Zachée ne parvenait pas
à voir Jésus « parce qu’il était de petite taille » (Lc 19, 3). Ce
léger détail de l’évangile nous aide à comprendre d’une manière profonde ce que
c’est que l’humilité. On croit que le succès dans la vie sociale consiste à se
grandir, à s’élever, à se hausser. Et un défaut morphologique doit absolument
être compensé par une volonté de réussite surdimensionnée. S’il n’est ni
possible ni souhaitable de psychanalyser Zachée le petit, on comprend facilement
qu’il était de ces hommes ambitieux qui attachent une haute importance à
s’élever dans la société. Au gré de compromissions par très honorables, il a
laissé de côté sa religion – lui aussi est fils d’Abraham (Lc 19, 9) – pour se
mettre au service de l’occupant romain et il a bâti sa fortune personnelle en
devenant collecteur d’impôts, puis chef des collecteurs d’impôts.
Economiquement, c’est une belle réussite, une belle revanche sur sa petite
taille ; mais voilà : quoique riche, Zachée reste de petite taille et
lorsque Jésus passe, il n’est, malgré sa richesse, qu’un petit homme qui essaye
de se frayer un chemin dans une foule de gens plus hauts que lui. Et comme il
sait qu’il faut monter, toujours monter, il trouve un sycomore qui sera pour cette
fois l’instrument de son ascension. Il grimpe sur l’arbre et maintenant il voit
la foule d’en haut, et d’un beau coup d’œil condescendant il peut contempler
tous ceux qui sont restés en bas : quelle réussite !
Mais c’est là, au cœur
de son orgueil, de sa “folie des grandeurs”, que Jésus va venir bouleverser le
petit monde de Zachée. Les premiers mots de Jésus retentissent comme quelque
chose d’inouï, quelque chose que Zachée n’aurait jamais imaginé :
« Zachée, descend vite » (Lc 19, 5). Ca, c’est vraiment une
parole dont Dieu a le génie, qui vient totalement surprendre l’homme. L’homme
voulait monter, monter jusqu’au ciel, et Dieu descend du ciel pour lui annoncer
au contraire que l’important est de s’abaisser. « Qui s’élèvera sera
abaissé, qui s’abaissera sera élevé » (Lc 18, 14) entendions-nous dans
l’évangile de dimanche dernier. Jésus vient nous révéler une toute autre
logique, que nous ne pouvions pas découvrir par nous-mêmes et qui qu’il doit
nous apprendre : la logique de l’humilité.
Le point ultime de cette
logique c’est la parfaite coïncidence de la plus extrême déréliction du Christ,
mourant sur la Croix, et de son exaltation souveraine. « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 32). La
Croix du Christ, ce bois atroce, est en même temps son extrême infamie et son
triomphe le plus absolu. D’une manière paradoxale saint Paul dit qu’il ne se
glorifie de rien, sinon de la Croix du Christ (Ga 6, 4). Comment
peut-on se glorifier de l’humiliation de Jésus ? Cela n’a humainement pas
de sens. Mais c’est là pourtant que le Christ nous appelle. Il nous voit
surplombant les autres, essayant par tous les moyens de nous élever encore un
peu plus : « Jusqu’où ne monterais-je pas ? ». Et devant
nos efforts dérisoires, inutiles et vains, le Christ vient nous donner cet
ordre inimaginable : « Descends vite ».
Aussi incroyable que
cela puisse paraître, Zachée qui n’était aucunement préparé à une telle
irruption de la logique de l’humilité dans sa vie, s’est laissé faire ; il
a accepté. Il est descendu. Il ne faut pas croire que Zachée était un riche au
cœur bon avant de rencontrer le Christ. Zachée n’était qu’un arriviste qui ne
préoccupait que de sa place dans la hiérarchie sociale ; ça ne fait pas de
lui un brigand, certes, mais ça ne fait pas de lui non plus un petit saint.
C’est très précisément « un pécheur » comme le disent justement ceux
qui s’étonnent (Lc 19, 7). Ce qui est extraordinaire c’est que la puissance de
la parole de Jésus vient le toucher et terrasser en un instant toutes ses
convictions terrestres. Dès cet instant, Zachée est complètement retourné et
s’engage dans une nouvelle voie. De même que saint Paul, le pharisien, sera anéanti sur le
chemin de Damas, en une seconde Zachée, le publicain, a été converti, retourné, changé du tout
au tout.
Ainsi bouleversé, Zachée
va enfin pouvoir rencontrer Jésus. Il cherchait à le voir et pensait que sa
petite taille était un obstacle ; maintenant il le voit parce qu’il a été
débarrassé de son ambition folle. Et alors il abandonne tout, il laisse tout.
Il a trouvé le trésor, la perle fine, la vraie richesse et il vend tout ce
qu’il a et le donne aux pauvres. Et désormais son trésor est dans le ciel, là
où il ne pouvait pas monter tout seul.
Assurément, dans cette rencontre imprévue avec
Jésus, Zachée a trouvé une joie authentique, une joie qu’il n’a jamais goûtée
auparavant. Trop souvent, notre ambition nous rend tristes. En vérité, c’est un
peu dommage de nous gâcher la joie à cause de nos désirs de grandeur, à cause
de tous les petits calculs mesquins, les manœuvres politiques, les hypocrisies
que cela impose. Demandons alors au Seigneur la grâce d’oser être heureux, humblement
heureux.
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