Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, est amené
à décrire en quoi consiste son ministère d’Apôtre (1Co 4, 1-5). Pour bien
comprendre ce qu’il affirme, il faut tout d’abord se souvenir que saint Paul a
été amené à écrire aux chrétiens de Corinthe à l’occasion d’une discorde, d’un
désordre dans la communauté (1Co 1, 10-17). Saint Paul écrit donc, avec
autorité, pour trancher un litige – et cela n’est jamais agréable, ni pour ceux
qui sont désavoués, ni pour celui qui désavoue. Lorsque saint Paul fait des
reproches aux Corinthiens, il ne le fait pas de gaîté de cœur ; il le fait
parce qu’il le doit, au nom de la fidélité à l’évangile que le Christ lui a
confié.
C’est donc dans ce contexte qu’il présente son
ministère : « il faut que l’on nous
regarde seulement comme les serviteurs du Christ et les intendants des mystères
de Dieu » (1Co 4, 1). Un Apôtre n’est pas le propriétaire de son
ministère. Un Apôtre n’est pas son propre “patron”, pour ainsi dire. Un Apôtre
est un homme qui est soumis avant tout au Christ et à Dieu. Il est
« serviteur » : cela veut dire qu’il doit lui-même obéir et
qu’il n’agit pas selon sa propre initiative, mais selon la mission qu’il a
reçue du Christ. Il est également « intendant » : cela veut dire
qu’il est chargé de transmettre aux fidèles ce qu’il a lui-même reçu, sans tirer
aucun avantage personnel. Quel profit, en effet, un Apôtre peut-il tirer de son
ministère, sinon d’avoir une vie entièrement consacrée à l’évangile, dans les
soucis, les tourments, les persécutions ? Est-ce donc un avantage que
d’être sans cesse critiqué, sans cesse mis en cause, de n’avoir aucun repos, de
n’être soutenu par personne, sinon par Dieu seul ? La vie d’Apôtre n’est
pas tellement confortable, humainement elle n’est aucunement désirable. Ceux
qui ont reçu cette charge le savent bien. Au milieu de toutes ces difficultés,
saint Paul précise encore quelle est la tâche qu’on exige de lui :
« ce que l’on demande aux intendants, c’est en somme de mériter
confiance » (1Co 4, 2). La première qualité de l’Apôtre, c’est d’être
fiable, d’être fidèle à sa mission. Cela suppose donc une certaine docilité –
pour faire ce que Dieu a commandé – et une certaine endurance – pour persévérer
dans cette mission divine malgré les embûches humaines. Voilà quelles sont les
qualités de l’Apôtre. Dieu n’en demande pas plus ; il n’en demande pas
moins.
Ce
portrait du ministre du Christ que dresse saint Paul devrait nous aider à
comprendre ce qu’est l’Eglise. Aujourd’hui, il n’y a plus d’Apôtres au sens que
les premiers chrétiens donnaient à ce mot ; il n’y a plus de fondateurs d’Eglises.
Néanmoins, le ministère apostolique continue d’être accompli par le collège des
évêques qui sont leurs successeurs et par le Pape, le premier d’entre eux. Parfois
on entend des remarques contre les évêques et contre le Pape. Chaque
journaliste a sa petite idée sur ce qu’ils devraient dire, ce qu’ils devraient
faire. Chaque chrétien aussi sait parfois mieux que le Pape ce qu’il devrait
décider. A la veille du synode sur la famille, les bons conseils ne manquent
pas ! Mais il y a aussi les critiques ; on reproche à l’Eglise d’être
rétrograde, intransigeante. Lorsque la tentation de ces critiques vient en
nous, il nous serait bon de nous souvenir de cette lettre aux Corinthiens et de
nous demander : les évêques seraient-ils des intendants fidèles s’ils se
mettaient à parler comme les sondages ? Le Pape accomplirait-il un
ministère authentique s’il laissait de côté l’évangile pour suivre l’opinion.
Mais certains se plaignent que l’évangile est trop dur – la semaine dernière on
nous demandait d’être parfaits (Mt 5, 48) : c’est intolérable !
Oui, l’évangile est difficile, austère, exigeant. Mais le Pape n’est pas
au-dessus des Apôtres pour nous dispenser d’appliquer l’exigence de l’évangile.
Le Pape est un serviteur de l’évangile, un intendant de la volonté de Dieu. Le
Pape n’est pas le “patron” de l’Eglise, pas plus que l’évêque n’est le “patron”
du diocèse, pas plus que le curé n’est le “patron” de sa paroisse. Lorsque
Jésus a confié à Pierre la charge de conduire l’Eglise, il lui a dit : « Sois
le pasteur de mes brebis » (Jn 21, 16) ; il ne lui a pas dit :
« Les brebis sont à toi, fais ce que tu veux ». Il lui a bien dit :
« Sois le pasteur de mes brebis ».
Jésus est bien le maître. Et tous les ministres, le Pape les évêques, les
prêtres, ne sont que des serviteurs de l’évangile – l’évangile auquel ils
doivent être fidèles leur semble exigeant, pour eux comme pour vous. Il n’est
pas question pour autant d’y déroger.
Alors
les critiques continueront. Et les responsables de l’Eglise devront continuer à
dire : « Pour ma part, je me soucie fort peu de votre jugement sur
moi, ou de celui que prononceraient les hommes » (1Co 4, 3). Est-ce
de l’indifférence ou du mépris ? Non. Saint Paul n’est pas insensible à ce
qu’on lui reproche ; mais il met la vérité de l’évangile au-dessus de sa bonne
réputation. Il a le choix entre la fidélité au Christ d’une part et la bonne
opinion des foules d’autre part. Saint Paul a choisi, non pour se faire haïr
des Corinthiens, mais pour rester un ami de Dieu. Il est demandé aux ministres
de l’Eglise de faire également ce choix de la fidélité, même lorsque cela est
humainement très pénible. Prions donc pour tous ceux qui exercent un ministère
dans l’Eglise afin qu’ils ne se laissent pas détourner de leur mission et
qu’ils affrontent avec courage les oppositions et les vicissitudes. Ils ont
plus besoin de vos prières que de vos reproches.