Il n’y a pas beaucoup de
catholiques au Japon, mais essayons néanmoins de nous mettre à la place d’un
catholique japonais et relisons ce verset tiré de la première lecture :
« le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre » (1R 19, 11).
Cette phrase pour nous ne veut pas dire grand-chose ; ce ne sont pas les
secousses minimes qu’on ressent de temps à autre qui pourraient nous effrayer.
Mais un japonais sait bien qu’un séisme est une vraie catastrophe, qui peut en
un instant faire des milliers de morts, détruire des villes entières, provoquer
des raz de marée et causer des accidents nucléaires incontrôlables. Et un
japonais catholique doit se demander : où est Dieu lorsqu’il y a un
tremblement de terre ? Et la Bible répond donc : « le Seigneur
n’était pas dans le tremblement de terre ». Un catholique japonais prend
au sérieux cette phrase. Et la Bible dit la même chose d’autres sortes de
catastrophes : le Seigneur n’est pas dans l’ouragan ; le Seigneur
n’est pas dans l’incendie.
Relisons
maintenant l’évangile. Les apôtres sont dans une barque, au milieu du lac et celle-ci
est submergée par une tempête. Les Apôtres sont seuls, Jésus n’est pas avec
eux, il est resté sur le rivage pour renvoyer les foules (Mt 14, 22-24). On
peut dire ainsi, au début du récit, comme dans la première lecture, que le
Seigneur n’est pas dans la tempête (mais « le Seigneur », c’est alors
Jésus, Dieu qui s’est fait proche de l’homme en s’incarnant, tandis que dans le
Livre des Rois, « le
Seigneur » qui n’était pas dans la tempête était le Dieu d’Israël dont on
ne prévoyait pas qu’il viendrait ainsi visiter lui-même son peuple – le sens
est un peu différent, mais on peut s’exprimer dans des termes semblables). Mais
voilà que, d’une manière étonnante, Jésus rejoint ses Apôtres ; il vient à
leur rencontre en marchant sur la mer (Mt 14, 25). Le Seigneur, qui
n’était pas dans la tempête, se porte au secours de ceux qui sont dans la
tempête.
Que
peut-on tirer de la confrontation de ces deux textes que la liturgie nous suggère ?
La première lecture nous empêche de diviniser la nature. On ne saurait
confondre la violence de la nature avec la toute-puissance de Dieu. Car la
nature est aveugle, imprévisible, irrationnelle, et elle peut détruire l’homme.
Et Dieu n’est pas dans cette nature destructrice. Aucune catastrophe naturelle
n’est un signe de Dieu, encore moins un châtiment de Dieu. La violence de la
nature reste un mystère, mais ce mystère obscurcit plus qu’il n’éclaire le
mystère plus grand encore de la toute-puissance de Dieu. Car la toute-puissance
de Dieu, c’est, en définitive, sa miséricorde inépuisable. Les forces de la
nature sont des énigmes pour les scientifiques ; elles n’ont pas de valeur
spirituelle ou religieuse. Définitivement, il faut dire que Dieu n’est pas dans
le tremblement de terre.
L’évangile
envisage les choses différemment, mais ne contredit pas le Livre des Rois. Au cœur d’une situation de grande angoisse, d’une
tempête, Dieu, qui ne se révèle pas dans la tempête, peut se révéler dans la
foi de ceux qui affrontent la tempête. Car si Dieu n’est pas dans la tempête,
Dieu n’abandonne pourtant pas ceux qui sont dans la tempête ; il vient les
rejoindre. Là nous touchons une vérité spirituelle. En effet : où est
Dieu ? Il ne se révèle pas dans le vent qui souffle, mais dans Jésus qui
marche sur les flots ; il se révèle aussi dans l’âme de saint Pierre
tandis qu’il lui fait confiance et qu’il prend le risque de la foi (Mt 14,
28-29.
Notre
monde est plein de malheurs ; nos vies sont pleines d’épreuves que nous ne
méritons pas. Et nous avons le réflexe de nous demander : où est
Dieu ? Dieu n’est certainement pas dans le mal ; Dieu n’est pas du
côté de ce qui nous fait souffrir – et nous souffrons. En revanche, Dieu est
dans notre prière ; Dieu est présent dans notre foi, notre espérance et
notre charité. Et c’est pourquoi notre foi est plus forte que la nature même
lorsque celle-ci se déchaîne. C’est pourquoi notre prière est plus grande que
nos épreuves, mêmes lorsqu’elles sont particulièrement injustes. De cela, il ne
faut pas douter. La foi de saint Pierre a triomphé de la tempête, mais
lorsqu’il s’est inquiété, il a commencé à couler, et le Seigneur, sur le ton
d’un reproche amical, l’a exhorté à un peu plus de foi (Mt 14, 30-31). Il
faut donc tenir bon dans la foi et dans la prière. Et Dieu, qui n’est pas dans
le tremblement de terre, ne cessera d’être présent dans nos cœurs.
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