samedi 21 septembre 2013

25ème dimanche - année C

Un proverbe dit que « l’argent ne fait pas le bonheur » ; mais chacun, dans son for intérieur, se dit que le manque d’argent est une misère, et que l’argent, quand même, importe au bonheur. Dans l’évangile de ce jour, justement, Jésus nous parle d’argent. En général, on n’aime pas beaucoup que Jésus aborde ce sujet ; on préfère que Jésus, selon la mission spirituelle qu’on lui imagine, parle de la prière, de la foi, de théologie. On souhaiterait que Jésus se contente d’évoquer des questions mystiques, éloignées de notre vie concrète, et qu’il nous laisse tranquille sur notre façon de gérer les problèmes de ce monde. Mais Jésus ne l’entend pas ainsi ; au risque de nous agacer, Jésus ose parler d’argent.
Qu’est-ce que l’argent ? Cette question est difficile ; les historiens et les économistes ne sont pas tous d’accord à ce sujet. Mais, pour dire les choses rapidement, une hypothèse raisonnable consiste à montrer que l’argent est le moyen que les hommes ont utilisé pour réaliser des échanges[1]. Pour celui qui a des marchandises à vendre, il est plus facile de faire du commerce avec un moyen monétaire que de faire du troc. L’argent est donc l’intermédiaire utile, qui facilite les transactions commerciales. Sans argent, notre monde ne fonctionnerait pas ; on ne pourrait rien vendre, rien acheter. Aussi, l’invention de la monnaie a été la cause d’un véritable progrès de l’humanité. Et Jésus reconnaît que les hommes qui ont ainsi imaginé un moyen de développer les échanges commerciaux ont eu une bonne idée ; même les anges ne sont pas aussi ingénieux : « les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière » (Lc 16, 8).
Pourtant, le reste du discours de Jésus est plus critique. Jésus dénonce une certaine idolâtrie de l’argent. Jésus comprend que l’argent a été inventé pour être un moyen d’échange – et cela est une bonne chose – mais il constate que, pour beaucoup, l’argent est devenu une fin en soi. L’argent est devenu un maître que les hommes servent ; l’argent est devenu un maître dont les hommes sont esclaves. Nous devrions nous servir de l’argent pour améliorer le monde, améliorer nos conditions de vie. Et, par un curieux renversement, nous sommes maintenant au service de l’argent. Ce qui était un moyen légitime s’est transformé en une idole toute-puissante qui gouverne le monde. Jésus dénonce cela comme étant une tromperie, une malhonnêteté qui a malheureusement séduit tout le monde. C’est en ce sens qu’il parle d’un argent trompeur (Lc 16, 9 ; 11), non pour dire que l’argent serait intrinsèquement mauvais, mais pour mettre en garde contre une supercherie mondiale au sujet de la finance.
Vous voyez que ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on se rend compte que le monde de la finance est devenu fou : Jésus le savait déjà ! Il y a deux mille ans, il mettait déjà en garde contre les périls de la domination financière au détriment du bonheur des hommes, et au détriment de Dieu. Car c’est bien là le drame de cette usurpation de la finance : si l’argent est devenu le maître du monde, il n’y a plus de place pour Dieu. Si les hommes sont les esclaves de la monnaie, ils ne peuvent plus être libres pour servir Dieu. « Nul ne peut servir deux maîtres… vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 13).
Toutefois, Jésus ne demande pas qu’on élimine l’argent. Ce n’est pas la peine de renoncer à toute vie économique. Si certains courants spirituels ont été tentés par une telle forme de pauvreté radicale, si cela fut l’intuition géniale de saint François d’Assise, l’Eglise n’a jamais demandé à tous les fidèles de rejeter l’usage de la monnaie. Ce n’est pas un péché d’avoir de l’argent honnêtement gagné ; ce n’est pas un péché d’acheter ou de vendre. Mais il faut rester vigilant. Il ne faut pas devenir l’esclave de l’argent. Ce que Jésus suggère demande à être expliqué : « Eh bien moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l’Argent trompeur » (Lc 16, 9). Jésus parle de manière solennelle ; sa parole est donc particulièrement importante et il faut bien l’entendre. Qu’est-ce qui compte vraiment dans une vie humaine ? qu’est-ce qui est capable de rendre un homme heureux ? Dans la mentalité antique, il n’y a pas de doute, la première source du bonheur terrestre, c’est l’amitié. L’honnête homme qui est entouré de bons amis, celui-là est heureux. L’amitié saine, franche, fiable, est même comptée parmi les vertus les plus hautes. Aussi, dans les relations humaines, tout doit être mis au service de l’amitié. Et dans ce contexte, l’argent, remis à sa juste place, peut alors redevenir un moyen capable de rendre heureux. Celui qui est capable de mettre sa fortune au service de l’amitié, en recevant ses amis, en les traitant bien, en les aidant avec générosité, celui-là n’est plus l’esclave de l’argent. Celui-là utilise l’argent pour ce à quoi il doit servir, comme un moyen en vue d’une finalité vertueuse. Et Jésus va jusqu’à dire que le fruit d’une telle amitié sera une convivialité « éternelle ». Alors que le monde est devenu fou, il suffisait d’un peu de bon sens pour redécouvrir cette vérité simple : que nous ne devons pas être esclaves d’une convention humaine – fût-elle universelle ; l’argent, créé par l’homme, ne doit pas asservir l’homme. Jésus, qui se soucie de notre bonheur et de notre vertu, avait donc bien raison de nous parler d’argent.



[1] Il n’est pas certain que cela soit l’origine, la cause de l’invention de la monnaie ; mais c’en est, du moins, un usage ancien et, aujourd’hui, assez général. La question des fonctions de la monnaie reste toutefois, philosophiquement, historiquement et économiquement très complexe ; elle dépasse de toute évidence le cadre d’un bref commentaire de l’évangile. 

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