vendredi 21 mars 2014

3ème dimanche de carême - année A

Parmi les sensations désagréables, la soif est sans doute l’une des plus pénibles. Pour un voyageur dans le désert, la sensation de soif, la gorge sèche, est liée à une angoisse profonde : il sait que c’est là le premier symptôme désespéré d’une mort quasi-certaine. La soif est donc liée à une inquiétude, à une angoisse paniquée dans laquelle la survie est en jeu. Le peuple d’Israël le sait très bien, au détour de ses pérégrinations dans le désert. « Le peuple avait soif » (Ex 17, 3), c’est-à-dire qu’il va mourir de soif.
Jésus, n’ayant pas fait semblant d’être un homme, a lui-même connu la soif. La demande courtoise qu’il adresse à la Samaritaine doit ainsi d’abord s’entendre au premier degré : « Donne-moi à boire » (Jn 4, 7). Mais cette soif du Christ, dans l’évangile de saint Jean, doit se comprendre aussi comme une discrète, mais bien réelle, allusion à sa mort. Jésus, dans un soupir, appelle : « J’ai soif » (Jn 19, 28). Jésus, sur la Croix, est mort de soif, parce que la soif et la mort sont deux réalités indissociables dans l’expérience d’un homme de la Bible. Ainsi, au bord du puits de Jacob, Jésus qui dit : « donne-moi à boire », fait l’expérience d’une mort ; il comprend déjà, dans l’intimité de cette indigence, ce que sera sa mort.
Mais si on lit attentivement la suite du récit, on est étonné de voir que Jésus ne boit pas (cf. Jn 4, 28). Et puis on apprend par les disciples qu’il avait faim également ; et on voit pourtant qu’il ne mange pas. Jésus a soif, mais il ne veut pas boire cette eau dérisoire que pourrait lui donner la Samaritaine. Jésus a faim, mais il ne veut pas manger le pique-nique que les Apôtres se sont procuré en ville (Jn 4, 31-34). Jésus a un autre breuvage et une autre nourriture.

C’est là que les choses deviennent complexes et nous entraînent dans un enchevêtrement de symboles assez dense. Jésus explique : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34). Dans l’ancien Testament déjà on disait que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu » (Dt 8, 3) ; c’est un mot que Jésus connaissait et qu’il opposera de manière cinglante à un contradicteur particulièrement retors (cf. Mt 4, 4). Ces formules, sont en réalité des définitions de l’eucharistie : la vraie nourriture du Christ, c’est l’offrande de sa vie par fidélité à la logique d’amour du Père dont il est le témoin auprès des hommes. Livrer son corps est le seul acte qui puisse rassasier Jésus. Aussi, lorsque, au soir de la Cène, Jésus dira à ces Apôtres : « Ceci est mon corps donné pour vous », et lorsqu’il mangera sa Pâque (cf. Mc 14, 14), lorsque lui-même communiera à son sacrifice, alors il sera vraiment nourri, parce qu’il aura accompli jusqu’à l’extrême la volonté du Père. Jésus n’a pas d’autre nourriture que l’eucharistie qu’il nous donne, que son corps consacré en notre faveur, parce qu’il n’a pas d’autre soutien que cette offrande dans laquelle il perd sa vie pour nous.
Allons plus loin. Jésus n’a pas d’autre boisson que son sang versé. Au soir de la Cène, lorsqu’il consacrera le calice en son sang, lorsqu’il boira lui-même à la coupe, alors il sera abreuvé. Rien d’autre ne peut étancher sa soif que de donner sa vie pour ceux qu’il aime. Un petit détail de la première lecture le suggère d’une manière discrète mais explicite : pourquoi Dieu demande-t-il qu’on frappe le rocher avec le bâton qui a servi à frapper le Nil ? (Ex 17, 5) C’est ce bâton qui a changé l’eau en sang (Ex 7, 17-20). Ceux qui, dans le désert, boivent l’eau jaillie du rocher, préfigurent ceux qui boivent le sang du Christ, à tel point que saint Paul pourra oser cette comparaison : « ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher c’était le Christ » (1Co 10, 4).

Jésus a eu faim et soif ; c’est-à-dire que nous, son Eglise, son corps, aujourd’hui nous avons faim et soif. Et nous n’avons pas d’autre nourriture que le corps eucharistique, nous n’avons pas d’autre boisson que le sang versé. « Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang vraiment une boisson » (Jn 6, 55). C’est-à-dire que nous n’avons pas d’autre vraie nourriture que de faire la volonté du Père, nous n’avons pas d’autre boisson que d’offrir notre vie.
Ignace d’Antioche, un saint évêque martyr, méditant sur l’eucharistie et sur la fidélité du croyant, il disait : « Armez-vous d’une douce patience et recréez-vous dans la foi – qui est la chair du Seigneur – et dans la charité – qui est le sang de Jésus Christ »[1]. Foi et charité, chair et sang du Christ : voilà la charte de notre vie chrétienne.




[1] Saint Ignace d’Antioche, Lettre aux Tralliens, VIII 1. 

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