samedi 6 septembre 2014

23e dimanche - année A

« Donc, l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour » (Rm 13, 10). Voilà bien une phrase trop simple dont le sens a été bien galvaudé. Certains pensent aujourd’hui que l’amour est la valeur absolue et que le seul vrai critère de l’amour est la sincérité. Il suffirait de sentir qu’on aime pour être parfait, sans reproche. Et l’on oublie de se demander si l’amour lui-même, qui est bien la valeur absolue, ne devrait pas obéir à certains critères. L’amour n’a-t-il vraiment « jamais connu de loi »[1] ? N’est-il pas plutôt le lieu d’une exigence forte et stimulante ?
Pour être bien comprise, cette phrase de saint Paul doit être replacée dans son contexte. L’inquiétude de saint Paul concerne le rôle et la place de la loi de Moïse. Ici, c’est bien cette loi de Moïse qu’il évoque en citant quelques-uns des commandements : « Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol » (Rm 13, 9). La question est de savoir comment mettre en pratique ces commandements, comment les accomplir. Et la réponse de saint Paul est que l’accomplissement des commandements suppose de contempler l’amour, la charité – et il est sous-entendu : la charité du Christ. La phrase de saint Paul peut donc se traduire ainsi, d’une façon plus explicite : « l’accomplissement parfait de la loi de Moïse, c’est la charité du Christ ».
Si l’on en reste à des enjeux de morale ou de psychologie, on se trompe sur le sens de cette phrase. On ne voit que l’amour (le sentiment, qui, lui, en effet, « n’a jamais connu de loi »), et on justifie toutes les attitudes ambiguës au nom d’une conception erronée de l’amour chrétien. On parle même aujourd’hui de ‘‘tuer par amour’’ (et on appelle cela euthanasie, un mot sérieux qui déresponsabilise). On ne se rend pas compte qu’un tel raisonnement est profondément dévoyé, parce qu’il prend pour mesure de l’amour un petit sentiment de compassion qui peut être sincère, mais qui n’est pourtant pas la vérité de l’amour. Il y a là un piège. Si un sentiment est la valeur suprême du christianisme, alors « tout est permis » (mais alors « Dieu est mort » !). C’est une erreur grave que de raisonner ainsi.



Ce n’est pas cela que dit saint Paul. D’ailleurs, le propos de l’apôtre n’est pas tant moral que vraiment théologique. Je le répète : « l’accomplissement parfait de la loi de Moïse, c’est l’amour du Christ » ; c’est-à-dire : la loi de Moïse était une prophétie de la vie du Christ. Les premiers chrétiens disaient que le Christ avait été tué en Abel (Gn 4), lié en Isaac (Gn 22), vendu en Joseph (Gn 37), et immolé comme l’agneau pascal (Ex 12). Il faut donc être attentif et accepter de regarder la croix avec un peu de lucidité : l’amour du Christ en notre faveur a consisté à offrir sa vie, à ne recourir à aucune violence alors qu’il était injustement torturé ; l’amour du Christ a consisté à n’adresser aucun reproche à ses disciples qui le trahissaient et l’abandonnaient les uns après les autres ; l’amour du Christ a consisté à rester en silence devant ceux qui le jugeaient, alors qu’il lui aurait été facile d’accuser ses persécuteurs ; l’amour du Christ a consisté à se laisser confondre avec des voleurs, des criminels sordides, et à endurer leurs insultes ; l’amour du Christ a consisté à excuser ceux-là même qui le torturaient et à implorer pour eux la miséricorde de Dieu : « Père, pardonne-leur, il ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). C’est cet amour-là qui est, selon le mot de saint Paul, l’accomplissement de la loi, parce que la loi n’était rien d’autre qu’une prophétie de la Pâque de Jésus. Ici, saint Paul ne parle pas d’autre chose que de cette charité incompréhensible par laquelle le Christ est mort et dans laquelle il est ressuscité.

En disant encore que « l’amour ne fait rien de mal » (Rm 13, 10), saint Paul désigne bien cet amour comme innocence, au sens propre du terme : l’amour du Christ était une incapacité à nuire à qui que ce soit. L’amour vraiment chrétien doit se tenir dans ce registre de l’innocence. Et on voit alors comment la mise en pratique des commandements est importante pour vivre un amour vrai : « Tu ne commettras pas d’adultère ; tu ne commettras pas de meurtre ; tu ne commettras pas de vol ».
Demandons au Seigneur de nous donner ce double éclairage de conscience nécessaire pour vivre droitement : que notre amour soit exactement fidèle aux commandements de Dieu, et que notre pratique des commandements soit transfigurée par l’amour.

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