vendredi 13 novembre 2015

33e dimanche - année B


Jésus nous demande de nous laisser instruire par la comparaison du figuier (Mc 13, 28). Il suffit d’entendre évoqué cet arbre délicieux pour laisser monter dans notre imagination et notre mémoire tout un monde de sensations de soleil, d’odeurs sucrées et de goûts subtils. Chez les anciens philosophes du bassin méditerranéen, la figue passait pour ce qu’il y a de meilleur dans la nature : « il n’y a rien de plus doux que les figues, excepté le miel » faisait dire à Aristophane l’empereur Julien[1]. Un auteur chrétien, remarquant que le figuier est nommé dans les premières pages de la Genèse (3, 7 ; cf. Jg 9, 11), fait également ce compliment au plus savoureux des fruits de la création : « La figue, sucrée et plantureuse, évoque les délices que connut l’homme au paradis, avant sa révolte »[2]. Le figuier renvoie ainsi à l’enfance de l’humanité, à un imaginaire d’innocence et de douceur, de vie sereine et calme, à des mythes de bonheur et à des impressions de plaisirs sains. Le thème du paradis, en effet, peut-être tout entier symbolisé par cet arbre ensoleillé.
Durant l’hiver, le figuier est en sommeil, comme mort. Le bois est rigide et la vie semble s’être retirée de cette écorce grise et froide. Au printemps, de bourgeons d’un vert tendre sortent bientôt de petites feuilles aux formes caractéristiques, fines et presque transparentes qui sont, dans le soleil, comme des vitraux qui se laissent transfigurer par la lumière. On passe de la mort hivernale à une résurrection printanière magnifique. Celui qui sait être attentif à une telle éclosion se met alors à se souvenir des fruits de la saison précédente, du sucre délicieux qu’ils contenaient sous cette peau violacée ; il entrevoit alors, plein d’espérance, les figues de la récolte prochaine. Les fruits à venir seront-ils aussi bons, aussi gorgés de ce goût de soleil ? Seront-ils meilleurs encore ? Quelle abondance sera celle de ce vieil arbre au tronc plissé ? Le désir grandit en lui, en même temps que l’espoir. Cet homme qui scrute ainsi les phases et les métamorphoses de la nature sait alors « que l’été est proche » (Mt 13, 28) ; mais il le sait avec envie et dans l’attente.
Car il y a une autre manière de savoir que l’été est proche. Les hommes de l’antiquité n’étaient pas plus bêtes que nous et disposaient de calendriers qui étaient capables de leur dire, administrativement, astronomiquement, dans combien de jours viendraient l’équinoxe et le solstice. Pour savoir quand sera l’été, on peut toujours se fier à une définition technique. Mais c’est tout autre chose. Ce n’est pas un espoir, c’est une résignation ; ce n’est pas un désir, c’est un constat. Quoi qu’il arrive, l’été viendra le 21 juin, qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou non.

En prenant la comparaison du figuier pour parler de sa venue et de la fin du monde, Jésus nous indique une attitude spirituelle. Alors que la présentation habituelle de ces événements des derniers temps est entourée d’éléments de catastrophe et de malheur (et le texte de notre évangile mentionne, il est vrai, aussi des cataclysmes cosmiques ; Mc 13, 24-25), Jésus n’est pas l’otage de cette apocalyptique un peu terrifiante. L’image du figuier vient dédramatiser tout ce folklore de ténèbres et de fracas, pour introduire un imaginaire d’espérance et de désir. Attendre le retour du Christ comporte autant de joie que de prévoir une bonne récolte de ce que la nature nous offre de plus doux ; et les signes avant-coureurs de cette venue sont les indices d’un bonheur aussi simple et aussi sain que de se préparer à déguster un fruit estival. Alors que l’histoire humaine, avec ses guerres et ses violences, nous annonce la fin comme une terrible perte, la nature, avec la douceur de l’alternance des saisons, nous suggère qu’elle est une joie d’enfant. Et cette espérance est sans doute plus réelle que toutes nos peurs.




[1] Pseudo Julien l’Apostat, Lettre XXIV, à Sarapion, « Eloge des figues et du nombre cent ». Si l’on relève habituellement que cette lettre n’est pas de Julien, et que la citation n’est pas d’Aristophane, le propos s’accorde en général avec ce qu’on sait de la pensée antique.
[2] Méthode d’Olympe, Le Banquet, 10 ; 264 ; Sources Chrétiennes n° 95, le Cerf, Paris, 1963 ; p. 281.  

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