jeudi 11 juin 2015

11e dimanche - année B

Les deux paraboles de l’évangile (Mc 4, 26-34) ont en commun de parler d’une semence : qu’il s’agisse du blé ou de la graine de moutarde, le sens est le même, chargé de toutes les images portées par une société agricole. Explorons quelques-uns de ces symboles.

Il faut tout d’abord relever que les semailles sont un renoncement ; tout le principe de l’agriculture est là : il s’agit de s’abstenir de consommer une partie de la récolte pour assurer la récolte de l’année suivante. Si un grain de blé donne un épi de trente grains (cf. Mc 4, 8 ; 20), et si je veux avoir l’an prochain la même récolte que cette année, il me faut épargner un trentième de la récolte de cette année pour avoir de quoi semer ce qui me nourrira l’an prochain. Le fondement de l’agriculture est donc qu’on ne peut pas tout consommer ; c’est un principe de modération. C’est un petit renoncement au profit d’une fécondité future. Notre société ‘‘de consommation’’ a oublié ce que cela voulait dire : renoncer. Cela voulait dire qu’on pouvait avoir faim alors qu’il restait du grain qu’il était interdit de consommer. Cela exigeait de la maîtrise de soi pour ne pas hypothéquer l’avenir. Il y a là quelque chose qui ressemble au règne de Dieu.
Ensuite, il faut remarquer que le grain de blé ou la graine de moutarde sont mis dans le sol, pour parler clairement : ils sont inhumés. Jésus remarque autre part que le grain de blé jeté en terre « meurt » (Jn 12, 24) avant de produire son épi. Dans les sociétés agricoles, qui sentaient mieux que nous les rythmes de la nature, on avait l’habitude de se représenter la succession des saisons, comme les étapes d’une vitalité perpétuelle : à la mort hivernale succédait cette résurrection qu’est le printemps et cette maturité estivale. La mort et la résurrection faisaient partie de la nature et on comprenait bien que seule la mort peut conduire à la résurrection, de même que seul l’hiver ramène le printemps. Les sociétés agricoles étaient donc mieux capables de comprendre que la mort de Jésus était comme un hiver qui ne pouvait être sans espoir ; au contraire, à cette mort devait succéder une résurrection et une fécondité (et, dans le cas du Christ, c’est cela qui, vraiment, était définitif). Jésus est sorti vivant de son tombeau et ses disciples ont porté l’évangile sur toute la terre. Le Christ est mort seul, et sa résurrection a fait naître l’Eglise. De même le grain de blé meurt seul et fait naître l’épi ; la graine de moutarde meurt seule et produit ce bel arbuste potager. L’épi est au grain de blé ce que l’Eglise est au Christ. Voilà quelque chose qui nous indique le règne de Dieu.
Enfin, Jésus souligne qu’il y a dans cette admirable fécondité quelque chose de mystérieux. Le semeur lui-même n’y comprend rien : « nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (Mc 4, 27). Le jardinier, qui connaît les plantes, qui n’ignore rien des rythmes de la natures ni des secrets du climat, ne peut que constater avec émerveillement ce mécanisme étrange de mise en terre, de mort, de décomposition, de résurrection et de fécondité. Dans une société religieuse, il n’est alors pas difficile d’attribuer à la bonté de Dieu cette loi naturelle de la fructification : « Ainsi donc, ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne la croissance : Dieu » (1Co 3, 7). Il y a là quelque chose qui enseigne ce qu’est le Royaume de Dieu.
Dans notre monde qui ne sait plus renoncer, qui ne sait plus attendre, qui veut cacher la mort pour ne plus croire à la résurrection, on refuse d’attribuer à la bonté de Dieu le mystère de cette germination bienfaisante. Et pourtant, ce signe du royaume, dans sa simplicité, est là qui nous invite à croire et à espérer : « Soyez donc patients, frères, jusqu’à l’Avènement du Seigneur. Voyez le laboureur : il attend patiemment le précieux fruit de la terre jusqu’aux pluies de la première et de l’arrière-saison » (Jc 5, 7). Celui qui sait lire le Royaume dans les petites réalités de la nature, celui-là est capable d’une vraie espérance : il renonce aujourd’hui pour attendre mieux demain ; il est capable de modérer son appétit aujourd’hui en vue d’une fécondité non seulement future, mais éternelle. Alors le renoncement d’aujourd’hui est déjà une plénitude, car pour ceux qui croient, pour ceux qui espèrent, Dieu est dès maintenant la source de toute bonté et de toute joie spirituelle.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.