Jésus
nous demande de nous laisser instruire par la comparaison du figuier
(Mc 13, 28). Il suffit d’entendre évoqué cet arbre délicieux pour laisser
monter dans notre imagination et notre mémoire tout un monde de sensations de
soleil, d’odeurs sucrées et de goûts subtils. Chez les anciens philosophes du
bassin méditerranéen, la figue passait pour ce qu’il y a de meilleur dans la
nature : « il n’y a rien de plus doux que les figues, excepté le
miel » faisait dire à Aristophane l’empereur Julien[1].
Un auteur chrétien, remarquant que le figuier est nommé dans les premières
pages de la Genèse (3, 7 ; cf. Jg 9, 11), fait également
ce compliment au plus savoureux des fruits de la création : « La
figue, sucrée et plantureuse, évoque les délices que connut l’homme au paradis,
avant sa révolte »[2].
Le figuier renvoie ainsi à l’enfance de l’humanité, à un imaginaire d’innocence
et de douceur, de vie sereine et calme, à des mythes de bonheur et à des
impressions de plaisirs sains. Le thème du paradis, en effet, peut-être tout
entier symbolisé par cet arbre ensoleillé.
Durant l’hiver, le
figuier est en sommeil, comme mort. Le bois est rigide et la vie semble s’être
retirée de cette écorce grise et froide. Au printemps, de bourgeons d’un vert
tendre sortent bientôt de petites feuilles aux formes caractéristiques, fines
et presque transparentes qui sont, dans le soleil, comme des vitraux qui se
laissent transfigurer par la lumière. On passe de la mort hivernale à une
résurrection printanière magnifique. Celui qui sait être attentif à une telle
éclosion se met alors à se souvenir des fruits de la saison précédente, du
sucre délicieux qu’ils contenaient sous cette peau violacée ; il entrevoit
alors, plein d’espérance, les figues de la récolte prochaine. Les fruits à
venir seront-ils aussi bons, aussi gorgés de ce goût de soleil ?
Seront-ils meilleurs encore ? Quelle abondance sera celle de ce vieil
arbre au tronc plissé ? Le désir grandit en lui, en même temps que
l’espoir. Cet homme qui scrute ainsi les phases et les métamorphoses de la
nature sait alors « que l’été est proche » (Mt 13, 28) ;
mais il le sait avec envie et dans l’attente.
Car il y a une autre
manière de savoir que l’été est proche. Les hommes de l’antiquité n’étaient pas
plus bêtes que nous et disposaient de calendriers qui étaient capables de leur
dire, administrativement, astronomiquement, dans combien de jours viendraient
l’équinoxe et le solstice. Pour savoir quand sera l’été, on peut toujours se
fier à une définition technique. Mais c’est tout autre chose. Ce n’est pas un
espoir, c’est une résignation ; ce n’est pas un désir, c’est un constat.
Quoi qu’il arrive, l’été viendra le 21 juin, qu’on le veuille ou non, que cela
plaise ou non.
En prenant la
comparaison du figuier pour parler de sa venue et de la fin du monde, Jésus
nous indique une attitude spirituelle. Alors que la présentation habituelle de
ces événements des derniers temps est entourée d’éléments de catastrophe et de
malheur (et le texte de notre évangile mentionne, il est vrai, aussi des
cataclysmes cosmiques ; Mc 13, 24-25), Jésus n’est pas l’otage de
cette apocalyptique un peu terrifiante. L’image du figuier vient dédramatiser
tout ce folklore de ténèbres et de fracas, pour introduire un imaginaire d’espérance
et de désir. Attendre le retour du Christ comporte autant de joie que de
prévoir une bonne récolte de ce que la nature nous offre de plus doux ; et
les signes avant-coureurs de cette venue sont les indices d’un bonheur aussi
simple et aussi sain que de se préparer à déguster un fruit estival. Alors que
l’histoire humaine, avec ses guerres et ses violences, nous annonce la fin
comme une terrible perte, la nature, avec la douceur de l’alternance des
saisons, nous suggère qu’elle est une joie d’enfant. Et cette espérance est
sans doute plus réelle que toutes nos peurs.
[1] Pseudo Julien l’Apostat, Lettre XXIV, à Sarapion, « Eloge
des figues et du nombre cent ». Si l’on relève habituellement que cette
lettre n’est pas de Julien, et que la citation n’est pas d’Aristophane, le
propos s’accorde en général avec ce qu’on sait de la pensée antique.
[2] Méthode d’Olympe, Le Banquet, 10 ; 264 ; Sources Chrétiennes n° 95, le
Cerf, Paris, 1963 ; p. 281.
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