« Philippe lui dit :
‘‘Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit’’ » (Jn 14, 8).
En entendant cette question, Jésus relève qu’une telle demande est étrange de
la part de celui qu’il a associé à son intimité : « Comment peux-tu
dire : ‘‘montre nous le Père’’ ? » (Jn 14, 9). La réponse
de Jésus n’est pas à proprement parler un reproche, mais c’est un étonnement,
une déception peut-être, et l’occasion, pour lui d’une nouvelle révélation.
Cependant, nous qui ne
sommes pas plus grands théologiens que Philippe, nous devons sans doute, avant
de voir ce qui ne va pas, prendre au sérieux sa demande. Car si elle est
rapportée par l’évangéliste, elle ne peut être totalement inconvenante. Et,
dans notre ignorance, il n’est pas certain que nous ne soyons pas encore plus
enténébrés que Philippe ; il n’est pas certain que nous n’ayons rien à
apprendre de lui.
Philippe, en effet, a
compris au moins trois choses essentielles, dont nous ne sommes pas assez
convaincus :
1. Que nous avons besoin de voir Dieu. Tout homme possède en lui un
désir de voir Dieu. Dans le paganisme de l’Antiquité, ce désir était tellement
fort que les hommes ont d’eux-mêmes fabriqué des images des dieux, simulacres
grossiers et condamnables. Dans l’ancien Testament, l’interdiction de sculpter
ou de peindre des représentations de Dieu unique et véritable (Lv 26, 1) a
été vécue comme une attente austère et exigeante. Durant toute l’histoire du
peuple d’Israël, l’interdiction de représenter le Seigneur et le désir (contradictoire)
de le voir ont purifié et augmenté le besoin authentique de contempler le vrai
visage de Dieu. Et c’est Jésus qui, à l’occasion de la question de Philippe,
donne la vraie réponse : « celui qui m’a vu a vu le Père »
(Jn 14, 9) ; le voir lui, Jésus, c’est voir Dieu. Et Jésus n’est pas
une idole, façonnée par les hommes à leur image et ressemblance ; Jésus
est l’image parfaite du Père, « l’icône du Dieu invisible » (Col 1,
15).
2. Que seul Jésus peut vraiment nous montrer le
Père. Beaucoup de charlatans proposaient, et proposent aujourd’hui encore,
des méthodes pour trouver Dieu au fond de soi, pour discerner je ne sais quelle
énergie spirituelle divine qui serait présente en chacun. Toutes ces pratiques ne
sont que des voies sans issues, des itinéraires de perdition, des impasses désespérantes.
Si Jésus est « le » chemin (Jn 14, 6), ce que Philippe a bien
entendu, alors Jésus est le seul à qui l’on puisse demander de nous montrer le
Père. Cette exclusivité de Jésus dans l’accès à Dieu (cf. Ac 4, 12) n’est pas pour rejeter ceux qui ne le
connaissent pas ; elle est pour que ceux qui le connaissent prennent
conscience de leur mission d’annoncer l’invitation universelle à voir Dieu dans
le Christ.
3. Que
voir Dieu nous suffit.
Ce n’est que dans la vision de Dieu que le croyant peut trouver enfin le terme,
le but de sa foi. Dans tous les plaisirs que nous propose la société, dans
toutes les informations que nous consommons chaque jour, rien n’est capable de
nous combler. Nous assistons au grand théâtre du monde et nous sommes blasés.
Un désir satisfait n’est que l’introduction d’un autre désir à satisfaire, et
cela indéfiniment. La déception est le corollaire indispensable de toute la
publicité qui prétend étancher nos soifs. En fait, seule la vérité de Dieu,
seule la vision de Dieu est capable de nous apaiser définitivement ;
lorsque nous verrons le Père, nous n’aurons plus envie de passer à autre chose.
Voir Dieu, ce n’est pas regarder un spectacle, qui nous lasserait tôt ou
tard ; c’est être transformés en lui, participer à sa propre
béatitude : « Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons
tel qu’il est » (1Jn 3, 2). On nous fait croire que nous pourrions trouver
notre bonheur dans le changement continuel sur cette terre ; nous
découvrirons enfin que la paix authentique se trouve dans la fiabilité, dans la
stabilité de Dieu qui ne change pas et qu’on peut contempler sans fin.
Voilà donc tout ce que
Philippe avait bien compris. On doit donc reconnaître que c’est en homme sage,
en prophète même, qu’il a ainsi parlé. Ce qu’il a dit devait être rectifié par
Jésus, mais c’était néanmoins une demande magnifique, profonde, spirituelle.
Avec cette question maladroite et pleine de bon sens, Philippe a permis à Jésus
de dire alors quelque chose de son intimité avec le Père : « Je suis
dans le Père et le Père est en moi » (Jn 14, 11). Tout le mystère de
l’unité trinitaire, de la communion des personnes divines est alors révélé. Ce
n’est pas le lieu d’exposer maintenant tout ce dogme de la Trinité. Mais ce
cinquième dimanche de Pâques pourrait être l’occasion, pour nous, de formuler
également la prière de Philippe : ceux qui veulent recevoir de Jésus la
contemplation du Père peuvent lui demander « montre-nous le Père ».
Et si cette prière est faite avec ferveur et sincérité, nul doute que le Fils
ne nous introduise dans l’intimité de Dieu. « Vous aussi, vous demeurerez
dans le Fils et dans le Père » (1Jn 2, 24).
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