La fête du Christ-Roi
n’a de sens que si on la considère comme un écho liturgique du Vendredi Saint. C’est
ce jour-là que la royauté du Christ s’est manifestée dans sa paradoxale
évidence, Pilate disant : « Voici votre roi » (Jn 19, 14),
puis demandant : « Vais-je crucifier votre roi ? » (Jn 19,
15), puis faisant mettre par écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs » (Jn 19,
19). Il n’y a pas d’autre royauté du Christ que celle-là.
Dans
le bref passage que nous venons d’entendre (Jn 18, 33-37), tiré de cet immense
récit de la Passion selon saint Jean, que nous avions entendu le Vendredi
Saint, il est précisément question d’une discussion entre Pilate et Jésus au
sujet de cette royauté : « Alors, tu es roi ? » (Jn 18,
37). Dans l’antiquité, la royauté était une situation pour le moins
ambiguë : dotée d’un incontestable prestige et éventuellement d’un certain
pouvoir, la dignité royale se définissait également, en contrepartie de ces
avantages, par un risque vital. Le roi est, de toute évidence, celui que l’ennemi
cherche à tuer en premier. Dans une bataille, c’est d’abord sur lui que se
concentre toute l’énergie des assaillants de sorte qu’il supporte le danger
maximal ; ainsi pour Saül dans le dernier combat qu’il livra contre les
adversaires d’Israël : « Le poids du combat se porta sur Saül » (1S 31,
3).
Si
le ministère de Jésus fut une action royale, on peut donc relire le fait de sa
mort dans cette logique : Jésus a combattu contre l’erreur, contre la
haine, contre l’injustice, contre l’hypocrisie religieuse. Et tous ces ennemis,
ligués contre lui, ont cru porter un coup décisif contre son message en
obtenant sa mort dans le combat spirituel qu’il menait.
En
disant qu’il vient « rendre témoignage à la vérité » (Jn 18, 37), Jésus indique
en effet que sa mission se situait dans un certain contexte d’opposition. On peut
se demander, en effet, pourquoi « la vérité » n’est pas capable de
s’imposer d’elle-même : pourquoi faudrait-il que quelqu’un témoigne en sa
faveur ? Elle n’en a besoin, en toute logique, que si elle est niée
injustement. Qu’il faille lui rendre témoignage suppose qu’on l’a rejetée et
qu’il soit nécessaire de surmonter ce premier refus par un surcroît d’évidence.
Et le témoignage, dans le vocabulaire grec de l’évangile, c’est aussi le
martyre, l’affirmation d’une vérité jusque dans la violence, d’une constance
jusque dans la mort.
Quel
est donc le témoignage ? C’est la croix de Jésus. Quelle vérité ce
témoignage affirme-t-il ? Dans la logique de saint Jean, cette vérité
ultime à laquelle la croix de Jésus rend témoignage est, sans aucun doute, que
« Dieu
est amour »
(1Jn 4, 8 ; 16). Nous voyons un homme condamné, torturé, cloué sur
une croix et confondu avec deux sordides criminels ; et en voyant cela, il
nous faut comprendre que Dieu est charité. La royauté de Jésus, c’est
cela ! En ceux qui contemplent le crucifié et qui voient l’amour de Dieu,
en ceux-là, le Christ règne.
En
ces jours de détresse, la question de la royauté de Jésus se pose peut-être
avec une urgence particulière. Nous voyons bien que le pouvoir du Christ-Roi
n’est pas une force de vengeance, que ce n’est pas une capacité à contenir une
violence par une violence plus grande. Si cela constitue les rouages de la
politique et de la guerre, l’évangile se situe dans une autre logique. Le vrai
pouvoir du Christ-Roi, c’est de pardonner à ses bourreaux. Que la dernière
prière de Jésus ait été une absolution (« Père, pardonne-leur » ;
Lc 23, 34) établit sa royauté dans le pouvoir de faire grâce. Si d’autres
sentiments peuvent habiter nos cœurs ébranlés par les conflits du monde,
obscurcis par la barbarie qui devient ordinaire, c’est que nous ne sommes pas
encore bien évangélisés. Il serait utile alors de demander à Dieu, mais de le
demander avec foi : « que ton règne vienne ! » (Lc 11,
2).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.