L’évangile que nous
venons d’entendre présente de façon contrastée la situation du disciple. Avec
bon sens et humour, le Seigneur décrit la manière de vivre de ceux à qui il
confie l’annonce de la Bonne Nouvelle. L’Eglise d’aujourd’hui se plaint parfois
de sa faiblesse ; nous avons dans ce texte l’occasion de constater que ce
n’était pas tellement mieux au temps des premiers chrétiens.
Qui sont-ils ces messagers
de l’évangile ? Il apparaît de manière très claire que, dès l’époque des
Apôtres, des hommes étaient choisis et se consacraient entièrement au ministère
de l’Eglise. Il existait déjà dans l’Eglise un ministère stable, à temps
complet, pour ceux qui devaient enseigner la foi. C’est pourquoi le Seigneur
dit, en parlant de ces ministres : « le travailleur mérite son
salaire » (Lc 10, 7). Si ces messagers de l’évangile avaient été des chrétiens
vivant dans le monde, ils auraient vécu de leur métier, gagné leur vie par un
travail, et puis ensuite, par générosité, ils auraient annoncé la bonne
nouvelle. Mais ce n’est pas le cas ; ces hommes ont renoncé à toute
activité lucrative et, pour vivre, ils n’exercent pas d’autre travail que celui
de la prédication. C’est que donner sa vie n’est pas accessoire quand il s’agit
d’annoncer l’évangile. Ils ont donc consacré leur vie de manière totale ;
en retour, ils doivent pouvoir compter sur le soutien et sur l’aide matérielle
des fidèles. On voit que la manière dont fonctionne l’Eglise actuelle n’est
finalement pas très différente de la pratique des premiers chrétiens pour ce
qui concerne l’organisation du ministère.
On voit ensuite que le
contexte est celui d’une pénurie de main d’œuvre : « la moisson est
abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux » (Lc 10, 2). On croit
parfois que la pénurie de main d’œuvre est un fléau moderne. On constate, en
particulier, de nos jours, que toute profession dans laquelle il y a une baisse
des effectifs, tout secteur qui ne parvient pas à recruter suffisamment de
candidats, est frappé de doute, entre dans une crise d’identité. Et ceci est
vrai – il faut bien le reconnaître – pour ce qui concerne le clergé. Par manque
d’effectifs, par rareté des vocations, beaucoup de prêtres ne savent plus ce
qu’est un prêtre et vivent dans un certain désarroi qui est une grande
souffrance pour toute l’Eglise. Cette tentation du prêtre qui voit, un peu
partout en France, que plus personne ne veut devenir prêtre, qui prend
conscience que ce qu’il fait aujourd’hui au service de Dieu et de l’Eglise ne
sera peut-être pas continué demain, après lui, cette angoisse doit motiver la
prière de tous les fidèles : « Priez le maître de la moisson »
(Lc 10, 2).
Il faut bien voir aussi que le ministère qui est
proposé peut intimider. Jésus, avec un peu d’humour et beaucoup de lucidité,
prévient ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu
des loups » (Lc 10, 3). Qui serait raisonnablement candidat pour une telle
mission ? Quel agneau est disposé à aller évangéliser les fauves ?
Une fable de La Fontaine dit très bien ce qui se passe lorsqu’un loup croise un
agneau. La formule de Jésus est volontairement exagérée : tous les
missionnaires de l’évangile ne sont peut-être pas des agneaux et tous ceux qui
ont besoin d’être évangélisés ne sont peut-être pas des loups. Mais, avec
vérité, Jésus prévient, plus sérieusement, que l’évangile sera parfois accepté,
parfois combattu, souvent rejeté. Les messagers de la bonne nouvelle seront
accueillis dans certains villages et pourchassés dans d’autres. Là encore, la
situation est réaliste ; ce que Jésus évoque est toujours d’actualité. Les
messagers de l’évangile ne sont pas à chaque fois mis en pièces, mais il faut
reconnaître qu’ils sont plus ou moins bien accueillis. Et il n’est jamais
confortable d’être ainsi mis dehors.
Enfin, il faut bien
s’étonner du climat de joie qui vient conclure notre page d’évangile. Ces
ouvriers en trop petit nombre, ces agneaux envoyés au milieu des loups, ces
disciples chassés hors des villages exultent d’un bonheur radieux. Au milieu de
toutes les épreuves, ils ont commencé de voir que le péché était vaincu par la
foi, que la souffrance était soulagée par la grâce, que l’erreur était
repoussée par la vérité. Et cette joie incommensurable dépasse tout ce qu’ils
ont eu à endurer. Et Jésus ajoute encore à cette joie par une promesse
merveilleuse : « vos noms sont inscrits dans les cieux » (Lc 10,
20). Dans l’Antiquité, les rois et les empereurs avaient l’habitude alors
d’inscrire leur nom sur les monuments qu’ils construisaient. Et ces noms
étaient écrits pour les siècles à venir. Aujourd’hui encore, on lit les noms de
Ramsès II ou de Jules César sur des édifices – et c’est une notoriété
enviable. Mais les noms des messagers de l’évangile sont écrits dans les cieux
d’une écriture éternelle ; leurs noms sont gravés à jamais dans le cœur de
Dieu. C’est une joie surhumaine qui leur est ainsi offerte. Saint Paul disait
que la joie d’un seul, dans l’Eglise, fait le bonheur de tous, que la
souffrance d’un seul fait la tristesse de tout le corps. Il est vrai les
épreuves des prêtres et des missionnaires causent une réelle souffrance à tous les chrétiens. Mais
maintenant, retenons surtout que c’est la joie qui est la plus forte. Que le
bonheur des évangélisateurs, des diacres, des prêtres – et en particulier de
ceux qui ont été ordonnés dimanche dernier – que cette joie vienne transfigurer
toute l’Eglise.
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