Les
deux paraboles de l’évangile (Mc 4, 26-34) ont en commun de parler d’une
semence : qu’il s’agisse du blé ou de la graine de moutarde, le sens est
le même, chargé de toutes les images portées par une société agricole.
Explorons quelques-uns de ces symboles.
Il faut
tout d’abord relever que les semailles sont un renoncement ; tout le
principe de l’agriculture est là : il s’agit de s’abstenir de consommer
une partie de la récolte pour assurer la récolte de l’année suivante. Si un
grain de blé donne un épi de trente grains (cf.
Mc 4, 8 ; 20), et si je veux avoir l’an prochain la même récolte que
cette année, il me faut épargner un trentième de la récolte de cette année pour
avoir de quoi semer ce qui me nourrira l’an prochain. Le fondement de
l’agriculture est donc qu’on ne peut pas tout consommer ; c’est un
principe de modération. C’est un petit renoncement au profit d’une fécondité
future. Notre société ‘‘de consommation’’ a oublié ce que cela voulait
dire : renoncer. Cela voulait dire qu’on pouvait avoir faim alors qu’il
restait du grain qu’il était interdit de consommer. Cela exigeait de la
maîtrise de soi pour ne pas hypothéquer l’avenir. Il y a là quelque chose qui
ressemble au règne de Dieu.
Ensuite,
il faut remarquer que le grain de blé ou la graine de moutarde sont mis dans le
sol, pour parler clairement : ils sont inhumés. Jésus remarque autre part
que le grain de blé jeté en terre « meurt »
(Jn 12, 24) avant de produire son épi. Dans les sociétés agricoles, qui
sentaient mieux que nous les rythmes de la nature, on avait l’habitude de se
représenter la succession des saisons, comme les étapes d’une vitalité perpétuelle :
à la mort hivernale succédait cette résurrection qu’est le printemps et cette
maturité estivale. La mort et la résurrection faisaient partie de la nature et
on comprenait bien que seule la mort peut conduire à la résurrection, de même
que seul l’hiver ramène le printemps. Les sociétés agricoles étaient donc mieux
capables de comprendre que la mort de Jésus était comme un hiver qui ne pouvait
être sans espoir ; au contraire, à cette mort devait succéder une
résurrection et une fécondité (et, dans le cas du Christ, c’est cela qui,
vraiment, était définitif). Jésus est sorti vivant de son tombeau et ses
disciples ont porté l’évangile sur toute la terre. Le Christ est mort seul, et
sa résurrection a fait naître l’Eglise. De même le grain de blé meurt seul et
fait naître l’épi ; la graine de moutarde meurt seule et produit ce bel
arbuste potager. L’épi est au grain de blé ce que l’Eglise est au Christ. Voilà
quelque chose qui nous indique le règne de Dieu.
Enfin,
Jésus souligne qu’il y a dans cette admirable fécondité quelque chose de
mystérieux. Le semeur lui-même n’y comprend rien : « nuit et jour, qu’il
dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment »
(Mc 4, 27). Le jardinier, qui connaît les plantes, qui n’ignore rien des
rythmes de la natures ni des secrets du climat, ne peut que constater avec
émerveillement ce mécanisme étrange de mise en terre, de mort, de
décomposition, de résurrection et de fécondité. Dans une société religieuse, il
n’est alors pas difficile d’attribuer à la bonté de Dieu cette loi naturelle de
la fructification : « Ainsi donc, ni celui qui
plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la
croissance : Dieu » (1Co 3, 7). Il y a là quelque chose qui
enseigne ce qu’est le Royaume de Dieu.
Dans
notre monde qui ne sait plus renoncer, qui ne sait plus attendre, qui veut
cacher la mort pour ne plus croire à la résurrection, on refuse d’attribuer à
la bonté de Dieu le mystère de cette germination bienfaisante. Et pourtant, ce
signe du royaume, dans sa simplicité, est là qui nous invite à croire et à
espérer : « Soyez donc patients, frères, jusqu’à
l’Avènement du Seigneur. Voyez le laboureur : il attend patiemment le
précieux fruit de la terre jusqu’aux pluies de la première et de
l’arrière-saison » (Jc 5, 7). Celui qui sait lire le
Royaume dans les petites réalités de la nature, celui-là est capable d’une
vraie espérance : il renonce aujourd’hui pour attendre mieux demain ;
il est capable de modérer son appétit aujourd’hui en vue d’une fécondité non
seulement future, mais éternelle. Alors le renoncement d’aujourd’hui est déjà
une plénitude, car pour ceux qui croient, pour ceux qui espèrent, Dieu est dès
maintenant la source de toute bonté et de toute joie spirituelle.
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