vendredi 11 septembre 2015

24e dimanche - année B


La lettre de saint Jacques que nous lisons depuis quelques semaines est un texte très difficile à comprendre. Au-delà des mots (qui sont faussement simples) et des notions théologiques (qui sont très ardues), cet écrit de saint Jacques est très imagé ; et ces symboles sont pour nous difficiles à identifier et à décrypter. Sans proposer une explication intégrale de l’imaginaire des premiers chrétiens, je voudrais tenter de vous introduire, à propos du petit passage entendu aujourd’hui (Jc 2, 14-18), à quelques correspondances peu identifiables et pourtant très utiles.
Le sujet de ce passage est classiquement considéré comme une argumentation au sujet de la foi et des œuvres. Saint Paul, pense-t-on, dit que nous sommes sauvés par la foi (et il le dit, en effet ; Rm 3, 28 ; Ga 2, 16). Saint Jacques polémiquerait avec lui en insistant sur l’indigence de la foi seule ; la valeur des œuvres est décisive : « Mes frères, si quelqu’un prétend posséder la foi, et s’il ne possède pas les œuvres : quelle utilité ? » (Jc 2, 14). Les malentendus dans l’interprétation de cette discussion entre la foi et les œuvres viennent en général de ce qu’on n’identifie pas exactement de quelles œuvres parlent Paul (les œuvres de la Loi de Moïse) et Jacques (les œuvres liturgiques, les sacrements). Ni chez l’un, ni chez l’autre il ne s’agit des œuvres de justice, des bonnes actions qu’un croyant est moralement tenu de faire en raison de sa foi. Mais il serait trop long d’illustrer cela chez saint Paul ; essayons simplement, avec notre petit fragment de la lettre de Jacques, de voir comment bien le comprendre.
Il est question d’une sœur ou d’un frère nu et affamé : « Supposons qu’un frère ou une sœur n’ai pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours » (Jc 2, 15). Si l’on ne remarque pas que cet exemple n’est pas un fait réel, mais une image, on se représente un pauvre qu’il faut secourir : bien sûr qu’il faut donner à ce frère ou à cette sœur un vêtement et un repas ! Et on pense que saint Jacques fait ici l’éloge des associations caritatives. Il est tout à fait vrai qu’il faille aider ceux qui sont privés de vêtements et de nourriture ; mais la petite parabole de saint Jacques possède un autre sens, pourvu qu’on la décrypte. Il ne s’agit pas ici de christianisme social, mais de salut, de foi et d’œuvres.
La nudité qu’il faut couvrir se rattache, dans le vocabulaire des premiers chrétiens, à la thématique du baptême. Le baptisé est celui qui a « revêtu le Christ » (Ga 3, 27 ; cf. Col 3, 9-10). La faim dont il s’agit évoque le repas eucharistique. Le croyant est celui qui mange « un aliment spirituel » (1Co 10, 3), ce « pain quotidien » (Lc 11, 3) qu’on demande dans la prière de chaque jour. Le fait que Jacques, dans sa parabole, évoque le vêtement et la nourriture indique clairement qu’il parle en fait du baptême et de l’eucharistie, ces deux sacrements sur lesquels s’articule l’ensemble de la vie chrétienne.
Une fois qu’on a compris cette image, on voit mieux de quoi il s’agit : un homme ou une femme dit qu’il croit en Jésus. Si ce croyant n’est pas baptisé, s’il ne communie pas – dit Jacques – à quoi lui sert-il de croire ? Celui qui n’a pas revêtu le Christ, celui qui ne mange pas le pain de vie, peut-il trouver un profit à croire seulement ? Le salut – dit Jacques – ce n’est pas de se contenter de croire, ce n’est pas de partager quelques valeurs chrétiennes, quelques idées ; le salut, c’est de vivre en chrétien, de prier en chrétien, de célébrer en chrétien. Voilà les « œuvres » dont il s’agit. On ne peut dire à quelqu’un qui croit seulement : « c’est très bien, continue à croire », sans l’inviter à venir célébrer sa foi, sans lui proposer de vivre aussi les œuvres de l’Eglise, les sacrements de la grâce. La question des ‘‘croyants non-pratiquants’’ qui nous semble très actuelle, et qui est une grande souffrance pour toute l’Eglise, était un enjeu aussi pour les premiers chrétiens. On le sait peu, mais l’auteur de l’épître aux Hébreux encourageait déjà ceux qui avaient la tentation de déserter le rassemblement eucharistique (He 10, 25) ; vous voyez que le problème ne date pas d’hier ! Le message contenu dans la petite parabole est à situer dans ce contexte : peut-on laisser de côté ceux qui pensent qu’il suffise de croire sans célébrer ? Peut-on se taire devant les croyants qui refusent de pratiquer leur foi sans les inviter à rejoindre le culte de l’Eglise ? Non, dit saint Jacques. Ce ne serait pas digne de la foi. Il faut « montrer sa foi » (cf. Jc 2, 18) ; et c’est par la pratique chrétienne que la foi devient visible, qu’elle est montrée et qu’elle devient invitation pour ceux qui cachent leur foi ou qui n’ont pas la foi.
Si vous connaissez des gens qui croient, mais qui se privent du bonheur de pratiquer, vous pouvez donc – dit saint Jacques – leur montrer votre foi, les aider à entrer en catéchuménat (ce n’est pas si simple !), les inviter à une messe. Si vous faites cela, vous aurez aidé un frère à revêtir le Christ et à manger le pain de vie. C’est bien cela la logique d’une foi qui est communicative, rayonnante et joyeuse.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.