vendredi 20 novembre 2015

Christ Roi - année B


La fête du Christ-Roi n’a de sens que si on la considère comme un écho liturgique du Vendredi Saint. C’est ce jour-là que la royauté du Christ s’est manifestée dans sa paradoxale évidence, Pilate disant : « Voici votre roi » (Jn 19, 14), puis demandant : « Vais-je crucifier votre roi ? » (Jn 19, 15), puis faisant mettre par écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs » (Jn 19, 19). Il n’y a pas d’autre royauté du Christ que celle-là.
Dans le bref passage que nous venons d’entendre (Jn 18, 33-37), tiré de cet immense récit de la Passion selon saint Jean, que nous avions entendu le Vendredi Saint, il est précisément question d’une discussion entre Pilate et Jésus au sujet de cette royauté : « Alors, tu es roi ? » (Jn 18, 37). Dans l’antiquité, la royauté était une situation pour le moins ambiguë : dotée d’un incontestable prestige et éventuellement d’un certain pouvoir, la dignité royale se définissait également, en contrepartie de ces avantages, par un risque vital. Le roi est, de toute évidence, celui que l’ennemi cherche à tuer en premier. Dans une bataille, c’est d’abord sur lui que se concentre toute l’énergie des assaillants de sorte qu’il supporte le danger maximal ; ainsi pour Saül dans le dernier combat qu’il livra contre les adversaires d’Israël : « Le poids du combat se porta sur Saül » (1S 31, 3).
Si le ministère de Jésus fut une action royale, on peut donc relire le fait de sa mort dans cette logique : Jésus a combattu contre l’erreur, contre la haine, contre l’injustice, contre l’hypocrisie religieuse. Et tous ces ennemis, ligués contre lui, ont cru porter un coup décisif contre son message en obtenant sa mort dans le combat spirituel qu’il menait.

En disant qu’il vient « rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37), Jésus indique en effet que sa mission se situait dans un certain contexte d’opposition. On peut se demander, en effet, pourquoi « la vérité » n’est pas capable de s’imposer d’elle-même : pourquoi faudrait-il que quelqu’un témoigne en sa faveur ? Elle n’en a besoin, en toute logique, que si elle est niée injustement. Qu’il faille lui rendre témoignage suppose qu’on l’a rejetée et qu’il soit nécessaire de surmonter ce premier refus par un surcroît d’évidence. Et le témoignage, dans le vocabulaire grec de l’évangile, c’est aussi le martyre, l’affirmation d’une vérité jusque dans la violence, d’une constance jusque dans la mort.
Quel est donc le témoignage ? C’est la croix de Jésus. Quelle vérité ce témoignage affirme-t-il ? Dans la logique de saint Jean, cette vérité ultime à laquelle la croix de Jésus rend témoignage est, sans aucun doute, que « Dieu est amour » (1Jn 4, 8 ; 16). Nous voyons un homme condamné, torturé, cloué sur une croix et confondu avec deux sordides criminels ; et en voyant cela, il nous faut comprendre que Dieu est charité. La royauté de Jésus, c’est cela ! En ceux qui contemplent le crucifié et qui voient l’amour de Dieu, en ceux-là, le Christ règne.

En ces jours de détresse, la question de la royauté de Jésus se pose peut-être avec une urgence particulière. Nous voyons bien que le pouvoir du Christ-Roi n’est pas une force de vengeance, que ce n’est pas une capacité à contenir une violence par une violence plus grande. Si cela constitue les rouages de la politique et de la guerre, l’évangile se situe dans une autre logique. Le vrai pouvoir du Christ-Roi, c’est de pardonner à ses bourreaux. Que la dernière prière de Jésus ait été une absolution (« Père, pardonne-leur » ; Lc 23, 34) établit sa royauté dans le pouvoir de faire grâce. Si d’autres sentiments peuvent habiter nos cœurs ébranlés par les conflits du monde, obscurcis par la barbarie qui devient ordinaire, c’est que nous ne sommes pas encore bien évangélisés. Il serait utile alors de demander à Dieu, mais de le demander avec foi : « que ton règne vienne ! » (Lc 11, 2).


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