dimanche 15 septembre 2013

24ème dimanche - année C

Dans son état naturel, l’homme est blessé, accablé par ce qu’on appelle un sentiment de culpabilité. Avec un petit effort de lucidité, chacun de nous se rend bien compte qu’il n’a pas toujours été un héro ni un saint et notre conscience nous accuse, parfois lourdement. Pour l’homme qui a fait le mal et qui en prend conscience, il n’y a pas d’autre solution naturelle que le remord, le regret éternel. Nous devons nous représenter cette humanité antique, qui était comme prisonnière d’une culpabilité universelle et qui ne pouvait pas s’en sortir.
Et puis Jésus est venu, qui rencontrait des pécheurs. A ce monde qui vivait dans l’angoisse et les ténèbres, il a dit : « Tes péchés sont pardonnés » (Lc 7, 48). C’était bien une phrase inouïe, quelque chose que personne n’avait osé dire. C’est même quelque chose de trop fort, de trop grand ; et les bien-pensants en sont scandalisés : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux » (Lc 15, 2). Voilà bien ce qui est inconvenant. Le Judaïsme, à l’époque du Christ, c’était surtout le culte de la pureté. Il est impensable qu’un Juif pieux, soucieux de la Loi, aille ainsi se mélanger avec des gens immondes, des publicains, des étrangers. Alors Jésus, pour faire comprendre son attitude, répond en paraboles. Ces petites histoires ne justifient pas la conduite du Christ – le Christ n’a que faire de se justifier devant les pharisiens et les scribes – mais elles expliquent quelle est sa mission ; elles invitent aussi les pécheurs à lui faire de plus en plus confiance.
La parabole de la brebis perdue et de la drachme perdue illustrent comment le ministère de Jésus et la pastorale de l’Eglise consistent à partir à la recherche des pécheurs ; le Pape François parlerait de ces « périphéries » où le prêtre ne doit pas craindre de se rendre[1]. Le berger qui poursuit sa brebis égarée, c’est le Christ qui vient sauver l’humanité qui se perd ; la femme qui cherche sa pièce, c’est l’Eglise dont le seul trésor est que les hommes soient dans la grâce de Dieu.
Et puis, il y a aussi la troisième parabole, plus longue, plus compliquée, qui lance un défi aux pharisiens qui se pensent irréprochables. Essayons de comprendre. Le fils prodigue représente les païens, les impurs, ceux qui se sont éloignés du Christ. Il choisit, volontairement, de quitter son père – un peu comme Adam, librement, a choisi de quitter le paradis en commettant la faute. Le fils aîné représente les Juifs pieux, honnêtes, les hommes droits. Il vit constamment chez son père, il travaille avec lui, mais tout cela lui pèse ; sa fidélité est devenue un fardeau. Dans le secret de sa conscience, le fils prodigue découvre que le vrai bonheur se trouve chez son père. Il pensait trouver des joies nouvelles, des sensations fortes en quittant la maison, et il se rend compte qu’il n’y a que la misère. On rencontre parfois des gens qui quittent l’Eglise, qui s’éloignent de Dieu, en se disant que la vie doit être plus drôle ailleurs, et qui sont vite déçus. Hors de l’Eglise, il n’y a point de joie véritable. Pendant ce temps, le fils aîné s’exaspère de sa propre rectitude. Sa droiture le fatigue et il devient un aigri de la perfection. Quelle est donc la situation au moment où le fils prodigue décide de rentrer ? Le père de famille est là, à l’attendre. Ce père est, comme le Christ, un homme qui « fait bon accueil aux pécheurs », parce qu’il reconnaît dans ce pécheur son propre fils. Il aurait pu renier son fils – la loi juive demandait, d’ailleurs, qu’un fils indigne soit retranché de la famille. Mais non, le père attend, reconnaît, et reçoit son fils avec tendresse – et la fête commence. On comprend alors aisément que le fils aîné se mette en colère. La seule satisfaction qui lui restait, au milieu de son dégoût de la vie, c’était d’être le “bon fils”. Il s’épuisait sans joie chaque jour au service de son père, et il pensait en retirer un certain prestige. Et voilà qu’il découvre que son frère aussi est resté fils de son père. Alors il refuse d’entrer.
Et c’est là que Jésus lance un défi aux scribes et aux pharisiens. Il leur dit, en quelque sorte : « Vous êtes choqués que je pardonne les péchés de ceux qui se convertissent ; vous êtes déçus que Dieu fasse ainsi miséricorde. Allez-vous, pour cela, refuser d’entrer dans la joie de Dieu ? Le Royaume de Dieu n’est pas une association de gens fréquentables, une société de parfaits ; le Royaume de Dieu, ce sont des pécheurs qui font la fête, ce sont des brigands, des malhonnêtes, des méchants qui se réjouissent avec les anges parce que la bonté de Dieu a pardonné leurs fautes. Si vous, qui pensez être des justes, voulez entrer dans cette joie, il n’y a pas d’autre solution que de venir vous mélanger avec les publicains et les pécheurs et de faire la fête avec eux ». Dans la parabole, cette question reste sans réponse. Nous ne savons pas si le frère aîné est entré – ou non. Jésus a laissé sa demande en suspens, laissant à tous ceux qui se croient justes le soin de répondre en conscience.


[1] Ainsi, dans l’homélie de sa première Messe chrismale à Rome (28 mars 2013) ; http://www.vatican.va/holy_father/francesco/homilies/2013/documents/papa-francesco_20130328_messa-crismale_fr.html

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