La basilique du Saint
Sauveur, aujourd’hui connue sous le titre de Saint Jean de Latran, est un grand
édifice classique, en marbre blanc. Ce bâtiment fait partie d’un complexe
monumental particulièrement riche de ce que l’antiquité chrétienne considérait
comme des trésors spirituels : des reliques et des icônes. Si Aujourd’hui
la basilique Saint Pierre et le Vatican symbolisent indubitablement le
ministère du successeur de Pierre, depuis Constantin et pendant tout le Moyen
Age, c’était au palais du Latran que résidait le Pape et que se réunissaient
les Conciles. Saint Jean de Latran reste encore de nos jours la cathédrale de
Rome.
La
dédicace d’une Eglise, a fortiori
d’une cathédrale, est un événement liturgique qui peut sembler étrange. Dieu, qui
est le Créateur du monde, a-t-il besoin qu’un lieu lui soit consacré ?
N’est-il pas chez lui partout ? Si, bien sûr. Et puis, l’Eglise, la
véritable Eglise, n’est-ce pas le rassemblement des chrétiens ? Oui,
évidemment. Paul le dit clairement : « vous êtes le temple de
Dieu » (1Co 3, 16). Alors, si Dieu n’a pas besoin qu’on lui dédie un
espace, et si son vrai sanctuaire, c’est la communion des croyants, quelle est
l’utilité de célébrer un rite de consécration pour des murs de pierres ? Comment
ce n’est pas simplement la prière des chrétiens qui opère la sanctification du
bâtiment ? Pourquoi faut-il quelque-chose de plus ?
Il
est clair que l’église de pierres n’est que l’image de l’Eglise spirituelle
formée par la charité qui règne entre les croyants. Mais précisément, pour que
la charité règne entre les croyants, il a fallu que Dieu accomplisse une
certaine consécration des croyants. Car il ne nous est naturel ni de croire, ni
de nous aimer les uns les autres. Ce n’est pas par nous-mêmes que nous avons pris
la décision de croire ; la foi est un don de Dieu (cf. Ep 2, 8), nous le savons. Et, étant devenus croyants,
ce n’est pas par nous-mêmes que nous sommes devenus capables de nous aimer les
uns les autres. Si c’était naturel, le Christ n’aurait pas eu besoin de nous le
commander ; mais il a fallu qu’il nous donne ce « commandement
nouveau » (1Jn 2, 8) qui fait de nous des « hommes
nouveaux » (cf. Ep 4,
24). Et cette nouveauté, c’est que, dans le commandement, Dieu nous donne aussi
la grâce, la force sans laquelle nous serions incapables de nous aimer les uns
les autres.
Quel
est l’état de l’humanité lorsqu’elle est abandonnée aux lâchetés, aux
mesquineries, aux jalousies de son égoïsme universel ? L’humanité est
alors très exactement « une maison de trafic » (Jn 2, 16) :
une sorte d’agitation où chacun recherche son petit intérêt, son petit
confort ; un esclavage où chacun est asservi à soi-même, affairé à gagner
cet argent qui ne peut que décevoir ; c’est une prison où chacun veut
obtenir son petit avantage, le petit privilège qui lui permettra de se croire mieux
loti que son voisin. Cet état de l’humanité est pitoyable, et ce n’est pas pour
cela que Dieu a créé l’homme. Pour faire passer l’humanité de cette situation
de misère spirituelle à quelque chose de conforme au commandement de Dieu, il a
donc fallu accomplir une consécration.
Qu’est-ce
que l’humanité baptisée, qu’est-ce que l’Eglise ? C’est vraiment une
communauté de charité, où chacun aime les autres plus qu’il n’aime son confort
(ou, du moins, ce devrait l’être) ; et c’est alors vraiment une
« maison de Dieu » (Ep 2, 19 ; 1Tm 3, 15 ; cf. Gn 28, 17). Ainsi, Jésus
peut vraiment dire de l’Eglise qu’elle est « la maison de (s)on
Père » (Jn 2, 16). Cette Eglise, c’est aussi une communauté de
résurrection : le sanctuaire a déjà été détruit, et il s’est déjà relevé (cf. Jn 2, 19-21). Dès lors,
rien ne peut plus anéantir la vitalité de la foi, la solidité de l’espérance,
la force de l’amour.
Ainsi,
la consécration d’une église de pierres, c’est, vous le comprenez, le signe,
l’image de ce qu’est le baptême pour l’humanité. C’est le baptême, c’est cette
« eau » qui jaillit du sanctuaire (cf. Ez 47, 1-12), qui change l’humanité désunie en
Eglise-communion. La dédicace, c’est pareillement ce qui fait d’un hangar
matériel une église, le lieu de rassemblement des croyants dans la prière.
Aussi, en fêtant la dédicace de Saint Jean de Latran, ce n’est pas tant le
souvenir d’un événement passé concernant des murs que nous célébrons. Nous
sommes surtout invités à reprendre conscience de notre consécration baptismale
qui nous relie à tous ceux avec qui nous croyons, et qui nous engage à aimer
tous les hommes, pour que l’humanité tout entière soit vraiment le temple de
Dieu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.