vendredi 14 mars 2014

2ème dimanche de carême - année A

La première lecture (Gn 12, 1-4) nous présente la figure d’Abraham en qui nous reconnaissons notre lointain Père dans la foi. Il appartient à la démarche d’un bon carême de se demander ce qu’est la foi, et quelle est notre foi. Avant de donner une description intellectuelle, abstraite, spirituelle ou théologique, la foi se mesure avant tout, dans la vie d’Abraham, comme une sorte d’indice kilométrique. Très concrètement, la foi c’est le trajet qu’Abraham a accepté de parcourir « sans savoir où il allait » (He 11, 8), mais en sachant bien qui le conduisait.
« Pars de ton pays » (Gn 12, 1) : voilà l’invitation au voyage qui est en même temps une provocation à la foi. Et Abraham est parti, et il a marché. Toute sa vie n’a été qu’une sorte de pérégrination un peu étrange, sans but clairement identifié. Il est originaire d’Ur en Chaldée (Gn 15, 7), il est enterré Makpéla, à Hébron (Gn 25, 9). Et entre les deux, il y a tout un itinéraire compliqué, en terre de Canaan (Gn 13, 12), en Egypte (Gn 12, 10, un petit pèlerinage sur le mont Moriyyah (c’est-à-dire le lieu de Jérusalem ; Gn 22), à Beersheba (Gn 21). Voilà ce que c’est que la foi d’Abraham : cela a consisté à partir de chez lui, puis à marcher toute sa vie, sans jamais retourner là d’où il était parti. Comme l’explique l’épître aux Hébreux : il était à la recherche d’une patrie, et s’il avait pensé à celle dont il était originaire, il aurait eu le temps d’y retourner (He 11, 14-15). Mais non, il est toujours allé vers l’inconnu.
Si on regarde dans la vie de saints plus “modernes”, on peut voir encore que la foi se mesure en kilomètres. Si on pense par exemple à François-Xavier, né en Espagne. Il aurait pu être tout simplement croyant en Espagne, chez lui. Non ; il a préféré aller étudier à Paris. Et ce n’est pas tout ; il a voulu ensuite apporter la foi en extrême Orient. Il est allé aux Indes, au Japon, et jusqu’aux portes de la Chine. Sa foi ne pouvait-elle pas le laisser tranquille ? Ne pouvait-il pas être un bon chrétien, confortablement installé chez lui, au milieu de sa famille, de ses amis ? Bien sûr, il aurait pu rester à l’abri, mais sa foi ne l’a pas laissé en repos et, poussé par sa foi, il a voyagé au plus lointain de ses origines, sans craindre aucun péril. Saint Benoît-Joseph Labre également, cet infatigable pèlerin, ce ‘‘sans domicile fixe’’ dirait-on aujourd’hui : sa foi ne le laissait jamais en repos et lui inspirait toujours de quitter là où il était pour entreprendre quelle marche de pénitence.
Résumant toute la tradition biblique et s’appuyant sur l’histoire des saints, le Pape François adresse pour aujourd’hui à l’Eglise cet appel à « sortir », à « quitter », à « partir ». Il ne s’agit pas seulement d’une chose qu’on pourrait faire ; avec la foi, c’est un acte que nous devons faire : « Dans la Parole de Dieu apparaît constamment ce dynamisme de “la sortie” que Dieu veut provoquer chez les croyants. Abraham accepta l’appel à partir vers une terre nouvelle (cf. Gn 12,1-3). Moïse écouta l’appel de Dieu : Va, je t’envoie (Ex 3,10) et fit sortir le peuple vers la terre promise (cf. Ex 3, 17). À Jérémie il dit : Vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu iras (Jr 1, 7). Aujourd’hui, dans cet “allez” de Jésus, sont présents les scénarios et les défis toujours nouveaux de la mission évangélisatrice de l’Église, et nous sommes tous appelés à cette nouvelle “sortie” missionnaire. Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile »[1].

Dans les siècles passés, la foi était le moteur des pèlerins, l’énergie des missionnaires, le courage des évêques qui faisaient le tour de leur diocèse, le zèle des curés qui allaient visiter les malades aux quatre coins de leur paroisse, la ferveur des chrétiens qui n’hésitaient pas à parcourir une longue distance à pied pour aller à l’église. Pardonnez-moi d’être terre à terre : dans le contexte actuel de la crise des vocations, la foi eucharistique d’un chrétien se mesure exactement au nombre de kilomètres qu’il est prêt à faire pour participer à la messe dominicale. De toute évidence, les choses ont changé : nous avons des voitures, du pétrole, mais nous n’avons plus la foi. Alors, chacun reste tranquillement chez soi. Notre voiture pourrait nous emmener partout, au bout du monde, mais notre foi ne nous invite plus au voyage. Evidemment, le voyage et la foi ont en commun d’être inconfortables, risqués, périlleux, sans repos ; aller vers l’inconnu n’est jamais tellement rassurant, qu’il s’agisse de l’inconnu du voyage ou de l’inconnu de la foi. Mais rester chez soi pour être confortablement installé tout seul, cela n’est pas digne d’un chrétien, et, en définitive, pas digne de l’homme qui est fait pour risquer, pour découvrir, pour aller de l’avant. Prenons donc appui sur la foi d’Abraham le pèlerin, prenons exemple sur la foi de François-Xavier le missionnaire, de Benoît-Joseph Labre le pèlerin et de tant d’autres figures infatigables, d’apôtres du courage et de la générosité. Mettons en pratique ce commandement que Dieu adresse à tout croyant : « Pars, quitte ». Que les efforts de ce carême nous aident ainsi à bouger, à nous quitter un peu nous-mêmes. C’est ainsi que nous pourrons aller vers Pâques, jusqu’à la joie missionnaire de la Pentecôte.

« La joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une joie missionnaire. Les soixante-dix disciples en font l’expérience, eux qui reviennent de la mission pleins de joie (cf. Lc 10, 17). Jésus la vit, lui qui exulte de joie dans l’Esprit Saint et loue le Père parce que sa révélation rejoint les pauvres et les plus petits (cf. Lc 10, 21). Les premiers qui se convertissent la ressentent, remplis d’admiration, en écoutant la prédication des Apôtres chacun dans sa propre langue (Ac 2, 6) à la Pentecôte. Cette joie est un signe que l’Évangile a été annoncé et donne du fruit. Mais elle a toujours la dynamique de l’exode et du don, du fait de sortir de soi, de marcher et de semer toujours de nouveau, toujours plus loin. Le Seigneur dit : Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, afin que j’y prêche aussi, car c’est pour cela que je suis sorti (Mc 1, 38). Quand la semence a été semée en un lieu, il ne s’attarde pas là pour expliquer davantage ou pour faire d’autres signes, au contraire l’Esprit le conduit à partir vers d’autres villages »[2].  




[1] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 20.
[2] Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 21. 

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