vendredi 16 mai 2014

5ème dimanche de Pâques - année A

« Philippe lui dit : ‘‘Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit’’ » (Jn 14, 8). En entendant cette question, Jésus relève qu’une telle demande est étrange de la part de celui qu’il a associé à son intimité : « Comment peux-tu dire : ‘‘montre nous le Père’’ ? » (Jn 14, 9). La réponse de Jésus n’est pas à proprement parler un reproche, mais c’est un étonnement, une déception peut-être, et l’occasion, pour lui d’une nouvelle révélation.
Cependant, nous qui ne sommes pas plus grands théologiens que Philippe, nous devons sans doute, avant de voir ce qui ne va pas, prendre au sérieux sa demande. Car si elle est rapportée par l’évangéliste, elle ne peut être totalement inconvenante. Et, dans notre ignorance, il n’est pas certain que nous ne soyons pas encore plus enténébrés que Philippe ; il n’est pas certain que nous n’ayons rien à apprendre de lui.
Philippe, en effet, a compris au moins trois choses essentielles, dont nous ne sommes pas assez convaincus : 
1. Que nous avons besoin de voir Dieu. Tout homme possède en lui un désir de voir Dieu. Dans le paganisme de l’Antiquité, ce désir était tellement fort que les hommes ont d’eux-mêmes fabriqué des images des dieux, simulacres grossiers et condamnables. Dans l’ancien Testament, l’interdiction de sculpter ou de peindre des représentations de Dieu unique et véritable (Lv 26, 1) a été vécue comme une attente austère et exigeante. Durant toute l’histoire du peuple d’Israël, l’interdiction de représenter le Seigneur et le désir (contradictoire) de le voir ont purifié et augmenté le besoin authentique de contempler le vrai visage de Dieu. Et c’est Jésus qui, à l’occasion de la question de Philippe, donne la vraie réponse : « celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9) ; le voir lui, Jésus, c’est voir Dieu. Et Jésus n’est pas une idole, façonnée par les hommes à leur image et ressemblance ; Jésus est l’image parfaite du Père, « l’icône du Dieu invisible » (Col 1, 15).
2Que seul Jésus peut vraiment nous montrer le Père. Beaucoup de charlatans proposaient, et proposent aujourd’hui encore, des méthodes pour trouver Dieu au fond de soi, pour discerner je ne sais quelle énergie spirituelle divine qui serait présente en chacun. Toutes ces pratiques ne sont que des voies sans issues, des itinéraires de perdition, des impasses désespérantes. Si Jésus est « le » chemin (Jn 14, 6), ce que Philippe a bien entendu, alors Jésus est le seul à qui l’on puisse demander de nous montrer le Père. Cette exclusivité de Jésus dans l’accès à Dieu (cf. Ac 4, 12) n’est pas pour rejeter ceux qui ne le connaissent pas ; elle est pour que ceux qui le connaissent prennent conscience de leur mission d’annoncer l’invitation universelle à voir Dieu dans le Christ.
3. Que voir Dieu nous suffit. Ce n’est que dans la vision de Dieu que le croyant peut trouver enfin le terme, le but de sa foi. Dans tous les plaisirs que nous propose la société, dans toutes les informations que nous consommons chaque jour, rien n’est capable de nous combler. Nous assistons au grand théâtre du monde et nous sommes blasés. Un désir satisfait n’est que l’introduction d’un autre désir à satisfaire, et cela indéfiniment. La déception est le corollaire indispensable de toute la publicité qui prétend étancher nos soifs. En fait, seule la vérité de Dieu, seule la vision de Dieu est capable de nous apaiser définitivement ; lorsque nous verrons le Père, nous n’aurons plus envie de passer à autre chose. Voir Dieu, ce n’est pas regarder un spectacle, qui nous lasserait tôt ou tard ; c’est être transformés en lui, participer à sa propre béatitude : « Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est » (1Jn 3, 2). On nous fait croire que nous pourrions trouver notre bonheur dans le changement continuel sur cette terre ; nous découvrirons enfin que la paix authentique se trouve dans la fiabilité, dans la stabilité de Dieu qui ne change pas et qu’on peut contempler sans fin.
Voilà donc tout ce que Philippe avait bien compris. On doit donc reconnaître que c’est en homme sage, en prophète même, qu’il a ainsi parlé. Ce qu’il a dit devait être rectifié par Jésus, mais c’était néanmoins une demande magnifique, profonde, spirituelle. Avec cette question maladroite et pleine de bon sens, Philippe a permis à Jésus de dire alors quelque chose de son intimité avec le Père : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14, 11). Tout le mystère de l’unité trinitaire, de la communion des personnes divines est alors révélé. Ce n’est pas le lieu d’exposer maintenant tout ce dogme de la Trinité. Mais ce cinquième dimanche de Pâques pourrait être l’occasion, pour nous, de formuler également la prière de Philippe : ceux qui veulent recevoir de Jésus la contemplation du Père peuvent lui demander « montre-nous le Père ». Et si cette prière est faite avec ferveur et sincérité, nul doute que le Fils ne nous introduise dans l’intimité de Dieu. « Vous aussi, vous demeurerez dans le Fils et dans le Père » (1Jn 2, 24).


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