« N’oubliez pas que vous
êtes le temple de Dieu et que l’Esprit Saint habite en vous » (1Co 3,
16). Cette phrase de saint Paul nous remplit de fierté, car ce n’est pas rien d’être
le sanctuaire du Seigneur. Cette fierté est légitime, mais pour qu’elle ne
devienne pas vaniteuse, il convient de remarquer quelque chose d’essentiel, que
nous tenons habituellement pour un détail : cette phrase est au pluriel.
Paul ne s’adresse pas à « moi » pour « me » dire : « Tu »
es le temple de Dieu. Paul s’adresse à la communauté rassemblée, à l’Eglise,
pour lui dire : la communauté que vous formez est le temple du Seigneur. Il
faut prendre au sérieux ce pluriel. Si la phrase était au singulier (tu), cela
voudrait dire que je serais une sorte d’incarnation du Seigneur, que Dieu se
serait localisé dans les limites de mon corps et dans les étroitesses de mon
esprit – on voit bien qu’une telle compréhension est indigne ! Dieu immense
ne saurait habiter les petitesses d’un individu particulier, si intelligent et
si généreux soit-il. En revanche, en remarquant que la phrase est au pluriel (« vous
êtes »), on comprend que Dieu n’est pas dans untel ou untel, mais dans la
relation ecclésiale, dans le lien de charité qui unit les croyants : Dieu « est
le Sujet qui se fait connaître et se manifeste dans la relation de personne à
personne »[1].
On rapproche souvent
cette phrase de Paul d’une autre affirmation assez semblable, tirée de la même
lettre : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit
Saint ? » (1Co 6, 19). Là encore, il faut le souligner, la
phrase est au pluriel (vous) et il est pourtant fait mention d’un corps (au
singulier). Il ne peut donc s’agir d’un corps physique, sinon Paul dirait soit :
« ton corps », soit « vos corps » ; mais il dit « votre
corps », c’est-à-dire un seul corps qui appartient à plusieurs. On
comprend donc à nouveau que Paul s’adresse à l’Eglise et c’est précisément une
manière de parler qui lui est habituelle que de désigner l’Eglise comme un
corps (1Co 12, 27).
Qu’est donc ce
sanctuaire que Paul évoque devant les Corinthiens, sinon la réalité
communautaire ecclésiale ? Et où réside le Saint Esprit sinon dans la
charité qui nous relie les uns aux autres ? Dire que nous sommes le temple
de Dieu et dire que l’Esprit Saint habite dans notre corps, cela signifie que Dieu est présent dans nos relations. Il
serait naïf d’imaginer que Dieu soit physiquement présent dans les individus,
un par un ; en revanche, il est magnifique de voir, de lire la présence de
Dieu dans les liens de charité, d’amour, qui unissent les croyants. Saint Jean
dit la même chose : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les
autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jn 13, 35). Ce
n’est pas en regardant un croyant qu’on peut discerner la vérité de l’évangile ;
mais en voyant comment une paroisse, un diocèse, vit dans une charité
authentique, alors tout le monde peut reconnaître qu’il y a là une présence de
Dieu. Là où deux chrétiens se témoignent de l’amour mutuel, là est le
sanctuaire de l’Esprit Saint ; là, en quelque sorte, Dieu devient visible.
Dans une humanité en proie à l’égoïsme, à l’indifférence, à la violence, c’est
cela le salut : Dieu est venu sauver
les relations entre les hommes. Le salut n’est pas individuel, il est
ecclésial. « Dans le Christ, Dieu ne rachète pas seulement l’individu mais
aussi les relations sociales entre les hommes »[2] :
c’est en fondant des relations nouvelles, charitables, ecclésiales, que Dieu
sauve les hommes.
Comment comprendre
ensuite la mise en garde ? « Si quelqu’un détruit le temple de Dieu… »
(1Co 3, 17) – qu’est-ce que détruire le temple de Dieu sinon ruiner la
charité, semer la zizanie, jeter la discorde parmi les chrétiens ? Voilà
bien le péché que Paul veut ici dénoncer, voilà la faute qu’il veut interdire par-dessus
tout aux disciples du Christ. En effet, le contre-témoignage de nos divisions
met en péril l’existence même de l’Eglise. Si nous ne sommes plus capables de
présenter au monde une charité visible, radieuse, alors il ne faut pas s’étonner
de la faiblesse de l’Eglise. Seule la charité est éloquente. On peut mener
toutes les actions d’évangélisation que l’on veut, accomplir toutes les
entreprises humanitaires imaginables, si les membres de l’Eglise ne sont pas
liés par la charité, tout cela restera stérile. Nous ne serions qu’un cuivre
qui résonne, une cymbale qui retentit (1Co 13, 1) ; nous ne serions
qu’un petit néant égoïste et prétentieux.
Notre richesse, le
trésor de l’Eglise, ce qui fait que l’Eglise est le temple de Dieu, c’est la
charité. Mais la charité, par définition,
ne peut être qu’une charité mutuelle. On ne peut pas dire : « j’ai
la charité » comme s’il s’agissait d’une propriété privée, comme si Dieu
résidait dans l’individu. La charité nous oblige à aimer les autres, à nous décentrer
de nous-mêmes, à oublier nos exigences de confort et d’estime pour servir les
autres. Si nous voulons que Dieu soit présent, nous devons aimer. Refuser d’aimer,
ou même oublier d’aimer, c’est rejeter Dieu loin des hommes. Aimer ses frères,
c’est donner au monde la présence du Seigneur ; c’est être son sanctuaire.
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