La lettre de saint
Jacques que nous lisons depuis quelques semaines est un texte très difficile à
comprendre. Au-delà des mots (qui sont faussement simples) et des notions
théologiques (qui sont très ardues), cet écrit de saint Jacques est très
imagé ; et ces symboles sont pour nous difficiles à identifier et à
décrypter. Sans proposer une explication intégrale de l’imaginaire des premiers
chrétiens, je voudrais tenter de vous introduire, à propos du petit passage
entendu aujourd’hui (Jc 2, 14-18), à quelques correspondances peu
identifiables et pourtant très utiles.
Le sujet de ce passage
est classiquement considéré comme une argumentation au sujet de la foi et des
œuvres. Saint Paul, pense-t-on, dit que nous sommes sauvés par la foi (et il le
dit, en effet ; Rm 3, 28 ; Ga 2, 16). Saint Jacques
polémiquerait avec lui en insistant sur l’indigence de la foi seule ; la
valeur des œuvres est décisive : « Mes frères, si quelqu’un prétend
posséder la foi, et s’il ne possède pas les œuvres : quelle utilité ? » (Jc 2,
14). Les malentendus dans l’interprétation de cette discussion entre la foi et
les œuvres viennent en général de ce qu’on n’identifie pas exactement de
quelles œuvres parlent Paul (les œuvres de la Loi de Moïse) et Jacques (les
œuvres liturgiques, les sacrements). Ni chez l’un, ni chez l’autre il ne s’agit
des œuvres de justice, des bonnes actions qu’un croyant est moralement tenu de
faire en raison de sa foi. Mais il serait trop long d’illustrer cela chez saint
Paul ; essayons simplement, avec notre petit fragment de la lettre de
Jacques, de voir comment bien le comprendre.
Il est question d’une
sœur ou d’un frère nu et affamé : « Supposons qu’un frère ou une sœur n’ai
pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours » (Jc 2,
15). Si l’on ne remarque pas que cet exemple n’est pas un fait réel, mais une
image, on se représente un pauvre qu’il faut secourir : bien sûr qu’il
faut donner à ce frère ou à cette sœur un vêtement et un repas ! Et on
pense que saint Jacques fait ici l’éloge des associations caritatives. Il est
tout à fait vrai qu’il faille aider ceux qui sont privés de vêtements et de
nourriture ; mais la petite parabole de saint Jacques possède un autre
sens, pourvu qu’on la décrypte. Il ne s’agit pas ici de christianisme social,
mais de salut, de foi et d’œuvres.
La nudité qu’il faut
couvrir se rattache, dans le vocabulaire des premiers chrétiens, à la
thématique du baptême. Le baptisé est celui qui a « revêtu le Christ » (Ga 3,
27 ; cf. Col 3, 9-10).
La faim dont il s’agit évoque le repas eucharistique. Le croyant est celui qui
mange « un
aliment spirituel »
(1Co 10, 3), ce « pain quotidien » (Lc 11, 3) qu’on demande dans la
prière de chaque jour. Le fait que Jacques, dans sa parabole, évoque le
vêtement et la nourriture indique clairement qu’il parle en fait du baptême et
de l’eucharistie, ces deux sacrements sur lesquels s’articule l’ensemble de la
vie chrétienne.
Une fois qu’on a compris
cette image, on voit mieux de quoi il s’agit : un homme ou une femme dit
qu’il croit en Jésus. Si ce croyant n’est pas baptisé, s’il ne communie pas –
dit Jacques – à quoi lui sert-il de croire ? Celui qui n’a pas revêtu le
Christ, celui qui ne mange pas le pain de vie, peut-il trouver un profit à
croire seulement ? Le salut – dit Jacques – ce n’est pas de se contenter
de croire, ce n’est pas de partager quelques valeurs chrétiennes, quelques
idées ; le salut, c’est de vivre en chrétien, de prier en chrétien, de
célébrer en chrétien. Voilà les « œuvres » dont il s’agit. On ne peut
dire à quelqu’un qui croit seulement : « c’est très bien, continue à
croire », sans l’inviter à venir célébrer sa foi, sans lui proposer de
vivre aussi les œuvres de l’Eglise, les sacrements de la grâce. La question des
‘‘croyants non-pratiquants’’ qui nous semble très actuelle, et qui est une
grande souffrance pour toute l’Eglise, était un enjeu aussi pour les premiers
chrétiens. On le sait peu, mais l’auteur de l’épître aux Hébreux encourageait
déjà ceux qui avaient la tentation de déserter le rassemblement eucharistique
(He 10, 25) ; vous voyez que le problème ne date pas d’hier ! Le
message contenu dans la petite parabole est à situer dans ce contexte : peut-on
laisser de côté ceux qui pensent qu’il suffise de croire sans célébrer ? Peut-on
se taire devant les croyants qui refusent de pratiquer leur foi sans les
inviter à rejoindre le culte de l’Eglise ? Non, dit saint Jacques. Ce ne
serait pas digne de la foi. Il faut « montrer sa foi » (cf. Jc 2, 18) ; et c’est
par la pratique chrétienne que la foi devient visible, qu’elle est montrée et
qu’elle devient invitation pour ceux qui cachent leur foi ou qui n’ont pas la
foi.
Si vous connaissez des
gens qui croient, mais qui se privent du bonheur de pratiquer, vous pouvez donc
– dit saint Jacques – leur montrer votre foi, les aider à entrer en
catéchuménat (ce n’est pas si simple !), les inviter à une messe. Si vous
faites cela, vous aurez aidé un frère à revêtir le Christ et à manger le pain
de vie. C’est bien cela la logique d’une foi qui est communicative, rayonnante
et joyeuse.
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