Dans son état naturel,
l’homme est blessé, accablé par ce qu’on appelle un sentiment de culpabilité. Avec
un petit effort de lucidité, chacun de nous se rend bien compte qu’il n’a pas
toujours été un héro ni un saint et notre conscience nous accuse, parfois
lourdement. Pour l’homme qui a fait le mal et qui en prend conscience, il n’y a
pas d’autre solution naturelle que le remord, le regret éternel. Nous devons
nous représenter cette humanité antique, qui était comme prisonnière d’une
culpabilité universelle et qui ne pouvait pas s’en sortir.
Et puis Jésus est venu,
qui rencontrait des pécheurs. A ce monde qui vivait dans l’angoisse et les
ténèbres, il a dit : « Tes péchés sont pardonnés » (Lc 7,
48). C’était bien une phrase inouïe, quelque chose que personne n’avait osé
dire. C’est même quelque chose de trop fort, de trop grand ; et les
bien-pensants en sont scandalisés : « Cet homme fait bon accueil aux
pécheurs, et il mange avec eux » (Lc 15, 2). Voilà bien ce qui est
inconvenant. Le Judaïsme, à l’époque du Christ, c’était surtout le culte de la
pureté. Il est impensable qu’un Juif pieux, soucieux de la Loi, aille ainsi se
mélanger avec des gens immondes, des publicains, des étrangers. Alors Jésus,
pour faire comprendre son attitude, répond en paraboles. Ces petites histoires
ne justifient pas la conduite du Christ – le Christ n’a que faire de se
justifier devant les pharisiens et les scribes – mais elles expliquent quelle
est sa mission ; elles invitent aussi les pécheurs à lui faire de plus en
plus confiance.
La parabole de la brebis
perdue et de la drachme perdue illustrent comment le ministère de Jésus et la
pastorale de l’Eglise consistent à partir à la recherche des pécheurs ; le
Pape François parlerait de ces « périphéries » où le prêtre ne doit
pas craindre de se rendre[1].
Le berger qui poursuit sa brebis égarée, c’est le Christ qui vient sauver
l’humanité qui se perd ; la femme qui cherche sa pièce, c’est l’Eglise
dont le seul trésor est que les hommes soient dans la grâce de Dieu.
Et puis, il y a aussi la
troisième parabole, plus longue, plus compliquée, qui lance un défi aux
pharisiens qui se pensent irréprochables. Essayons de comprendre. Le fils
prodigue représente les païens, les impurs, ceux qui se sont éloignés du
Christ. Il choisit, volontairement, de quitter son père – un peu comme Adam,
librement, a choisi de quitter le paradis en commettant la faute. Le fils aîné
représente les Juifs pieux, honnêtes, les hommes droits. Il vit constamment
chez son père, il travaille avec lui, mais tout cela lui pèse ; sa
fidélité est devenue un fardeau. Dans le secret de sa conscience, le fils
prodigue découvre que le vrai bonheur se trouve chez son père. Il pensait trouver
des joies nouvelles, des sensations fortes en quittant la maison, et il se rend
compte qu’il n’y a que la misère. On rencontre parfois des gens qui quittent
l’Eglise, qui s’éloignent de Dieu, en se disant que la vie doit être plus drôle
ailleurs, et qui sont vite déçus. Hors de l’Eglise, il n’y a point de joie
véritable. Pendant ce temps, le fils aîné s’exaspère de sa propre rectitude. Sa
droiture le fatigue et il devient un aigri de la perfection. Quelle est donc la
situation au moment où le fils prodigue décide de rentrer ? Le père de
famille est là, à l’attendre. Ce père est, comme le Christ, un homme qui
« fait bon accueil aux pécheurs », parce qu’il reconnaît dans ce
pécheur son propre fils. Il aurait pu renier son fils – la loi juive demandait,
d’ailleurs, qu’un fils indigne soit retranché de la famille. Mais non, le père
attend, reconnaît, et reçoit son fils avec tendresse – et la fête commence. On
comprend alors aisément que le fils aîné se mette en colère. La seule satisfaction
qui lui restait, au milieu de son dégoût de la vie, c’était d’être le “bon
fils”. Il s’épuisait sans joie chaque jour au service de son père, et il
pensait en retirer un certain prestige. Et voilà qu’il découvre que son frère
aussi est resté fils de son père. Alors il refuse d’entrer.
Et c’est là que Jésus lance un défi aux scribes et
aux pharisiens. Il leur dit, en quelque sorte : « Vous êtes choqués
que je pardonne les péchés de ceux qui se convertissent ; vous êtes déçus
que Dieu fasse ainsi miséricorde. Allez-vous, pour cela, refuser d’entrer dans
la joie de Dieu ? Le Royaume de Dieu n’est pas une association de gens
fréquentables, une société de parfaits ; le Royaume de Dieu, ce sont des
pécheurs qui font la fête, ce sont des brigands, des malhonnêtes, des méchants
qui se réjouissent avec les anges parce que la bonté de Dieu a pardonné leurs
fautes. Si vous, qui pensez être des justes, voulez entrer dans cette joie, il
n’y a pas d’autre solution que de venir vous mélanger avec les publicains et
les pécheurs et de faire la fête avec eux ». Dans la parabole, cette
question reste sans réponse. Nous ne savons pas si le frère aîné est entré – ou
non. Jésus a laissé sa demande en suspens, laissant à tous ceux qui se croient
justes le soin de répondre en conscience.
[1] Ainsi, dans l’homélie de sa première
Messe chrismale à Rome (28 mars 2013) ; http://www.vatican.va/holy_father/francesco/homilies/2013/documents/papa-francesco_20130328_messa-crismale_fr.html
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