jeudi 17 septembre 2015

25e dimanche - année B


« De quoi discutiez-vous en chemin ? » (Mc 9, 33). Cette question, anodine, de Jésus est un bon révélateur de ce qui fait le cœur de la vie d’un homme. L’homme parle en famille – mais il ne dit pas toujours ce qu’il pense – il parle lorsqu’il travaille – mais il recherche alors l’efficacité – il parle quand il prie – mais cela n’est peut-être pas très naturel. En revanche, dans ce contexte informel, durant cette marche, la langue de l’homme se libère de toutes les contraintes, liturgiques, professionnelles ou familiales, et il parle alors spontanément, le plus sincèrement possible.
Et que racontent-ils, ces hommes qui parlent en chemin ? Il parlait de qui est le plus grand (Mc 9, 34). Dans la mentalité juive, l’expression « le plus grand » possède un sens précis : c’est une façon de désigner Dieu (Ex 18, 11). Il n’y a personne au-dessus de Dieu, il est, par excellence, le plus grand, celui à qui va toute gloire. Mais c’est donc très bien : ils parlaient de qui est le plus grand – ils parlaient donc de Dieu ? Pas précisément : ils parlaient « entre eux » de qui est le plus grand, c’est-à-dire qu’ils cherchaient à s’exalter les uns au-dessus des autres. L’évangile suggère ainsi que toute forme d’orgueil, toute forme d’exaltation de soi – même si on ne s’exalte pas trop haut – fait entrer l’homme dans une concurrence avec Dieu. Evidemment, certains veulent explicitement se placer au-dessus de Dieu ; ainsi le prince de Tyr : « Parce que ton cœur s’est enorgueilli, tu as dit : “Je suis un dieu, j’habite une demeure divine, au cœur de la mer”… Ton cœur s’est enorgueilli à cause de ta beauté. Tu as corrompu ta sagesse à cause de ton éclat » (Ez 28, 2 ; 17). Ce genre de démesure ne nous guette sans doute pas ; et pourtant, plus modestement, plus sournoisement aussi, nous cherchons à nous faire valoir, à nous rehausser aux yeux des hommes. Les Apôtres entre eux n’osaient pas se comparer explicitement à Dieu ; c’était une bande de gens sans culture et sans autre éducation que de savoir attraper des poissons. Et pourtant, en discutant entre eux sur qui était le plus grand, et en laissant à l’écart de cette discussion Jésus lui-même – incontestablement le plus grand d’eux tous – ils sont entrés dans cette même logique selon laquelle l’homme pense se grandir en oubliant que Dieu est le plus grand.

La réponse de Jésus est alors admirable. Le plus grand, c’est donc Dieu ; les Apôtres s’en souviennent maintenant qu’on leur a fait remarquer que leurs paroles étaient légères. Et bien Jésus leur révèle que Dieu – qui est le plus grand – s’abaisse lui-même pour se faire « le serviteur de tous » (Mc 9, 35). C’est la logique du lavement des pieds : « Quel est en effet le plus grand, celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). Et il faut bien comprendre ces mots. Il ne s’agit pas simplement de se mettre au service des autres pour les aider, parce qu’on est serviable. Il s’agit de ce que Dieu s’est abaissé, a renoncé à sa gloire, s’est fait homme, s’est fait serviteur, pour mourir de la mort des esclaves, dans l’humiliation de la Croix. Car c’est bien de cela qu’il est question ici : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes, et ils le tueront » (Mc 9, 31).
Quelle est donc notre échelle des valeurs ? Pour nous, qui est le plus grand ? Dieu, bien sûr, répondons-nous tous en chœur. Mais qui faisons-nous notre dieu ? Notre dieu est-il le plus puissant et le plus riche : mais alors dieu c’est le dollar ! Notre dieu est-il la conviction la plus répandue : mais alors dieu c’est l’opinion publique, c’est le consensus ! Notre dieu est-il la sérénité : alors il faut adorer la bonne santé ! Notre dieu est-il le confort de tous les jours : c’est donc qu’il faut se prosterner devant la hausse du pouvoir d’achat !... Tout cela n’est pas sérieux – vous le voyez. Pourtant, pour répondre honnêtement que Dieu est pour nous le plus grand, il nous faut prendre conscience que son Fils, Jésus, a ainsi renoncé à la puissance et à la richesse, qu’il a proclamé un message qui dérangeait les convictions du plus grand nombre, qu’il a pris sur lui nos maladies et nos douleurs et qu’il est mort sur une Croix. Est-ce que c’est bien celui-là, pour vous, qui est le plus grand ? Si oui, il ne vous reste plus qu’à marcher jusqu’à la Croix avec lui ; sinon, il vous reste quelques progrès à faire dans le chemin de l’amour véritable. Ne craignez pas ; avec infinie délicatesse, le Seigneur lui-même vous y conduira.


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