Quand ils se furent bien moqués de lui,
ils lui enlevèrent le manteau de pourpre,
et lui remirent ses vêtements.
Puis, de là, ils l’emmènent pour le crucifier,
et ils réquisitionnent, pour porter sa croix,
un passant, Simon de Cyrène,
le père d’Alexandre et de Rufus,
qui revenait des champs (Mc 15, 20-21)
Les
trois évangiles synoptiques font allusion au fait que, sur le chemin qui l’a
conduit au Golgotha, Jésus a été aidé par un homme, qui fut contraint par les
soldats (et on imagine avec quelle violence et quel arbitraire) de porter la
croix avec lui. De cet homme, qui aurait pu rester un personnage anonyme de l’évangile,
nous savons le nom : Simon ; nous savons également d’où il était :
de Cyrène. Cette ville de Cyrène était une cité prospère des bords de la Méditerranée,
sur le territoire de l’actuelle Libye. La ville avait été fondée par les Grecs
au VIIe siècle av. J.C., et une importante communauté juive s’y
était établie[1]. Il n’est
pas étonnant que pour la Pâque, fête de pèlerinage, des Juifs de Cyrène se
soient rendus à Jérusalem pour les exigences du culte. Le jour de la Pentecôte
également, on comptera parmi les auditeurs de saint Pierre des Cyrénéens
(Ac 2, 10) : à l’époque de Jésus, les hommes se déplaçaient, les
voyages étaient fréquents pour cause de commerce ou de religion.
Ce
que je veux relever est surtout ceci : Simon de Cyrène était donc Libyen. Celui
qui a aidé Jésus à porter sa croix, celui qui a été, peut-être malgré lui,
associé du plus près à la souffrance de Jésus était originaire de cette terre d’Afrique
du Nord qui n’avait pas fini de souffrir. Tous, nous connaissons l’actualité de
la Libye ; nous ne sommes pourtant pas capable d’imaginer, depuis notre confort,
quelles angoisses permanentes, quels deuils, quels désespoirs les habitants de
ce pays doivent endurer au quotidien. Il y a dans cette région des frères
chrétiens qui souffrent, des hommes, des femmes, des enfants, chrétiens ou non,
qui doivent supporter des épreuves que personne ne mérite. En voyant dans ces
hommes de lointains parents de ce Simon, nous pouvons considérer que son geste contenait
une valeur prophétique : il associait tous les Libyens à la souffrance de
Jésus.
En
priant pour les chrétiens pris dans les violences du monde, en pensant à tous
les hommes qui portent injustement des croix trop lourdes, nous devons faire
cet effort de bien voir le concret de leurs épreuves. Il y a une manière de
prier qui reste abstraite, lointaine, distante. On pense parfois que Jésus a
souffert, mais qu’il ne souffre plus. Nous recherchons la « communion à ses
souffrances »
(Ph 3, 10) sans nous impliquer tellement. Ce n’est pas une vraie manière
de prier. Pour prier sérieusement, il faut être à côté de Jésus, comme Simon,
et, comme lui, représenter réellement la souffrance de tous nos frères. En
pensant à ce Libyen qui préfigurait, près de Jésus, tout ce que son peuple
aurait à endurer, ayons le courage d’un instant de ferveur et de vraie compassion.
Que notre prière nous donne de ressentir la douleur du monde, pour la
transfigurer dans la charité de la croix.