ce mot trop technique dans une traduction courante, on dit
justement, dans le texte que nous venons d’entendre : le Défenseur. Cette
traduction est très bonne. En effet, le para-kletos
c’est, en grec, celui qui est appelé auprès de quelqu’un pour assurer sa
défense lors d’un procès. En latin on dit, de même : ad-vocatus – ce qui a donné, en français : avocat. L’avocat,
c’est celui qui se tient à côté de celui qui doit répondre de ses actes et qui
est chargé de l’aider à éviter la condamnation.
Le
mot utilisé par Jésus suppose donc qu’il y ait un procès. Mais, c’est là qu’il
faut faire attention. Car dans ce procès, les rôles ne sont pas distribués
comme on le pense habituellement. Nous avons souvent une vision caricaturale d’un
Dieu juge (et le juge, pensons-nous, est nécessairement agressif, mal disposé,
sévère et vengeur). Et ce n’est pas cela que saint Jean veut nous dire. Il y a
donc lieu de mieux lire et de bien regarder qui fait quoi dans cette histoire
judiciaire des rapports entre Dieu et l’humanité.
Dans
un procès, il y a d’abord une partie chargée de l’accusation. Chez Jean, celui
qui occupe cette fonction est clairement celui qu’il appelle par ailleurs le
diable : « l’accusateur de nos frères, lui qui les accusait jour et
nuit » (Ap 12, 10). Le diable ne cesse d’accuser l’homme, de dénigrer tout
ce que l’homme fait de bien, de souligner tout ce qu’il accomplit d’imparfait,
de proclamer haut et fort tout ce qu’il fait de mal. Dans ce rôle, le diable
n’a pas beaucoup de difficulté, il faut bien le reconnaître, car la fragilité
et la méchanceté humaines sont pour lui une matière première inépuisable. Le
diable aura toujours quelque chose à blâmer et s’il ne trouve rien (cf. Jb 1, 8-11), il s’occupe
de trouver néanmoins quelque-chose : il nous pousse au mal, puisse il se
retire avec dégoût en nous reprochant nos gestes. En général, il trouve dans
notre faiblesse une alliée bien utile.
En
face de l’accusation, se trouve donc l’avocat, qui est ici explicitement
désigné : c’est le Saint Esprit. Le rôle de l’Esprit Saint est de
réconforter celui qui a commis une faute, de le consoler, non pour lui
dire : « ce n’est pas grave », non pour minimiser l’ampleur de
la méchanceté humaine, mais pour dire : « la miséricorde de Dieu est
plus grande que tout ce que vous pourriez faire ». C’est le Saint Esprit,
en quelque sorte, qui inspirait à sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de
dire : « si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais
toujours la même confiance ; je sens que toute cette multitude d’offenses
serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent »[1].
Car le Saint Esprit est toujours là pour nous rassurer, pour nous inciter à
croire au pardon de Dieu.
Et
– voilà le point le plus délicat : à qui appartient de prononcer la sentence,
l’acquittement ou la condamnation ? Dans le système imaginé par saint
Jean, ce ne peut être Dieu, puisque le Saint Esprit (qui est Dieu) tient la
place de l’avocat ; on ne saurait en effet imaginer que l’Esprit plaide
contre le Père ou contre le Fils et que notre salut ou notre perte soit le
résultat d’un marchandage, d’une dispute de la Trinité. Il apparaît alors que,
chez saint Jean, celui qui peut acquitter ou condamner, c’est l’homme lui-même,
c’est chacun de nous. Dieu sauve, Dieu veut sauver des hommes qui risquent de
se condamner eux-mêmes. L’action judiciaire est donc la suivante : le
diable accuse l’homme devant Dieu et devant l’homme lui-même ; le diable
nous décourage, nous dévalorise, nous bafoue. Le Saint Esprit plaide notre
cause, étant Dieu, devant nous-mêmes, pour nous inciter à faire confiance à la
bonté de Dieu. Et l’homme, qui entend son accusation se sent accablé et
voudrait se condamner lui-même ; mais l’homme entend aussi la plaidoirie
de l’Esprit Saint et il reprend espoir. Un texte très mystérieux de saint Jean
montre ce combat qui se joue dans le cœur même de l’homme, au plus profond de
sa conscience : « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand
que notre cœur » (1Jn 3, 20)[2].
Voilà ce que nous dit l’Esprit Saint ; il nous dit : « tu vois
le mal que tu as fait et cela te désespère, mais Dieu est plus grand que ton
désespoir ; ne te condamne pas toi-même alors que Dieu veut te
sauver ».
Jésus
dit enfin que les hommes ne savent pas accueillir le Défenseur : « Le monde est incapable de le recevoir,
parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas » (Jn 14, 17). Le monde, les hommes,
chacun de nous, nous savons mieux accuser que protéger, nous savons mieux nous
condamner nous-mêmes que garder l’espérance. Nous sommes plus prompts à nous
désespérer qu’à voir le salut de Dieu. Pour accueillir l’Esprit Saint, pour
entendre la voix de celui qui plaide notre cause, il faut faire confiance au
Christ. Pour nous, chrétiens, disciples, Jésus dit : « mais vous, vous le connaissez, parce qu’il
demeure auprès de vous, et qu’il est en vous » (Jn 14, 17). Ayant reçu l’Esprit Saint,
malgré les accusations que nous entendons de toute part, malgré le
découragement qui nous guette, nous savons voir que Dieu veut nous
sauver ; mieux : qu’il nous sauve en effet ! Cela ne va pas de
soi. Pour nous préparer à la Pentecôte, implorons avec plus de ferveur l’Esprit
Saint, le Défenseur, l’Avocat que Dieu nous donne ; qu’il nous fasse
connaître toute la bonté et miséricorde de Dieu.
[1] Thérèse de Lisieux, Derniers entretiens (11 juillet 1897).
On peut également
relire la lettre de Paul VI pour le centenaire de la naissance de sainte
Thérèse :
[2] Ceux qui étaient à Lyon lors de la
venue de Jean-Paul II (1986) se souviennent peut-être de ces paroles
pleines de bonté et d’espérance :
« Certains m’ont demandé de parler
de la vie éternelle. Chers amis, désirez-vous vraiment voir Dieu ? Face à
face dans l’autre monde, après l’avoir rencontré dans la foi en ce monde ?
Désirez-vous participer dès maintenant à sa Vie divine, être sauvés de ce qui
vous éloigne de lui, être pardonnés de vos péchés ? De telles grâces ne
sont pas en votre pouvoir. Dieu seul peut vous les accorder. Et, à partir de
là, il fera bien d’autres choses encore, par surcroît. Mieux que de changer les
choses que vous lui demandiez, il vous changera vous-mêmes. A force de regarder
Dieu, de lui donner votre foi, de le prier, de vous nourrir de lui, de “faire
la vérité” avec lui, et en particulier de répondre au commandement de l’amour,
vous ne serez plus les mêmes. En ce sens, oui, la foi est très efficace. Voilà
les chemins pour vivre Dieu, comme vous dites. Dieu est plus grand que notre cœur ».
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