vendredi 21 février 2014

7ème dimanche du Temps Ordinaire - année A

« N’oubliez pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit Saint habite en vous » (1Co 3, 16). Cette phrase de saint Paul nous remplit de fierté, car ce n’est pas rien d’être le sanctuaire du Seigneur. Cette fierté est légitime, mais pour qu’elle ne devienne pas vaniteuse, il convient de remarquer quelque chose d’essentiel, que nous tenons habituellement pour un détail : cette phrase est au pluriel. Paul ne s’adresse pas à « moi » pour « me » dire : « Tu » es le temple de Dieu. Paul s’adresse à la communauté rassemblée, à l’Eglise, pour lui dire : la communauté que vous formez est le temple du Seigneur. Il faut prendre au sérieux ce pluriel. Si la phrase était au singulier (tu), cela voudrait dire que je serais une sorte d’incarnation du Seigneur, que Dieu se serait localisé dans les limites de mon corps et dans les étroitesses de mon esprit – on voit bien qu’une telle compréhension est indigne ! Dieu immense ne saurait habiter les petitesses d’un individu particulier, si intelligent et si généreux soit-il. En revanche, en remarquant que la phrase est au pluriel (« vous êtes »), on comprend que Dieu n’est pas dans untel ou untel, mais dans la relation ecclésiale, dans le lien de charité qui unit les croyants : Dieu « est le Sujet qui se fait connaître et se manifeste dans la relation de personne à personne »[1].
On rapproche souvent cette phrase de Paul d’une autre affirmation assez semblable, tirée de la même lettre : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit Saint ? » (1Co 6, 19). Là encore, il faut le souligner, la phrase est au pluriel (vous) et il est pourtant fait mention d’un corps (au singulier). Il ne peut donc s’agir d’un corps physique, sinon Paul dirait soit : « ton corps », soit « vos corps » ; mais il dit « votre corps », c’est-à-dire un seul corps qui appartient à plusieurs. On comprend donc à nouveau que Paul s’adresse à l’Eglise et c’est précisément une manière de parler qui lui est habituelle que de désigner l’Eglise comme un corps (1Co 12, 27).
Qu’est donc ce sanctuaire que Paul évoque devant les Corinthiens, sinon la réalité communautaire ecclésiale ? Et où réside le Saint Esprit sinon dans la charité qui nous relie les uns aux autres ? Dire que nous sommes le temple de Dieu et dire que l’Esprit Saint habite dans notre corps, cela signifie que Dieu est présent dans nos relations. Il serait naïf d’imaginer que Dieu soit physiquement présent dans les individus, un par un ; en revanche, il est magnifique de voir, de lire la présence de Dieu dans les liens de charité, d’amour, qui unissent les croyants. Saint Jean dit la même chose : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jn 13, 35). Ce n’est pas en regardant un croyant qu’on peut discerner la vérité de l’évangile ; mais en voyant comment une paroisse, un diocèse, vit dans une charité authentique, alors tout le monde peut reconnaître qu’il y a là une présence de Dieu. Là où deux chrétiens se témoignent de l’amour mutuel, là est le sanctuaire de l’Esprit Saint ; là, en quelque sorte, Dieu devient visible. Dans une humanité en proie à l’égoïsme, à l’indifférence, à la violence, c’est cela le salut : Dieu est venu sauver les relations entre les hommes. Le salut n’est pas individuel, il est ecclésial. « Dans le Christ, Dieu ne rachète pas seulement l’individu mais aussi les relations sociales entre les hommes »[2] : c’est en fondant des relations nouvelles, charitables, ecclésiales, que Dieu sauve les hommes.

Comment comprendre ensuite la mise en garde ? « Si quelqu’un détruit le temple de Dieu… » (1Co 3, 17) – qu’est-ce que détruire le temple de Dieu sinon ruiner la charité, semer la zizanie, jeter la discorde parmi les chrétiens ? Voilà bien le péché que Paul veut ici dénoncer, voilà la faute qu’il veut interdire par-dessus tout aux disciples du Christ. En effet, le contre-témoignage de nos divisions met en péril l’existence même de l’Eglise. Si nous ne sommes plus capables de présenter au monde une charité visible, radieuse, alors il ne faut pas s’étonner de la faiblesse de l’Eglise. Seule la charité est éloquente. On peut mener toutes les actions d’évangélisation que l’on veut, accomplir toutes les entreprises humanitaires imaginables, si les membres de l’Eglise ne sont pas liés par la charité, tout cela restera stérile. Nous ne serions qu’un cuivre qui résonne, une cymbale qui retentit (1Co 13, 1) ; nous ne serions qu’un petit néant égoïste et prétentieux.
Notre richesse, le trésor de l’Eglise, ce qui fait que l’Eglise est le temple de Dieu, c’est la charité. Mais la charité, par définition, ne peut être qu’une charité mutuelle. On ne peut pas dire : « j’ai la charité » comme s’il s’agissait d’une propriété privée, comme si Dieu résidait dans l’individu. La charité nous oblige à aimer les autres, à nous décentrer de nous-mêmes, à oublier nos exigences de confort et d’estime pour servir les autres. Si nous voulons que Dieu soit présent, nous devons aimer. Refuser d’aimer, ou même oublier d’aimer, c’est rejeter Dieu loin des hommes. Aimer ses frères, c’est donner au monde la présence du Seigneur ; c’est être son sanctuaire.




[1] Pape François, Lettre encyclique Lumen fidei, n° 36.
[2] Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium pour la Doctrine sociale de l’Église, n° 52 ; cité par le Pape François, Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n° 178. 

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