En
ce dimanche qui sépare l’Ascension de la Pentecôte, nous voyons la première
Eglise réunie dans la prière. Qui est cette première Eglise ? Ce sont les
Apôtres, Marie, et des fidèles. Saint Luc, dans les Actes (1, 12-14), nous donne une description très précise, très
historique, en même temps qu’une intuition très profonde de l’Eglise comme
mystère.
D’un
point de vue historique, Luc prend soin de donner la liste des Apôtres ;
ils ne sont plus que onze, puisque l’un d’entre eux a déserté et trahi. Les
Apôtres constituent l’Eglise en tant qu’elle est une société hiérarchique.
Aujourd’hui, les successeurs des Apôtres, ce sont les évêques en communion avec
le Pape, l’évêque de Rome. Cette structure hiérarchique de l’Eglise peut
sembler parfois pesante, et notre époque n’aime pas trop l’exercice de
l’autorité épiscopale dans l’Eglise. Mais pourtant, sans les Apôtres, sans les
évêques, il n’y aurait pas d’Eglise. Sans les évêques, la foi chrétienne serait
une espèce d’opinion individuelle que chacun pourrait construire à sa guise, et
la foi ne serait pas une communion de foi. Il faut bien qu’il y ait des hommes
qui soient les garants de l’unité dans l’Eglise, sinon, il n’y a plus d’Eglise.
Voilà pourquoi saint Luc prend la peine de donner cette liste d’Apôtres. Et les
premiers chrétiens attacheront beaucoup d’importance aux listes
d’évêques ; saint Irénée de Lyon était capable de citer les évêques de
Rome, depuis saint Pierre jusqu’à son époque[1].
Cette référence à l’autorité épiscopale au travers des âges était pour lui le
signe le plus authentique de la continuité de l’Eglise et de l’intégrité de la
foi. Et saint Irénée avait raison. En dehors de la continuité épiscopale, il
n’y a pas de vraie foi chrétienne.
L’Eglise,
ce n’est pourtant pas les Apôtres seuls, mais les Apôtres avec Marie. A la
structure hiérarchique de l’Eglise, il faut ajouter une référence de sainteté.
Car l’exercice de l’autorité n’est pas une fin en soi ; elle est au
service de l’épanouissement de la grâce. Marie représente donc, à côté des
Apôtres, la sainteté de l’Eglise. Elle est, en effet, celle en qui la grâce de
Dieu a porté tous ses fruits. Conçue sans péché, elle s’est toujours gardée intacte
de toute complicité avec le mal ; elle n’a jamais désiré aucun désordre et
son cœur ne s’est pas détourné de la parole de Dieu. Et même lorsque la volonté
de Dieu à son égard lui paraissait déroutante ou impossible, elle n’a jamais
cessé de lui faire confiance. Au jour de l’Annonciation, elle demande :
« Comment cela va-t-il se faire ? » (Lc 1, 34), puis elle
accepte tout : « Qu’il m’advienne selon ta volonté » (Lc 1,
38). La sainteté de Marie n’est pas une piété mièvre ; c’est avant tout sa
foi, profonde, absolue, sans conditions, sans fausses excuses. Elle a toujours cherché
la volonté de Dieu et, la connaissant, elle l’a toujours accomplie. Elle a
suivi son Fils jusqu’au bout, jusqu’à la Croix. Saint Pierre, en cela plus peureux
qu’une pauvre veuve, n’était pas au pied de la Croix ; mais Marie, elle, plus
courageuse que le prince des Apôtres, s’y tenait debout. Et souffrant avec son
Fils, elle consentait à son sacrifice. Si les Apôtres, et après eux les
évêques, sont donc les garants de la communion dans la foi, Marie est aussi
l’image parfaite de l’Eglise sainte qui met sa joie à croire. C’est d’elle
qu’Elisabeth a dit : « Heureuse celle qui a cru » (Lc 1, 45).
Et cette louange de Marie est aussi une belle définition de l’Eglise.
Enfin,
l’Eglise ce n’est pas seulement les Apôtres et Marie ; on pourrait croire
alors qu’il s’agit d’une société élitiste, réservée aux évêques et aux grands
saints. Mais non ! L’Eglise nous en faisons partie, nous qui sommes ni des
évêques ni des saints. C’est pourquoi saint Luc dit qu’il y avait, en prière,
avec Marie et les Apôtres, quelques femmes et les frères du Seigneur. Ces
quelques femmes et ces frères du Seigneur nous représentent. Ces fidèles ne
sont pas des gens importants ou célèbres qui mériteraient d’être désignés
personnellement ; ce sont des anonymes. Mais ils ont leur place dans
l’Eglise, à côté des Apôtres, à côté de Marie, et leur prière, jointe à celle
des Apôtres et de Marie, possède une réelle valeur, une réelle efficacité.
Cette Eglise de la foi quotidienne, cette Eglise de la prière toute simple,
c’est nous tous. Nous ne sommes pas l’Eglise sans Marie, sans les Apôtres.
Mais, avec eux, nous formons l’Eglise du Christ, le Peuple de Dieu.
Voilà
le portrait de l’Eglise que nous donne saint Luc : les Apôtres, Marie, les
fidèles anonymes. C’est cela l’Eglise « une, sainte, catholique et
apostolique » qui prie d’une seule voix, d’un seul cœur, à la veille de la
Pentecôte, dans l’attente de l’Esprit Saint. Ayons à cœur, chaque jour, d’unir
notre pauvre prière à celle des saints et à celle des évêques ; c’est
ainsi que la paix de Dieu pourra advenir dans notre monde. A l’invitation du
Saint Père, nous devons, en ces jours, porter son intention pacifique pour le
Terre Sainte ; et nous devons prier sans penser à la médiocrité de notre
prière personnelle, mais en associant notre faiblesse à l’autorité des évêques
et à la ferveur des saints. En Eglise, nous pouvons allier notre intercession à
celle de tous les fidèles, plus grands que nous, meilleurs que nous. La prière
unanime de l’Eglise est en effet toute puissante, et aujourd’hui Dieu demande
cette prière.
[1] « Nous pouvons énumérer ceux que
les Apôtres ont institués évêques dans les Eglises et leur succession jusqu’à
nous » (Saint Irénée, Contre les Hérésies, III 1).