samedi 27 juillet 2013

17e dimanche - Année C

Beaucoup de chrétiens, aujourd’hui, se découragent de ce qu’ils ne savent pas prier. Ces croyants, généreux et inexpérimentés, trouvent dans les Apôtres de l’évangile de ce jour d’illustres compagnons d’infortune. Ces intimes de Jésus, ces colonnes de l’Eglise ne savent pas mieux prier que nous et, conscients de leur indigence, n’hésitent pas à demander : « Seigneur, apprends-nous à prier » (Lc 11, 1).
C’est que la prière n’est pas chose naturelle ; cela dépasse les forces de l’homme de se tenir devant Dieu, de se mettre en sa présence, de lui parler, de le contempler silencieusement. Naturellement, l’homme qui se tient en silence ne rencontre que le vide effrayant, vertigineux, qui lui tient lieu de misérable condition humaine. Les grands sages de l’Antiquité païenne pratiquaient de telles formes de prières et n’y trouvaient qu’un désespoir de plus en plus profond. D’autres hommes, moins spirituels, confondaient la prière et le culte, et récitaient des formules codifiées dans le lointain des âges : il y avait des demandes standardisées pour chaque occasion (pour faire tomber la pluie, pour gagner la guerre, pour profiter d’une affaire, pour obtenir une guérison…) et le dieu était tenu d’exécuter docilement ce qui lui était prescrit, d’exaucer sans condition la demande de l’homme. Autant dire que cela ne marchait pas toujours.
En Israël, existait le livre des Psaumes. Les demandes des Psaumes étaient moins futiles que les rabâchages des païens : le Psalmiste invoque la bonté du Seigneur dans les moments d’angoisse, de douleur, d’injustice ; il célèbre des occasions religieuses (la fête des tentes, l’arrivée d’un pèlerinage au sanctuaire) ; il sait aussi louer Dieu gratuitement, dans une pure exultation d’action de grâces. Voilà quelle était, à l’époque de Jésus, la prière d’Israël. Les Apôtres, bien sûr, connaissent tous ces textes ; mais, en voyant Jésus prier, ils comprennent que cela ne suffit pas. Au-delà de toutes ces formules, ils voudraient apprendre à prier.
Il faut reconnaître alors que la réponse de Jésus est déroutante : ils veulent apprendre à prier et Jésus leur apprend une prière, une de plus. Etait-ce vraiment utile ? Cela est étrange, n’est-ce pas ? Apparemment, Jésus ne répond pas à leur demande… ou, du moins, il y répond d’une manière inattendue. Allons-nous être déçus après une question si généreuse ? Peut-être pas.
La clef de lecture de l’enseignement de Jésus se trouve sans doute dans la conclusion : « … combien plus le Père, celui qui est aux cieux, donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 13). L’enjeu de la prière chrétienne c’est de demander l’Esprit Saint. Alors que les païens demandaient des avantages matériels, tandis que les Juifs, avec les Psaumes, implorent le secours dans l’épreuve, l’objet de la prière chrétienne – l’unique objet de la prière chrétienne – consiste à demander l’Esprit Saint.
Il est alors possible de relire le texte de la prière que Jésus donne à ses Apôtres. Saint Maxime le Confesseur commente ainsi le début : « Cette prière mentionne le Père et le Nom du Père et le Règne du Père, pour que, dès le début, nous apprenions à célébrer, invoquer et adorer dans l’unité l’éternelle Trinité » [1]. Car, dit-il, le Nom du Père est son Fils unique et le Règne du Père est le Saint Esprit. Ainsi, lorsqu’on dit : « Que ton Règne vienne », ou lorsqu’on demande : « Envoie ton Esprit », on ne fait que changer les mots, mais non le sens de la prière. Puis, lorsqu’on demande le pain après avoir demandé l’Esprit, demande-t-on autre-chose que ce pain sur lequel l’Esprit Saint a été invoqué ? Puis, lorsqu’on demande le pardon des péchés, parle-t-on d’autre-chose que de ce calice, consacré pour la multitude en rémission des péchés ?
Aussi, en donnant le texte d’une prière, Jésus a changé profondément l’attitude de toute prière : il s’agit de demander l’action de l’Esprit Saint, et principalement son action au cœur de la liturgie eucharistique. La prière chrétienne n’a pas d’autre but : demander que l’Eprit Saint réalise la présence du Christ, que le Règne vienne pour que le Nom soit consacré, que l’Esprit agisse pour que le Fils soit présent.
Il n’est pas interdit, bien sûr, de continuer à présenter d’autres demandes. Notre prière universelle, dans un instant, sera bien légitime ; les demandes contenues dans les Psaumes n’ont pas été abrogées ; et Dieu sait bien que c’est, de notre part, un acte de confiance que de le solliciter ici ou là pour telle ou telle petite chose ou grande chose. Mais nos motifs de prier sont parfois dérisoires : nous demandons à Dieu un avantage, alors que Dieu veut donner son Esprit. Si nous préférons demander autre-chose que l’Esprit Saint, c’est que notre prière n’est pas encore vraiment chrétienne, qu’elle doit encore être évangélisée.
La vraie prière, dont le Notre Père est la quintessence, c’est donc la prière eucharistique que le prêtre prononce et à laquelle toute l’Eglise est associée. Et il est heureux qu’à chaque fois qu’on célèbre la Messe, on poursuive la prière eucharistique par la prière même que Jésus a enseignée aux Apôtres, pour bien montrer qu’il s’agit là d’une même intention. Et cette prière, contrairement à nos demandes personnelles – si légitimes soient-elles – est toujours exaucée : Dieu envoie toujours l’Esprit Saint pour consacrer le corps et le sang du Christ lorsque l’Eglise le lui demande.
Ainsi donc, s’il faut résumer la prière chrétienne à sa réalité la plus pure, qu’il suffise de dire : « Que ton Règne vienne » ; Seigneur, envoie ton Esprit.


[1] saint Maxime le Confesseur, Commentaire du Notre Père, P.G. n° 90, 883-884 ; une traduction de cet ouvrage est proposée par A. G. Hamman, Le Notre Père dans l’Eglise ancienne, Editions Franciscaines, Paris, 1995. 

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