La première lettre de
Paul aux Thessaloniciens est, nous disent les exégètes, le premier texte du
nouveau Testament, le plus ancien écrit chrétien, rédigé avant les évangiles,
le témoignage le plus proche de l’événement de la Résurrection de Jésus. A ce titre,
ce texte possède une autorité de fondement et doit être, sur toute question,
considéré comme un document d’une valeur inestimable.
Du fragment que nous
avons entendu (1Th 3, 12 – 4, 2), je voudrais retirer le premier
enseignement chrétien que nous possédons sur l’amour. Nous lisons :
« Que
le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de
plus en plus intense et débordant » (1Th 3, 12). De quoi
s’agit-il ? L’amour dont parle saint Paul est ici désigné par un terme
technique, qui possède dans le vocabulaire chrétien une signification tout à
fait décisive. Le mot agapè (qu’on
peut traduire également par : charité) n’est pas simplement un sentiment,
une sympathie, une amitié (qui sont des réalités très estimables, mais seulement
humaines). L’amour dont parlaient les premiers chrétiens contenait une exigence
beaucoup plus radicale qui poussait les fidèles à donner leur vie au nom de
leur attachement à l’évangile. On ne peut dire qu’il s’agisse d’une sympathie
doublée d’une générosité (car cela aussi, tout en étant infiniment respectable,
reste une attitude qui correspond aux forces de l’homme) ; cet amour,
c’est une décision volontaire, au nom de l’évangile ; c’est être
disponible pour se sacrifier ; c’est choisir, en conscience, de préférer
le bonheur des autres à sa propre réussite, et même à sa propre vie. Là, on se
trouve devant une réalité qui dépasse vraiment les forces de la nature
humaine : personne ne peut, par lui-même, mépriser son confort, ses
projets et sa vie même au profit des autres si Dieu ne lui inspire une telle volonté.
Voilà pourquoi Paul, parlant de cette charité, demande : « Que le Seigneur vous donne… un amour de plus en
plus intense et débordant ».
C’est un don de Dieu.
Qui devons-nous
aimer ? La réponse suggérée par cette prière est double. Paul s’adresse
aux fidèles, à l’Eglise ; et il leur dit d’abord qu’ils doivent s’aimer
les uns les autres : « entre vous ». Aux Galates, le même Paul demandera de
montrer de la bienveillance et de la solidarité « surtout envers nos
frères dans la foi »
(Ga 6, 10). Oui, il est raisonnable d’aimer d’un amour particulier ceux
avec qui nous croyons à l’évangile. C’est bien là une exigence
primordiale : si ceux qui partagent une même foi ne sont pas unis par un
même amour, personne ne pourra faire confiance à la vérité de leur croyance ;
au contraire, « tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples si vous
avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). L’amour
fraternel, pour ceux qui sont dans l’Eglise, est ainsi le premier acte de
l’évangélisation, pour ceux qui sont hors de l’Eglise. Il n’y aurait pas de
pire contre-témoignage que des guerres entre croyants.
Mais si l’on n’aime que
ceux qui nous ressemblent, nous ne sommes pourtant pas très généreux. Jésus
mettait en garde : « même les pécheurs aiment ceux qui les aiment » (Lc 6,
32). Aussi, la caractéristique d’un amour vraiment chrétien consiste à aimer
particulièrement les chrétiens, nos frères, afin d’aimer universellement tous
les hommes. Paul dit aux Thessaloniciens : « entre vous et à l’égard de tous » (1Th 3,
12) ; il dira pareillement aux Galates, dans un autre ordre : « pratiquons le bien à l’égard de tous et surtout de nos
frères dans la foi »
(Ga 6, 10). L’amour des chrétiens entre eux est primordial, mais il n’est
pas à lui-même sa propre finalité ; si les chrétiens s’aiment les uns les
autres, c’est pour pouvoir ensuite aimer tous les hommes.
Un tel amour dépasse
vraiment les forces de l’homme : il s’agit maintenant d’aimer des gens qui
ne pensent pas comme nous, qui ne croient pas comme nous ; ce sont
peut-être des gens qui nous font peur ; ce sont peut-être des gens qui
nous ont fait du mal. Et nous devons nous
aimer pour les aimer. En ce temps de
violence, ce message du premier texte chrétien de l’histoire montre bien son
actualité. Ayons le courage de recevoir ainsi de la charité de nos frères
Thessaloniciens l’exemple d’un amour fervent dans l’Eglise et ouvert aux
frontières de l’Eglise, car « au soir de notre vie, nous serons jugés sur
l’amour »[1].